Foutus droits d’auteur, tu achètes 15€ une revue FEUILLETON, tu tombes sur un superbe texte d’Erri de Luca sur la parmigiana d’aubergines héritée d’Emma et de Lillina, sa grand-mère et sa tante « expertes en fritures et en tant d’autres bonnes choses. » et là tu es condamné à le déguster seul, pas moyen de le partager car © Éditions du Seuil, sous la marque des Éditions du sous-sol.
C’est chiant !
Bien sûr je pourrais faire circuler sous le manteau la revue Feuilleton mais l’époque est plutôt au partage sur les réseaux sociaux.
Alors, je suis obligé de saucissonner le texte d’Erri De Luca, de ne vous en livrer que des bouts, ce qui bien sûr lui ôte une bonne partie de sa saveur.
Dans Le plus et le moins chez Gallimard, mai 2016, page 26, Erri De Luca parle de la Parmigiana d’aubergines d’« Emma et Lillina qui « les préparaient en faisant passer le légume par trois feux. Elles coupaient les aubergines en tranches, les mettaient au soleil, la flamme la plus puissante, pour sécher leur eau et renforcer leur goût. Puis, elles les faisaient frire, dorant la cuisine d’une couleur de fête. Dernier feu, le four, après les avoir disposées par couches, chacune recouverte de sauce tomate, basilic, mozzarella et d’une poignée de parmesan. Trois feux participaient au plat qui coïncide le mieux pour moi avec le mot « maison ».
Mon ami Daniele De Michele, dit Don Pasta, l’homme de Puglia écrit à propos d'Erri De Luca sur son blog :
« Erri de Luca pourrait tranquillement me dénoncer pour plagiat. J'ai bu, mâché, volé son écriture, sa pensée, sa reprise de la pratique politique. J'avoue sereinement que son court texte, Trois feux en hommage aux lasagnes d'aubergines de sa mère, est à l'origine de tout mon travail sur la cuisine. À cette époque difficile je suis allé souvent à demander de l'aide à ses livres pour me protéger. J’ai fait appel à lui, qui utilise des mots plantés dans la terre depuis des siècles, comme nos oliviers, dans un temps où les gens utilisent des mots fuyants, vaniteux. Nos échanges épistolaires, même s’ils se sont fait par mail, je l’en remercie car dans ses réponses il utilise des pensées, des mots qui ont une cuisson longue, inexorable, comme celle des aubergines qui, avant d'être conservé pour l'éternité dans l'huile et le vinaigre, se sont laissées sécher par la vent et le soleil. »
Pour ceux qui ne connaissent pas Erri De Luca voici ce qu’écrit Marcelle Padovani
« Yeux bleu céramique, silhouette hiératique et passion tatillonne pour les citations bibliques. Voici Erri De Luca, 64 ans. Cet auteur prolifique (plus de soixante titres publiés) est aussi un militant buté et coriace qui n’en démordra jamais. Sa vie est imprégnée de mystère. (...)
Erri De Luca vit aujourd’hui en ermite avec ses deux chats dans la campagne romaine au-dessus du lac de Bracciano. Amant du secret, du silence et de la pudeur, il préfère en général «écouter que parler». (...)
Auteur encensé, il est connu en Italie pour une autre spécialité : son obstination à défendre les années de la révolution, du temps où il était responsable du service d’ordre de Lotta continua, un groupe qui flirta avec la lutte armée dans les années 1970 et 1980. On ne peut pas dire que son militantisme soit toujours apprécié. (...)
Son engagement aux côtés des «No TAV», les contestataires violents du train à grande vitesse Lyon-Turin, conduit le quotidien en ligne «Lettera43» à parler de l’«incroyable culot d’Erri De Luca».
Par lui-même :
« Écrivain est un titre pour piédestal et dans mon cas je retouche volontiers la formule : c’est quelqu’un qui écrit des histoires. Écrivain sonne péremptoire à mes oreilles, un omnipotent susceptible d’écrire toutes les histoires et non pas seulement celles extraites de son propre gisement. Ainsi, tout comme j’évite le titre d’écrivain, je ne suis pas non plus un cuisinier, mais quelqu’un capable de se préparer quelques plats. Mon préféré est la parmesane d’aubergines. Une coïncidence de lieux me fait rapprocher ces deux exercices, j’écris souvent à la cuisine, durant les heures de feux éteints. Des histoires, des pages s’en imprègnent. »
Tre Fuochi a été traduit de l’italien par Danièle Valin. Le texte a paru pour la première fois en 2012, chez Dante & Descartes, Naples. © Erri De Luca, 2012.
