Cette chronique était en boîte pour publication ce dimanche avant que l'ami Jean-Michel Peyronnet ne m'apprenne la triste nouvelle. J'étais sur mon vélo. Plein d'amis m'ont fait parvenir des messages d'amitié qu'ils en soient remerciés. J'ai décidé de publier mon texte tel quel mais j'ai changé le titre.
Pour moi une page se tourne, une page intense, belle, pleine de souvenirs, de partage, de combats, de convictions communes. Je suis fier d'avoir travaillé au service de Michel Rocard pour le bien public, le service de notre pays. J'ai à cette heure de la nuit le coeur gros, très gros.
Vous comprendrez que ma peine me réduit au silence, au recueillement, pour partager la peine de son épouse, de ses enfants et petits-enfants, et de toute sa famille, que j'assure de mon affection et de mes condoléances émues.
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Le Rocard vieilli bien, son « testament politique » dans le Point a le mérite de « parler vrai ». Bien sûr les railleurs railleront, les mitterrandolâtres crieront pour la énième fois à la trahison, la gauche de la gauche qui a fait un long chemin, tel Mélanchon, sous Mitterrand entonnera ses couplets habituels…
Pour tout dire ça ne me fait ni chaud ni froid, je ne suis pas un idolâtre, je ne bois pas les paroles de Rocard avec des regrets, je ne partage pas toutes ses analyses trop souvent fondées sur sa connaissance du mouvement socialiste, cependant dans le désert actuel des idées, le règne de l’instantanéité, je tente d’assumer avec lui notre part de responsabilité dans l’état de notre pays.
Des débats, il n’y en a plus, ne restent que des invectives, des slogans, du prêt-à-penser, aucune alternative fondée sur la réalité, nous pestons, nous nous exonérons de nos votes, nous faisons comme si la pauvreté de l’offre politique n’était pas de notre fait.
Rocard est d'une bien belle jeunesse...
Si vous souhaitez accéder à l’intégralité de l’interview c’est ICI
Dans le même temps les Inrocks publiaient un tête à tête entre Houellebecq et Macron. C’est le Michel qui a souhaité cette rencontre.
Je n’ai pas de lien permettant d’accéder à l’intégralité alors je vais me contenter d’extraits :
MH : Le problème viendrait du fait que les politiques promettent le bonheur aux gens ?
EM : En partie, oui, puisque de nombreux politiques vivent dans cette ambiguïté, alors qu’aucune organisation politique ne peut faire le bonheur des gens malgré eux.
MH : Je suis entièrement d’accord. On ne peut promettre ni prospérité ni bonheur. Je ne demande pas cela à un président de la République, mais plutôt d’être un bon chef, un chef des administrations (il ne faut pas oublier les armées, je n’ai jamais pensé que le temps des guerres étaient derrière nous). Enfin, quelqu’un en qui je puisse avoir confiance en cas de grosses difficultés…
[…]
EM : … Je crois en effet à la conscience éclairée. Après l’Etat ne doit pas légiférer à chaque problème, à chaque émotion collective. Cette névrose politique fait de l’Etat une structure politique hypermaternante.
MH : On légifère trop, c’est vrai. Et c’est vrai aussi que l’utilisation de l’émotion collective est déplaisante, je ne demande pas au président de la République de se rendre sur les lieux d’une catastrophe et de se faire compatissant, et alors ? Sur la verticalité des prises de décision, en cas de guerre, il n’y a pas besoin de consulter la population. L’objectif est clair et consensuel : il est – si possible – de la gagner. Dans ce genre de contexte, une relation verticale s’installe naturellement si le chef est bon.
[…]
Les Inrocks : Le malaise existentiel de l’homme contemporain induit par le libéralisme économique est un thème qui traverse tous les livres de Michel Houellebecq.
MH : C’est très dépriment pour l’homme contemporain d’être réduit à un homo-economicus, un être de décision rationnel qu’il n’est pas.
EM : dans tes livres, tu décris une organisation consumériste, capitalistique qui réduit les hommes à l’état d’ilotes (esclaves des spartiates – ndlr). J’ai l’impression que ce qui te rend pessimiste, c’est le système tayloriste qui réduit les êtres à des fonctions. Mais il ne faut pas confondre le capitalisme et le libéralisme. Le libéralisme c’est l’attachement à la liberté, c’est la confiance dans l’homme. Nous sommes des individus intenses, on a tous une spiritualité, une envie d’exister, de prendre des responsabilités. En théorie, penser le travail en termes de durée est un faux problème. Quand le travail nous ennuie, est répétitif et pénible, c’est déjà trop de travailler 35 heures. Quand le travail passionne, t’émancipe, tu veux travailler plus.
