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8 juin 2016 3 08 /06 /juin /2016 06:00
« B… éclata d'un rire énorme et jeta une mie de pain saucée dans la bouche d'A... » L’art de saucer est-il un art brut pour péquenots…

C’est du Zola dans Germinal, 1885, p. 121.

 

Saucée, en ce moment vu l’état du ciel en France, sauf en Bretagne, dès que nous mettons le nez dehors nous sommes violemment saucés.

 

« Elle venait de voir passer Mme Goupil « sans parapluie, avec la robe de soie qu'elle s'est fait faire à Châteaudun. Si elle a loin à aller avant vêpres, elle pourrait bien la faire saucer » Proust, Swann, 1913, p. 101.

 

« Le temps devient abominable (...). Hier nous avons voulu faire une promenade en mer et nous avons été saucés » Flaubert, Correspondance, 1875, p. 223.

 

Dans L’art de saucer, son livre paru aux éditions de l’épure, Malayen Zubillaga nous explique que saucer est « une pulsion primitive, une manière instinctive de goûter le monde… »

 

 

Elle prévient : ça ne se fait pas au nom des codes du savoir-vivre.

 

  • Dans le genre injonction « aussi sèche qu’une hostie dominicale » par Le Petit Larousse du savoir-vivre : Ne saucez pas votre assiette avec du pain.

  • C’est la règle pour le Guide de l’étiquette et du savoir-vivre, avec une exception pour les préparations rustiques de péquenots, même pas en famille car « ces mauvaises habitudes choqueront inévitablement l’entourage et pire, une future belle-mère. »

 

  • Pour La Varende « c’est le commun qui lèche son écuelle »

 

Au Bourg-Pailler, la mémé Marie coupait dans la mie du pain de 4 livres des « petites béchées* » pour que nous puissions saucer.

 

* bouchées en patois vendéen

 

Dans mon petit roman du dimanche, le 24 décembre 2006, j’ai même écrit ça :

 

Elle rit : « et moi tu m'adores comment ?

 

- Comme le beurre de sardines...

 

- J'ai peur...

 

- Quand j'étais petit j'aurais vendu mon âme au diable pour une bouchée de pain qui avait saucé le beurre de sardines...

 

Là, je m’inscris en faux sur la supposition de l’auteur comme quoi « la baguette a été inventée pour saucer. »

 

La baguette c’est un truc de parigots tête de veau et je m’étonne qu’une Marseillaise puisse verser dans un tel parisianisme.

 

Mais il lui sera beaucoup pardonné car elle cite Desproges : « […] il faut être végétarien ou socialiste pour ne pas comprendre l’intense martyre qu’enduraient quotidiennement les malheureux gastronomes de ces temps obscurs. Pour bien imaginer la cruauté d’une telle frustration, essayez vous-même, misérables profiteurs repus de la gastronomie laxiste de ce siècle décadent, de saucer un jus de gigot à la pointe du couteau ou encore les dents d’une fourchette. C’est l’enfer ! C’est atroce ! »

 

Plus encore, je lui accorde les oreilles et la queue pour son humour roboratif : « En Espagne, où saucer se dit mojar (ce qui signifie aussi « mouiller ») (je dis ça je dis rien) »

 

« À Marseille, on ne rigole pas avec les pieds et paquets : si on prépare soi-même les paquets – on en trouve des tout prêts chez la plupart des bouchers –, il est INTERDIT D’UTILISER LA FICELLE pour les fermer. Ce serait comme oser mettre les glaçons avant l’eau dans le Ricard, oublier la rascasse dans la bouillabaisse ou supporter le club de foot de Toulon… »

 

J’adore les Pieds&Paquets et dans une chronique j’écrivais « La première trace des Pieds Paquets – pas mal non – remonte à 1476 au dîner offert par les chanoines de St Trophime d'Arles pour les funérailles de leur confrère Étienne Roberti. Ils sont apparus la première fois dans les recettes du livre de Clément Marius Morard en 1888 et leur réputation grandissante fera écrire à Blancard peu avant les années 1930 qu'ils sont «presque aussi renommés que la Bouillabaisse» marseillaise. »

 

« Du côté de Marseille on galèje grave il se dit qu’un cuisinier dénommé Ginouvès aurait élaboré la recette au XIXe siècle, dans le quartier de « la Pomme », en s’inspirant de la panse farcie écossaise et des tripes à la mode de Caen. Même si cette référence à « la panse de brebis farci » me plaît assez car le sketch succulent de Jacques Bodoin. »