Erri De Luca écrit « souvent à la cuisine, durant les heures de feux éteints. Des histoires, des pages s’en imprègnent. »
Il écrit sur une table qu’il a fabriqué de ses mains il y a 20 ans à partir de chutes de bois. « La table de cuisine est le nombril de la maison, on ne doit jamais la déplacer. »
« Appuyé sur son bois, j’écris, je m’endors, je lis les pages de livres anciens sur lesquels, je me réveille, je coupe les aubergines. »
Des aubergines « Il lui en faut tous les mois de l’année. Sans parmesane d’aubergines, un mois est un exil »
«Pour De Luca ce plat l’enracine au sol, il plante son Sud dans son assiette « avec sa peau brillante, effrontément noircie par le soleil absorbé, le clair de l’intérieur qui doit être doré dans l’huile de la poêle. »
Il achète 1 kg d’aubergines.
Pour découper ses aubergines dans la longueur il se sert « d’une arme, une lame espagnole excessive par rapport à la résistance de l’aubergine. »
Des tranches pas trop fines qu’il va exposer à l’intempérie : « j’expose donc l’aubergine coupée à la première cuisson, qui consiste à lui faire perdre de l’eau et du poids entre une nappe et le ciel.
« L’été, une heure suffit, en retournant la tranche après 30 mn. »
« L’hiver, tout le soleil possible, car dès le matin on comprend si c’est un jour à aubergines. Mais quand l’envie du plat me prend en l’absence de soleil, je me fie au vent… Le vent aussi sèche ma lessive d’aubergines étendues en plein air.»
Puis vient le temps de la friture « dans une vieille poêle noire » il « verse une bonne dose d’huile, pour une pêche dans un demi-ongle de profondeur. Pas de l’huile d’olive, mais de l’huile d’arachide, qui convient à un plat de fête de cuisine modeste.
Conseils : « L’huile doit s’impatienter, cracher de petites bulles… » Couvrir toute la surface de la poêle sans superposer les tranches.
Armé d’une grande fourchette à deux dents pointues. « Appiza, c’est-à-dire je pique le bord de chaque tranche et je la retourne quand le côté immergé est déjà bronzé. Je les repique une à la fois en les tenant en l’air deux secondes, pour égoutter l’huile. »
Dépôt des tranches frites dans une passoire où elles subissent une « deuxième purge. Dans l’assiette qui est dessous, on recueille lentement ce qui reste : s’il n’y a presque rien c’est que la friture était bonne.
Autre conseil, laissez passer la nuit à vos tranches d’aubergines frites car « la parmesane d’aubergines est un plat reposé, sage. »
Puisque la nuit a porté conseil, dans la poêle encore grasse de friture, Erri De Luca mets « un demi-kilo de tomates pelées qui se frottent au reste de saveur... » Ses deux vielles cuisinières, Emma et Lillina, sa grand-mère et sa tante, « ajoutaient un double concentré d’une marque locale raffinée. »
Montage des couches :
« Dans un plat à four, j’étale d’un doigt un peu de cette sauce tomate et je mets la première couche d’aubergines que je retire de la passoire, revigorées, détendues au bout d’une nuit. J’ajoute une cuillère de sauce, des feuilles de basilic ciselées, un peu de mozzarella déjà égouttée de son lait, déjà pressée, une neige de parmesan que je viens de râper et fin de la première couche. Je continue jusqu’à la dernière tranche foncée, recouverte de rouge, de vert et de blanc, car la parmesane d’aubergines est un gisement de 4 couleurs séparées qui feront alliance au four. »
Il confie le plat au dernier feu : 200° « elle ne doit pas cuire, mais faire fondre la distance entre les parties, devenir un plat. »
Dernier conseil : « même si je la goûte dans la journée, je sais qu’elle sera meilleure le lendemain. »
Erri De Luca « pose le plat tiédi sur la veine de bois et « il « plonge le couteau dans sa consistance. Elle résiste comme le sable d’où arrive la vague à la pelle de l’enfant. »
Le Sud est dans son assiette « l’avant de temps et de lieu d’où » il vient « sans arriver de nulle part. Ce n’est pas une recette, mais un tout petit acte d’héritier. »
Voilà c’est fait, pour lire le texte dans son intégralité pour en goûter tout le suc il vous suffit d’acheter FEUILLETON…
Avec la parmigiana d’aubergines d’Erri de Luca vous buvez quoi ?
Le choix d'Alessandra PieriniLes yeux fermés, j'irais tout droit vers un blanc, Greco di Tufo de la maison Pietracupa ( Campanie).