« La leçon n’est pas une démonstration elle est une explication solidement soutenue par une vie de travaux. Elle est aussi charpentée par un style, dont les qualités heureusement associées sont la rigueur et l’élégance… »
« À la différence de la dissertation académique, scolaire, la leçon n’est pas un exercice désincarné. »
Pascal Cauchy dans son Avant-Propos
« la France a longtemps vécu sur la coexistence d’une France plus développée, plus instruite, avec une alphabétisation en progrès, et une France moins bien dotée. La ligne Saint-Malo-Genève découvre ainsi bien des caractéristiques de ces deux France. Au nord, l’usage du cheval ; au sud l’usage du bœuf dans les labours. Au nord, l’openfield domine, au sud l’hétérogénéité des paysages privilégie la clôture. La taille des individus est plus élevée au nord grâce à une nourriture plus abondante et plus régulière. Surtout, le nord de la ligne connaît un développement industriel plus important que le sud et un nombre plus élevé de manufactures, malgré des mines de charbons abondantes dans la partie méridionale (Alès, Decazeville…). Tout cela doit être nuancé par l’existence de belles cultures régionales au sud. Le développement passe du nord au sud par la vallée du Rhône, par la vallée de la Garonne aussi. Enfin, certaines zones montagneuses sont de véritables oasis de développement et d’instruction. Dans les Alpes, au XIXe siècle, il y a des arrondissements qui sont de véritables « producteurs » et « exportateurs » d’instituteurs.
Cette frontière a été annulée par le fait que la Méditerranée est redevenue plus attractive au milieu du XXe siècle, tandis que des régions comme le Nord ou la Normandie prendront du retard avec la désindustrialisation. Le handicap géographique et pédologique de l’ouest armoricain a été comblé. Sur les marges, un dynamisme est notable, à l’est notamment, ou « l’axe lotharingien » (l’axe Rhin-Rhône) connaît une vive activité.
Sur le plan démographique, la frontière est également perceptible en particulier avant la Révolution. En effet on constate que, vers les années 1770 et 1780, la natalité est un peu moins forte globalement pour le royaume. En réalité, certaines régions pratiquent le birth control. C’est le cas dans le Sud-Ouest. Dans la vallée de la Garonne *, la famille de deux ou trois enfants s’installe durablement. En revanche, au nord de notre frontière Saint-Malo Genève, la vitalité c’est l’Alsace, le Nord, la Normandie, en particulier dans la région de Rouen.
Il y a bien sûr des exceptions ; c’est le cas par exemple dans la région bordelaise au dynamisme industriel faible mais douée d’une vitalité viticole extraordinaire. De même, en Languedoc cévenol et autre se développe une petite industrie très prospère mais qui disparaîtra sous l’effet de la monoculture viticole un siècle et demi plus tard (fin XIXe et XXe siècles).
Fondamentalement le Nord-est est plus dynamique, la forte natalité étant toutefois compensée par une mortalité élevée. Mais l’effet d’entraînement vient bien de cette partie de la France. On le note avec évidence quand l’espace français a été marqué par la dénatalité du XIIE siècle. Dès la Révolution, la famille française se réduit par le nord. À l’origine de la dénatalité, il y a le service militaire qui déniaise les jeunes gens, la déchristianisation (dans le Bassin Parisien en particulier) et l’héritage qui morcelle le territoire en parcelles de plus en plus réduites. Cela a des conséquences sur la croissance économique globale de la France au XIXe siècle qui est globalement inférieure à celles d’autres pays. On note avec l’historien américain Rondo Cameron, que, par tête d’habitant, le produit national est égal aux chiffres venus d’Angleterre, même si globalement l’impact économique britannique est plus considérable que celui de la France.
* Les vendéens de la Garonne
« Pendant cent ans, et jusqu'aux années 1950, les paysans vendéens sont ainsi partis s'installer dans les plaines du Sud-Ouest (...) La migration des Vendéens s'effectue par familles entières, via des agents, "marchands de biens", le plus souvent par cousinage ou par voisinage(...) Le mouvement concerne au moins 60 000 personnes jusqu'aux années 50-60, mais il est condamné sévèrement par les élites vendéennes, qui le voient comme une véritable désertion(...)
Mais comme toutes les migrations, les malentendus et les frustrations sont légion. Contrairement aux motivations et fantasmes qui portent l'exode habituel vers les villes, ces paysans-là ne veulent pas changer de métier, ni se débarrasser de leurs valeurs familiales, religieuses et politiques : ils veulent améliorer leurs conditions de vie(...) Arrivés dans des sociétés marquées par l'échec (vide démographique, grandes incendies des Landes entre 1937 et 1950, inadaptation au nouvel état d'esprit urbain) ils sont les étrangers qui prennent la place des enfants partis et, de surcroît, ils apportent de nouvelles façons de travailler la terre, des convictions religieuses et des mœurs familiales différentes(...)
Tout est chargé de connotations menaçantes : ayant en général de nombreux enfants, les Vendéens remplissent dans certains cantons des classes entières, à côté des enfants uniques des populations autochtones. Ils acceptent d'entrer dans des fermes en mauvais état, dans lesquelles ils introduisent des pratiques importantes comme l'enfouissement des engrais verts, la culture des choux fourragers (...) En outre ils s'associent des coopératives de vente et d'achats qui créent de nouveaux réseaux (...)
Les Vendéens suscitent au moins l'ironie et jusqu'au dégoût. De la même façon, la réunion, tous les dimanches, des fermiers autour de l'église du bourg, d'abord, au café ensuite, choque, car la population locale qui boit du vin tous les jours, ne comprend pas que ces buveurs d'eau toute la semaine se mettent à l'alcool et au vin à cette occasion (...) "
Extraits d'un article " les Vendéens de la Garonne " de JC Martin professeur à la Sorbonne publié dans Histoire&Patrimoine dans un dossier Les derniers Paysans ? Une identité contestée. Une formidable puissance menacée.