« Dans notre société hypermoderne et « performeuse », la pure spontanéité est devenue rarissime. Tout le monde est plus ou moins factice, joue un rôle avec une gravité sans faille. Du PDG qui enfile chaque jour son costume sombre de tueur en col blanc au bad boy des cités qui arbore ostensiblement sa tenue ultra-codifiée de gangstarap, tout le monde fait l'acteur, endosse une panoplie permettant de s'identifier socialement.
Il n'y a pas si longtemps, les métiers avaient un uniforme, dans la rue on pouvait voir passer le charpentier, le maçon, ou le bougnat, cette fierté d'appartenir à une corporation les dispensait d'avoir à jouer un rôle, il leur suffisait d'être, tout simplement. Depuis, les frontières se sont brouillées, et chacun choisit son propre habit de scène au magasin des accessoires, c'est-à-dire chez Armani ou chez Décathlon, ce qui aboutit, non à la diversité, mais au contraire, à une forme de standardisation fondée sur quelques archétypes convenus et débouchant sur l'anonymat pur et simple... »
Olivier Bardolle Des ravages du manque de sincérité dans les relations humaines L'Esprit des Péninsules
Le comble de l’uniformité serait-il de s’habiller tout le temps pareil !
Steve Jobs, le patron d’Apple, après avoir caressé l’idée au début des années 80 d’imposer un uniforme à ses employés, accumula au fil des ans plus d’une centaine de polos noirs à manches longues et col cheminée de la marque St. Croix, ainsi que des dizaines de paires de 501 Stonewashed et de New Balance grises, modèle 991.
L’écrivain Tom Wolfe, collectionne les costumes blancs qu’il arbore chaque jour, tout au long de l’année.
En France, BHL, Michou, Thierry Ardisson, ont forgé leur image autour d’une charte graphique précise : chemise blanche ouverte pour l’éternel nouveau philosophe courant sur tous les fronts de la planète, que du bleu pour le noctambule montmartrois y compris les lunettes, rien que du noir pour le poseur de question « est-ce que sucer c’est tromper ? »
« À chaque fois, ces tenants de l’uniforme civil, il y a la volonté de faire passer un message. Ils ne s’habillent pas, ils communiquent. Pour Ardisson, le noir est aussi le moyen, outre de cacher un imposant arrière-train, de marteler qu’il n’est pas un animateur télé ordinaire… »
Marc Beaugé.
Pour ma part je n’aime pas les uniformes civils ou militaires – lisez moi bien pour en porter un chaque jour – alors être habillé chaque jour en deuil comme Ardisson ou être accoutré été comme hiver d’un col roulé comme l'était Steve Jobs ce n’est pas ma tasse de thé.
J’aime changer de vêtements selon mes humeurs, le temps qu’il fait, du lieu où je vais…
J’aime les couleurs…
Le seul uniforme que j’ai porté fut un sarrau d’écolier, gris ou noir.
Détournement d’uniforme
« Des tenues de chantier aux habits militaires, les vêtements professionnels sont réinterprétés par les créateurs dans des matières plus nobles.
Lors des défilés de janvier dernier pour l'automne-hiver 2015-2016, combinaisons de chantier revisitées, vert militaire et orange signalétique, sacs marins et chaussures de sécurité pour la ville.
Dans un atelier de maintenance de la RATP, Dries Van Noten présente des dockers empreints de poésie. Ils sont vêtus de parkas, gilets de protection et autres cabans dont les bandes phosphorescentes se seraient changées en broderies ou étoffes moirées.
Chez Umit Benan, l'homme prend des allures (très littérales) de pêcheur - pull marinière et salopette en toile enduite jaune - quand, chez Jil Sander, Rodolfo Paglialunga applique le souci d'épure de la maison à des vestes multipoches assorties de pantalons resserrés à la cheville façon treillis, et de gros godillots à semelles crantées.
Bien entendu, ce n'est pas la première fois que le vêtement de travail sort du cadre professionnel. «C'est à la fin du XIXe siècle que la haute bourgeoisie commence par détourner les tenues de travailleur pour la pratique du sport. Par exemple, les chandails et tricots de corps en coton que l'on ose alors porter pour jouer au tennis. Fonctionnelles, pratiques et confortables, ces pièces sont ensuite devenues des classiques du dressing contemporain au fil du siècle dernier», rappelle Xavier Chaumette, historien de la mode. Dans les années 1960 et 1970, bleus d'ouvriers, uniformes de soldats et manteaux de marins ont accompagné l'émancipation de la jeunesse.
Reste que l'apparition du vêtement de travail dans les collections de prêt-à-porter témoigne généralement de l'essoufflement d'un modèle. Pendant la guerre du Vietnam, les jeunes hippies détournaient habits militaires et vestes de travail en symbole de paix. Plus récemment dans les années 1990, des labels comme APC les ont remis au cœur d'un style désigné comme antimode. «Ces pièces somme toute très basiques sont souvent le signe d'un ras-le-bol de la mode. Leur simplicité nous rend tous égaux et son côté passe-partout est un refuge», décrypte Xavier Chaumette.
« Les hommes ont la passion des idées simples, le complexe, l'ambigu, le raffiné les inquiètent, la mentalité générale procède d'une psychologie de basse-cour. Tout doit être conforme, convenu, prévisible. »
Olivier Bardolle
Carrière : haro sur les costumes insipides ICI
Quelle cravate : la bleue ou la noire ? Selon la BBC, la façon de s’habiller pour se rendre au travail revêt bien plus d’importance que ne le laisse transparaître cette question d’esthétique. Un costume gris ou noir classique, par exemple, ne permet pas à celui qui le porte de marquer les esprits lors d’une présentation. Un vêtement trop banal pourrait même freiner la carrière, assurent en chœur des stylistes de grandes maisons de couture. Venant du monde de la mode, cette affirmation est plutôt attendue. Mais la recherche scientifique va également dans ce sens. Ainsi, une étude allemande établit un lien direct entre la perception de soi et les vêtements portés. Professeure de psychologie à l’université du Hertfordshire, Karen Pine rappelle de son côté qu’on juge en quelques secondes une personne qu’on rencontre pour la première fois et que les habits jouent un rôle primordial dans cette première impression.