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28 septembre 2016 3 28 /09 /septembre /2016 06:00
Les Ignorés 2 : « Bah ! Je sais bien que c'est pour des sous que vous venez et pas pour mes beaux yeux ; des sous je n’ai point : plus une brebis, plus un agneau, plus rien ! »

Et Fred de poursuivre: « ...donc, jeudi dernier, vers 17h, une charmante dame se pointe à la ferme au volant de sa voiture de service; accueil mitigé des deux bergers beaucerons, par précaution elle klaxonne. »


Edgar sortant de la grange :


- Qu’est-ce que vous me voulez encore ? clame-t-il suspicieux.


Elle abaisse la vitre juste à hauteur des chiens silencieux mais peu souriants.


- Monsieur Samson ? Edgar Samson ? Bonjour Monsieur ! Désolée de vous déranger, mais vous avez dû recevoir mon avis de passage ?


- Sais pas, j’n’ouvre point l’courrier !...


- S’il vous plaît pourriez-vous ranger vos chiens, si l'on pouvait se parler au calme.


- Dame ! Vont point vous bouffer, sont braves !...


Il les enferme dans la remise à bois.


- Entrez donc et regardez pas le décor, je n'ai plus de femme de ménage.


Il repousse une assiette sale et un croûton :


- On va se mettre là ! Voulez-vous un café ? dit-il écartant le chat endormi sur le banc.


- Non merci j'en ai pris il y a 10 mn dit-elle contemplant la pièce en désordre.


- Je suis Madame Pichon de votre caisse d’entraides mutuelles, la CREM* dit-elle en allumant son ordinateur. Voici l'objet de ma visite Monsieur Samson, à cette heure vous accumulez un énorme retard de cotisations ...


- Bah ! Je sais bien que c'est pour des sous que vous venez et pas pour mes beaux yeux ; des sous je n’ai point : plus une brebis, plus un agneau, plus rien ! A mon âge croyez-vous que c'est une situation ?! J'en suis à attendre les mandats de ma pauvre fille qui élève seule ses deux gamins ! Vous trouvez ça normal vous ?


Les doléances des ruraux, Anne Marie Pichon en entend : rodée à la législation complexe du monde agricole, elle anime les stages de sensibilisation de la Caisse Mutuelle ; en professionnelle avertie, elle connaît les sautes d’humeur de ces gens souvent acculés au désespoir. Issue de ce milieu elle sait maintenir le dialogue tout en restant ferme sur les objectifs : récupérer les arriérés de cotisations.


- Vous aviez reçu de nombreux rappels et votre cas a été mis au contentieux d’où ma visite. À ce jour, nous vous réclamons trois années d’impayés auxquels s’ajoutent les frais de dossier et d'huissier. Vous êtes d'accord ? Ça fait bientôt trois ans que l’on vous informe...

 

- Qu’on m’informe, qu’on m’informe ! Qu’on me menace oui ! J'ai demandé un étalement à une dame au printemps, j’ai même passé une matinée dans vos bureaux avec de la moquette jusqu’au plafond, des ordinateurs et des machines à café que c’est payé avec nos sous et j’ai même fait appel aux gens du syndicat, la Confédération Rurale là ! Vrai ou faux ?


- Si vous le dites Monsieur Samson ! Je vous crois; pour ce qui me concerne je vous réclame à ce jour les douze mensualités plus les frais ; il vous est possible de demander un recours gracieux pour ces frais en remplissant ce formulaire destiné à la Commission de Recouvrement.


Elle sort un imprimé et lui tend un stylo : vous écrivez là « Bon pour accord » en toutes lettres, la date et vous signez ici.


J’écris rien... j’signe rien et vous vous me débarrassez le plancher, ça suffit vos conneries : payer pour rien toucher quand on est dans la mouise ! Terminé !


Edgar exaspéré se lève et sort dans la cour ; Anne Marie paniquée à l'idée qu’il va libérer les chiens se précipite vers sa voiture : faisant volte-face, il lui saisit le bras et la plaque brutalement contre l’auto.


