Samedi en fin de matinée alors que je me rendais à mon déjeuner j’ai fait une halte chez mon opticien boulevard Raspail. Ayant attaché ma monture face à la librairie Gallimard avant de repartir vers ma destination finale j’ai jeté un œil aux livres exposés dans la devanture.
Et là, que vois-je ?
Un livre, bien sûr, au titre évocateur Tour de France des villes incomprises, et surtout seing d’un bandeau sur lequel dans un globe de neige trônait un beau tracteur tout vert avec du jaune sur ses jantes : Vierzon.
Le tracteur de mon père : « le Société Française Vierzon de mon père, vert profond, pataud, massif, avec ses gros phares qui lui donnaient des allures de myope, son rythme haletant de monocylindre à deux temps crachotant une fumée bleue, c'est le souvenir des battages.
Ce monstre indestructible se démarrait à la main, plus précisément en balançant une grosse poulie, une fois sur deux l'éléphant se lançait à l'envers, il fallait recommencer. De plus, comme c'était un semi-diesel, on partait sur l'essence puis on passait au fuel et l'explosion était provoquée par un chapeau de fonte porté au rouge. C'était un rituel fascinant car des retours de flammes jaillissaient de l'énorme pot d'échappement.
La SFV fabriquait ses tracteurs à Vierzon et basait sa publicité sur la solidité, la durabilité, l'économie et c'était vrai la bête était indestructible et consommait tout ce qu'on lui présentait, même des huiles de vidange. Et pourtant le diesel a triomphé. La SFV a sombré, rachetée par une société américaine Case. C'était au tout début du Marché Commun et la France, grand pays agricole, n'a pas fait éclore de grandes entreprises de tracteurs ou de matériel agricole. Renault, la Régie comme on disait, assemblait son tracteur en important un moteur Perkins. Nos grandes plaines céréalières étaient investies par le vert de Class, le jaune de New Holland ou le rouge de Mac McCormick et le bleu ciel de Braud, un petit challenger angevin. »
J’écrivais ceci dans une chronique du 30 janvier 2006. ICI
C’était au tout premier temps des blogs, je prêchais dans le désert. Il me fallut attendre le 28 juin 2009 pour avoir la réaction de Rémy Beurion.
« Bonjour, je suis Rémy Beurion de Vierzon. Je rédige un livre sur les tracteurs de Vierzon qui paraitra en décembre aux éditions Castor et Pollux. Ce livre contiendra ds portraits et des témoignages et de très nombreuses photos de tracteurs de Vierzon. Votre témoignage m'intéresse. Pourriez-vous me contacter au … Si vous pouviez relayer cette information sur votre blog, j'ai lu les commentaires laissés par d'autres internautes. Un grand merci d'avance. »
Dans le livre de Vincent Noyon, le chapitre sur Vierzon est « piloté » par ce cher Rémy Beurion, journaliste au Berry Républicain à Bourges, mais vit à Vierzon.
Il est sur face de Bouc
Il est furax Rémy « Vierzon n’aime pas ses tracteurs… »
« Vierzon (Cher) est une petite ville de 27 000 âmes situées aux portes de la Sologne et aux portes de la Champagne berrichonne. Rester aux portes de tout est le propre des paillassons, mais on ne s’est pas toujours essuyé les pieds sur Vierzon. La ville a eu son âge d’or entre la Révolution industrielle et les Trente Glorieuses. On y fabriquait de la verrerie, de la porcelaine et des machines agricoles (le fameux tracteur de Vierzon). La culture ouvrière a forgé l’âme de cette petite ville industrieuse, qui continue de voter communiste vaille que vaille – comment en serait-il autrement quand des générations de Vierzonnais sont nés à la maternité de la rue Karl Marx ? »
« On y dénombrait 158 bistrots en 1950, des cabarets et des guinguettes. »
« Évidemment, les industries sont parties les unes après les autres, laissant la ville pantelante. »
« La tradition industrielle de Vierzon remonte en fait à l’installation des forges en 1779. Des manufactures de porcelaine et de verreries s’implantèrent au XIXe siècle. Le minerai était acheminé par le canal du Berry, et la marchandise repartait par les trains de la ligne Paris-Orléans dès 1847. Lorsqu’un certain Célestin Gérard ouvrit son atelier de réparation de matériel agricole en face de la gare, il inaugura un siècle de prospérité industrielle pour la ville. Le grand homme, qui a son buste devant l’ancienne usine, est à l’origine de la première locomobile française. »
« En 1957, « la Française »employait encore 1740 personnes et une foule de sous-traitants. »
« Les derniers ouvriers sont partis en 1995. »
« C’est d’ici (l’usine B3, ce majestueux bâtiment en brique coiffé d’une verrière est une cathédrale industrielle) que sortait le Vierzon, tracteur robuste, simple d’utilisation et peu onéreux. »
Pour finir un petit coup de rétro sur les bistrots de Vierzon :
« Nous sommes à présent au café chez Rachel. Avec son comptoir rétro et ses tables en formica, c’est le plus vintage des vieux zincs de Vierzon. L’Âne qui renifle, le café du Pouriau, le café du Carnaval, le Bazile-Bar, l’Olympic, la Grenouille, le Poisson frit ont tous disparu. « C’étaient des cafés corporatistes : les jardiniers du quartier de l’abricot se retrouvaient au Pouriau, les cheminots au café du Dépôt ou au café des Gueules noires, les pêcheurs au Goujon qui tète. Au Torchon sale, il n’était pas rare de trouver un moucheron mort au fond de son verre. Au Penalty, on surnommait la patronne « la poilue ». Souvent, les cafés se trouvaient dans la maison même des propriétaires. »
Mon père Arsène allait chercher ses tracteurs SFV à Vierzon et revenait à 20 Km/h jusqu’au Bourg-Pailler de la Mothe-Achard. Belle trotte, autre époque, on prenait le temps…
Le soir de mon premier bac je suis passé en train de nuit à Vierzon… la transversale Nantes-Lyon… j’allais faire le moniteur de colonie de vacances dans l’Yonne… tenue par les Vendéens de Paris…
Enfin, même si ça fait mal au cœur de Remy Beurion il est impossible d’échapper à la chanson de Jacques Brel :