Lors de l’une des nombreuses et somptueuses cérémonies qui ont marqué mon anniversaire, au bar Hemingway du Ritz, Judith, je crois, évoqua les riches heures du Montparnasse des artistes et dans ma tête un peu embuée par les vapeurs de nos buvaisons je me souvins d’une chronique pondue sur ce thème.
Grâce au petit moteur de recherche je l’ai retrouvée.
C’est une histoire vraie comme on n’en vit plus dans notre vie bien propre et bien sage disais-je le 16 juin 2008.
Rosalie Tobia, une romaine, qui au temps de la splendeur de ses appâts fut le modèle favori du maître des pompiers, le peintre Bouguereau, l’âge venant, s’épaississant, avait acquis pour 45 francs* une petite crèmerie, au 3 rue Campagne Première, où elle installa 4 tables et ce qu’il faut de tabourets.
Tout normalement elle baptisa sa crèmerie-restaurant Chez Rosalie.
La Rosalie, dure au labeur, a du cœur, n’aime pas les snobs et leur dit, s’emporte facilement pour redescendre aussitôt, prend parti et a un faible pour Amadeo Modigliani.
Entre eux deux c’est toujours la commedia qui vire souvent à la tragedia.
Bref, son Osso Bucco, sa lasagne al forno, ses tagliatelles et ses vins : barolo, valpolicella, frascati, lambrusco, chianti, le tout à petits prix, sont connus dans le monde entier. Rosalie est la madone des artistes dans la dèche et, Dieu sait, qu’ils sont légion dans cet état car comme le lui dit Modigliani :
« Un artiste ne peut gagner sa vie. Il peint… Le reste ? Pfutt ! Est-ce qu’on sait ? Vois !» en lui présentant une superbe étude de nu : Commediente l’Amadeo…
Mais revenons à notre histoire.
Un jour comme tous les autres jours, un jeune type barbu aux joues creuses, déjà bien éméché, pousse la porte de Rosalie. Il s’enfile trois verres de vin rouge, les paye, puis demande qu’on aille lui acheter des « caramels de couleur » * chez le marchand de couleur voisin.
On s’exécute. Il les mets dans sa bouche et quand ils sont à point, bien mous, il se met à peindre directement sur le mur des esquisses de Montmartre. L’artiste c’est Maurice Utrillo surnommé par les poulbots de Montmartre pour son goût immodéré de la boutanche : Litrio.
Sur les entrefaites, Modigliani entre chez Rosalie. L’estime des deux peintres est réciproque : ils tombent dans les bras l’un de l’autre et entament des libations vineuses. Les bouteilles descendent sans que les deux larrons daignent mettre la main à la poche.
Rosalie s’inquiète, demande son dû et de guerre lasse les prie d’aller cuver leur vin ailleurs. Litrio balbutie pour se dédouaner :
« Regardez ce que je viens de vous peindre sur votre mur » et reçoit en retour une volée de bois vert « Je ne vais pas découper le mur pour payer mon vin » éructe-t-elle.
Rosalie se déchaine en exploitant toute la palette du vocabulaire d’une matrone du Transtevere. Pendant ce temps les deux maîtres se font assaut de compliments : « Le plus grand peintre c’est toi » « Non, c’est toi » pour en venir aux mains et tout casser dans la crémerie de Rosalie.
Les pandores en pèlerine, alertés par le souk des deux compères, ramènent leur gros tarin et les menacent de les embarquer au commissariat de la rue Delambre. Litrio, en dépit de sa vinosité avancée, trouve la force de bredouiller le sésame des artistes en perdition : « Lé-on Za-ma-ron » Les hirondelles se font alors clémentes.
Mais, me direz-vous, qui est ce Léon Zamaron ?
Si vous voulez le savoir rendez vous ICI