- Arrêtez Monsieur Samson, ne faites pas ça, vous pourriez avoir de graves ennuis !...


- Ma belle j'en ai d'jà plus qui n’en faut alors tu vas pas t’en tirer à la parlote et il l'entraîne vers la bergerie désertée.


Les chiens hurlent dans leur réduit. Terrorisée, Anne Marie découvre ce hangar vide, l’odeur âcre du fumier, les mangeoires encore pleines de foin odorant, des ficelles bleues en vrac sur les balles. Le paysan prend une des ficelles au passage et saisissant les poignets de la femme les lui attache sans ménagement ; elle hurle « A l’aide, au secours !.. » sa voix résonne sous les tôles, les aboiements couvrent ses cris. Ce secteur tout au bout du village est peu fréquenté : les premiers voisins sont à plus de 100 mètres. Elle lance un coup de genou, tente de le déséquilibrer comme elle voit faire ses enfants au cours de judo.


Mais l’homme est alerte, il esquive et la culbute, nez dans les crottes de mouton ; elle sent la peur l’envahir, une peur sourde : il faut le calmer, le distraire, lui parler simplement mais elle ne peut articuler une phrase...


- Ah ma belle pintade tu fais moins ta maligne à présent hein ! Tu vas voir de quel bois on se chauffe chez les Samson... !


Il lui colle un genou sur la nuque comme il faisait à ses brebis aux tontes de printemps et lui passe un autre lien autour des chevilles.


Le désespoir l'envahit, elle sanglote incapable de prononcer un mot : elle aurait voulu lui donner un coup de pied, un coup de tête, le mordre : trop tard et ça va mal finir. Tirant de sa poche un mouchoir crasseux, comme dans un western de série B, il la bâillonne puis la chargeant tel un ballot sur l'épaule se dirige vers le pré derrière le bâtiment.


- Et maintenant tu vas apprendre la campagne, t’auras toute la nuit pour réfléchir à ton boulot de merde mais, rassure-toi, demain y fera jour !

 

Il la redresse contre un vieux pommier, défait son ceinturon pour tel un condamné au poteau d’exécution l’attacher au tronc : tu vois, y reste deux crans, je pourrais serrer plus fort mais c’est juste pour te donner une bonne leçon et que tu pisses dans ton froc comme un vieux.


Il regagne la cour maintenant dans la pénombre et libère les chiens.

Dans la cuisine sur la table, l’ordinateur et les documents : il s’en saisit et les balance dans la cheminée où mouronnent quelques braises, puis se réchauffe le café du matin, le calva à portée de main il s’en verse une bonne rasade.


- Tiens ça va me remettre les idées en place » ... quand une détonation soudain le fait sursauter : l'ordinateur brûle en crépitant, l'écran vient d'exploser.


Mathilde : « Mais cette pauvre femme est restée attachée toute la nuit à son arbre ?


- Attends, je t'ai dit que ça finissait en tragédie, un peu de patience ma chère ...

 

Pendant ce temps, au verger, notre Anne-Marie se repasse le film des événements : elle tremble, la fraîcheur tombe sur le vallon, une chouette lance son cri aigre: « Comment ai-je pu me retrouver dans ce guêpier ? A quel moment ai-je dérapé pour que ce vieux se transforme en tortionnaire ? Et qui va s'inquiéter ? Au siège à cette heure il n’y a plus que les femmes de ménage et le gardien de nuit. Et les enfants ?!


Sa vue s'adapte à la nuit, derrière, elle perçoit des bruits étranges dans les fourrés : un blaireau peut être ?


C’est dangereux ces bestioles, comme le père Samson et ses sales clébards qui vont me bouffer...


Le bruit de sa voiture qui démarre, la marche arrière qui grince : Edgar s'enfuit au volant de sa voiture de service … Cette fois, ça va vraiment mal se terminer !

- Et j’imagine qu’elle sera dévorée par les chiens comme Ste Blandine ? demandais-je.