MH : Certaines tâches ne pourront jamais être rendues intéressantes ; pour celles-là, maintenir une durée maximale du travail est indispensable. À l’inverse, des tâches passionnantes ne sont pas valorisées, comme l’intelligence de la main. L’échec du communisme a une origine claire et unique : les gens ne foutaient rien parce qu’ils n’étaient pas motivés par la construction de l’homme nouveau, etc. Cela dit, le capitalisme fournit une seule motivation, l’argent, et c’est pauvre. Le slogan « travailler plus pour gagner plus » est un peu restreint. L’artisanat monastique montre clairement que l’argent n’est pas la seule motivation pour travailler. L’honneur de la fonction compte aussi beaucoup pour certains postes.
[…]
EM : je n’aime pas la catégorie « jeunesse ». Il n’y a pas une jeunesse.
MH : La jeunesse finit à 26 ans, à la fin de la carte de réduction SNCF…
EM : Et la vieillesse commence alors à 60 ans avec une autre carte de réduction. Au milieu, c’est un no man’s land un peu indistinct.
MH : Entre-temps, c’est l’âge emmerdant où tu dois réussir dans la vie. Tu as des responsabilités, c’est l’âge difficile, l’âge adulte.
[…]
MH : Est-ce que tu fais partie des gens qui pensent que l’Etat doit orienter l’économie ?
EM : Je ne suis ni un fanatique de l’interventionnisme étatique, ni un libéral crédule qui pense que l’Etat n’a aucun rôle à jouer. On doit définir le cadre économique qui permet aux acteurs de réussir et en même temps protéger les plus faibles de toute concurrence déloyale en cas de dumping. Sans ça, dans un monde ouvert, notre modèle périclite.
MH : C’est important, je me permets de te faire répéter : tu es pour une certaine protection quand il y a dumping.
EM : Je suis tout à fait pour : c’est économiquement nécessaire et politiquement essentiel. J’essaie de l’appliquer depuis six mois sur l’acier chinois. L’Europe ne protège pas assez son économie. Sur l’acier, on avait des surcapacités qu’on a réduites en fermant des usines, en demandant des efforts. Puis les Chinois déversent leur acier subventionné sur le marché européen et cassent les prix. Et on ne protège pas. On met des mois à réagir avec un tarif de douane de 20%, là où les Américains mettent 500% ! C’est une faute économique Cela va détruire des usines, on va sous-produire et devenir dépendant économiquement. Cela va créer un problème de souveraineté : on aura besoin d’acier et je ne veux pas dépendre des Chinois.
[…]
MH : Je ne savais pas que tu pensais ça sur l’acier chinois. Cela m’a rassuré.
Du côté de papy Rocard :
Question : En France, on ne parle plus que d’Emmanuel Macron. Est-ce un homme de gauche ?
MR : La vérité française, c’est que l’on ne sait plus ce qu’est la droite et la gauche. Autrefois les critères étaient la proximité avec le PC et un degré d’étatisme important, préservé même à droite par de Gaulle. Deux archaïsmes dont Macron s’est totalement affranchi, mais il reste du côté du peuple, donc de gauche. Assurer un bien meilleur niveau d’emploi, Macron ne pense qu’à ça. Réduire les inégalités, on peut encore faire avec lui. Reste le vrai signal de gauche qui consiste à donner à l’homme plus de temps libre pour la culture, les choses de l’esprit, le bénévolat associatif, etc. Le capitalisme doit ménager cet espace. C’est le modèle démocratique à la scandinave.
Question : Emmanuel Macron et Manuel Valls affirment que vous êtes leur mentor. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
MR : Ils le font tout le temps, c’est gentil à eux et je les en remercie… Mais ils n’ont pas eu la chance de connaître le socialisme des origines, qui avait une dimension internationale et portait un modèle de société. Jeune socialiste, je suis allé chez les partis suédois, néerlandais et allemand, pour voir comment ça marchait. Le pauvre Macron est ignorant de tout cela. La conscience de porter une histoire collective a disparu, or elle était notre ciment. Macron comme Valls ont été formé dans un parti amputé. Ils sont loin de l’Histoire.
Cerise sur le gâteau : Mitterrand était, en fait, un homme de droite ?
MR : Tout le démontre. C’est évident. Mitterrand était un homme de droite. N’oubliez pas qu’il est devenu premier secrétaire du PS moins de trois mois après avoir pris sa carte… Comme accoutumance à une longue tradition culturelle, c’est un peu bref.
Ce qui a scellé la qualité de nos relations, c’est que j’ai écrit, pendant la guerre d’Algérie, qu’il était un assassin. Ministre de la Justice, il refusait d’instruire les demandes de grâce des condamnés à mort. Il faisait la grève administrative pour tuer. Forcément, il n’a pas aimé…