 

Humour certes mais aussi invocation, très je sauce le jus de mes tomates en salade au Flore, de Claude Lévi-Strauss avec son art de donner du goût au pain :

 

« Car il ne suffit pas de manger assez. Il faut, comme le proverbe français le dit excellemment, ne pas perdre le goût du pain, c’est-à-dire de stimuler et de maintenir l’appétence pour un aliment de base, fournisseur d’énergie, mais doté d’une faible saveur […]. La véritable base de la cuisine mondiale, c’est l’hydrate de carbone assaisonné par un condiment. »

 

L’auteur sait aussi admettre ses échecs lorsqu’elle se lance dans la bataille du pain « ma déception a été à la hauteur de mes naïves espérances, un peu comme quand je demande au coiffeur la coupe dégradée Meg Ryan et que je sors en ressemblant à Bernard Thibault. »

 

À ce stade de mon exercice de critique littéraire j’avoue que je suis allergique aux livres de recettes car, comme le note Malayen (un prénom qui ne devrait pas plaire à Zemmour) « Tout le monde peut suivre une recette dans un livre, mais peu de personnes savent spontanément harmoniser une salade composée… »

 

Même si je ne suis pas un alchimiste qui s’ignore, un « toque » en espagnol (prononcé « tôqué), ma ligne de partage est simple : soit je suis capable d’interpréter au feeling un plat, soit je vais au restaurant pour manger ce que je ne sais faire de cette manière.

 

C’est ici que se situe le génie de l’auteur de l’Art de saucer, ses textes donnent envie de se lancer dans l’aventure, ils sont savoureux, baguenaudent dans la vraie vie, s’égarent dans les souvenirs de famille ou de voisinage comme à Martigues (prononcer Martchigues) dans l’immeuble où 5 des 8 appartements étaient loués par une famille de la famille « Yvonne, t’y as des poivrans ? », grésillent dans la poêle, embaument la cuisine…

 

Bref, sans verser dans le dithyrambe, c’est de la belle ouvrage qui donne envie de saucer au nez et à la barbe des coincés du col et des bouches en cul de poule…

 

Mon choix dans cette mine s’est porté sur la Coda alla vaccinara spécialité romaine.

 

Pourquoi ?

 

Avec ma franche mauvaise foi : parce que j’ai un faible pour Virginia Raggi, candidate 5 étoiles aux élections municipales à Rome, arrivée largement en tête avec 37% des voix. Une nouvelle louve pour la ville éternelle ? Par pure diplomatie je ne vous dis rien sur notre maire à nous qui dit aimer le vélo mais nous offre une chaussée pleine de trous…

 

« Elle aurait été créée par les bouchers romains pour utiliser la queue après avoir vendu aux bourgeois les morceaux réputés nobles de l’animal. Classique (après les tripes et les pieds, je te présente la queue). On commence d’ailleurs par un mijotage traditionnel a la tomate et au vin, pendant plusieurs heures pour que la viande se décroche des os et que les ingrédients se fondent en une alchimie onctueuse et parfumée – magie gélatineuse de la queue de bœuf.

 

Mais la coda alla vaccinara est urbaine, insolente, presque sulfureuse : les restaurateurs ont pris l’habitude d’ajouter à cette base du cacao des raisins secs et des pignons. De quoi défriser la moustache du boucher de mon village… »

 

« Les Romains saucent la queue, dégustant la coda alla vaccinara avec du pain plutôt qu’avec des pâtes. Ça me plaît, ce pain qui occupe une place centrale dans le repas : on ne le pose pas avec des pinces dans une petite assiette en guise d’accessoire décoratif ou de coupe-faim bourratif ; on le prend à pleines mains, on l’imbibe, on le tète, on le mâche, on le trempe, on le gobe, ah ça oui, c’est la sauce. »

 

Allez avec Malayen assénons la belle formule du regretté Jacques Villeret, dans Papy fait de la Résistance, trempant une demi-baguette beurrée dans un œuf d’autruche devant des convives atterrés ( ne pas confondre avec les économistes) « L’humour, c’est l’une des choses que je préfère, avec l’infanterie et les pieds  paquets. »

 

L'art de saucer par Desproges : un très grand moment de radio au Tribunal des Flagrants Délires 

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