- D'abord Ste Blandine n'a pas été dévorée, les méchants lions ont refusé de jouer le jeu et je te rassure notre séquestrée s’en est sortie » poursuit Fred qui, saisissant le journal posé là, l’ouvre à la page « faits divers » : tiens la suite, la voilà ! et maintenant on va pouvoir passer à table !...

- Mathilde ! Sois mignonne, lis nous le papier de Fred pendant que je m’occupe du feu dis-je en quittant mon siège pour allumer le barbecue. 

 

- Alors non seulement Madame se tape la cuisine mais en plus elle doit lire le journal car Monsieur est occupé !... ben tu le liras toi-même, moi, je vais faire un tour de jardin c’est magnifique tous ces beaux asters ...


- Ah moi qui croyais que c'était des marguerites ! Des asters ? Tu es sûre Mathilde ?s’enquiert Frédo.


- Sûre et certaine ! mon beau Frédo, et je vais nous en cueillir un gros bouquet.

 

 

L’écho de la Plaine.



Affaire de la séquestrée de St Martin du Bocquey : un témoignage.
 

L’agriculteur retrouvé noyé au Pont de la Coudre.


La voiture de service sortie de la rivière par les secours. (Photo Fred Alban)

 

On en sait un peu plus sur la triste aventure de cette femme retenue contre son gré par un agriculteur se prétendant harcelé par les mutuelles agricoles. Les faits relatés dans notre édition d’hier semblent corroborer la thèse du coup de folie.


La voiture de service a été retrouvée vers le Pont de la Coudre par la gendarmerie. À son bord le corps sans vie du paysan. Le véhicule n’a pas freiné avant de plonger dans la rivière longeant cette petite route : la thèse du suicide semble retenue.


Voici le témoignage de l’habitante de la commune, Joëlle A. qui est venue en aide à la malheureuse :


« Vers minuit et demi, j’ai entendu un appel sous ma fenêtre encore éclairée car je lisais. Une inconnue, choquée, vêtements en désordre et pieds nus demandait secours. Je l’ai faite entrer et l’ai réconfortée : nous avons pu joindre son mari qui est venu la récupérer ; j’ai aussi averti notre maire Jeanne Chapeau et la gendarmerie locale » déclare cette femme encore sous l’émotion.


Elle poursuit : « Venue récupérer les arriérés de cotisations agricoles et après un échange qui a dégénéré en altercation, cette déléguée au contentieux s’est soudainement retrouvée ligotée à un pommier et bâillonnée sans pouvoir signaler son drame.


Puis, dans son accès de folie, l’agriculteur s’est enfui au volant de sa voiture pour finir où l’on sait.


A notre question « Comment a-t-elle pu se libérer ? » et c’est là l’aspect insolite de cette sordide affaire, le témoin poursuit : « Elle m’a dit que c’est la chèvre, occupante de ce verger qui avait brisé les liens avec ses cornes. J’ai toujours pensé que les humains avaient encore à apprendre des animaux » conclut cette habitante très appréciée dans la commune.


Sur décision du maire, Biquette, l’héroïne involontaire de cette histoire, a été confiée à une voisine : elle s’y trouve en bonne compagnie : dans le pré pâturent déjà âne, chevaux et chèvres.

Aide-mémoire :

 

CREM : Caisse rurale d’entraide mutualiste: le siège est à Caen.


CARI : Confédération agricole rurale indépendante / maison de l'agriculture


Fred Alban, correspondant local


Anne Marie Pichon 41 ans déléguée au contentieux CREM


Edgar Samson 68 ans agriculteur éleveur écologiste anti vaccins


Jeanne Chapeau maire de la commune


Aimé Lecaplain 1er adjoint chargé du patrimoine, de la voirie et des réseaux.
Adjudant-Chef de gendarmerie.

 

Obsèques d’Edgar Samson mardi 15 h en l'église St Martin du Bocquey.

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commentaires

P
Merci pour cette nouvelle qui, assurément fait de son auteur un digne héritier de Maupassant. Encore bravo !
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