Le Bien Public de Beaune me l’a appris :
« Le père de Louis-Fabrice Latour, qui a dirigé la maison de négoce viticole éponyme de 1958 à 1998, est décédé ce mardi 5 avril, vraisemblablement d’un arrêt cardiaque. Il avait 83 ans. La Bourgogne perd un personnage érudit, mais aussi un homme d’affaires avisé, qui a notamment eu l’idée d’investir en Ardèche. »
Le 26 mars 2012 j’avais consacré une chronique à son livre, «Vin de bourgogne Le parcours de la qualité 1er siècle-XIXe siècle»
Cette Somme est l’œuvre d’une vie d’homme de la Bourgogne, à la langue dense et précise, au style limpide, élégant, riche de références et d’érudition, livre de référence, de chevet qui étanchera ma soif de connaissances et comblera mes énormes lacunes concernant l’histoire du vin…
Belles feuilles : la variation des couleurs est une tradition bourguignonne
«Au prix de quelques aménagements mineurs (choix de variétés colorés, arrachage des plants de pinot blanc, option en faveur du beurot presque translucide), la production de la Côte a toujours oscillé entre trois pôles, dont les modifications à travers le temps ont été d’une extrême lenteur et ne peuvent être appréciées que sur la « longue durée » entre le XIIIe siècle, date de l’apparition du vin vermeil, et le XVIIIe siècle qui vit l’accentuation de la couleur et la réapparition du vin blanc, comme composant de l’arc-en-ciel bourguignon d’où il avait été évincé depuis la vinification « en rouge ».
L’activité viticole des diverses « paroisses » de la Côte, dotées si tôt d’un vignoble fin, par la faveur de quelques puissances établies : l’hôpital de Beaune, le chapitre de la cathédrale d’Autun à Rully et Aloxe, l’abbaye clunisienne de Saint-Vivant à Vosne, l’abbaye de Bèze à Gevrey, le Clos des Ducs à Chenôve, Germolles ou Volnay, de l’abbaye de Mezières à Blagny, etc. des Cisterciens enfin à Vougeot, Meursault, ou Aloxe, toutes ont eu comme dénominateur commun l’élaboration de vins vermeils « typés », selon les directives des cellériers. La diffusion de leur œnologie au-delà des cuveries et des murs d’enceinte des clos, s’est faite progressivement par une contagion facile à comprendre dans le principe, mais évidemment impossible à connaître dans le détail. La continuité œnologique est en ce cas notre seul guide. Elle décrit une sinusoïde difficile à retracer, parfois incompréhensible, autour du thème central qu’est depuis les XIIe-XIIIe siècles l’apparition d’une vinification nouvelle, celle du vin vermeil. Cette évolution fut étalée sur plusieurs siècles. Rappelons par exemple que le vin de Pommard, autrefois décrit comme rosé à l’égal de Volnay, est aujourd’hui considéré comme un vin coloré et tannique. Or cette observation ponctuelle résulte de documents très récents du XVIIIe siècle. Comment pourrions-nous remonter plus loin dans le passé et connaître avec certitude le genre de vins produits dans ce canton viticole trois ou quatre siècles auparavant ?
L’œnologie de consommation offre les mêmes incertitudes. Dans une étude sur le train de vie fastueux de Philippe la Hardi, un auteur nous montre le noble duc tournant dans son hanap, le vin de la nouvelle récolte, disponible dès la Noël, dont il admirait le chatoiement. Son choix était orienté, mais était-il en faveur du blanc eou du rouge ? Il suffirait à ses zélés cellériers de limiter ou d’augmenter la durée de cuvaison, de réduire la part de raisins blancs, d’extraire plus ou moins de jus coloré au sortir des pressoirs, pour faire varier une intensité colorante qi dépendait aussi de la saison, de la date des vendanges etc. L’orchestration de la vinification du pinot noirien autour du thème de la couleur assimile la vinification à d’autres aspects du décor de la vie médiévale où le choix des élites jouait un rôle déterminant.
Le volontarisme œnologique se heurte en effet à des obstacles souvent insurmontables, car la recherche de nuances colorantes précises et parfaitement « typiques » est souvent décevante. Les experts en dégustation déplorent que leurs efforts soient constamment remis en question par le caprice des saisons. Le vin de Bourgogne, sommé à notre époque de présenter une intensité colorante, « normée », échappe souvent à toute contrainte et offre en revanché la séduction des reflets changeants du vin rouge, variables avec chaque millésime. Les canons d’excellence qu’on veut lui imposer sont souvent désaccordés de la réalité œnologique. Cette particularité explique la variété des différents genres, qui fractionnent les villages de la Côte. Dans les années précoces, la couleur est vive et parfois d’un rouge profond. Elle s’oppose souvent aux nuances moins accentuées de millésimes qui n’ont pas, comme on dit en Bourgogne, le « goût de mûr ».
Olivier de Serres insiste sur le volontarisme du vinificateur « Il faut que la couleur réponde au désir » a-t-il écrit. Mais le désir est un souhait qui n’est pas toujours exaucé ! S’ensuivent toutes sortes de conséquences qui font les délices des spécialistes de la dégustation. Dans certains cas, la charge tannique oblige à un vieillissement de quelque durée, afin que les vins perdent leur caractère « rudastre » et trouvent le « droit point » d’une certaine harmonie. Mais les vins vermeils, en réalité des vins blancs, « qui auraient de la couleur », peuvent être appréciés sans délai par les amateurs. C’est donc dès les commencements de la carrière historique du vin vermeil, qu’apparaissent les catégories décrites par l’abbé Arnoux : vins de garde et vins de primeur dont en principe déduits se leur œnologie, manipulés par les vinificateurs de meilleurs crus, issus d’un terroir aux particularités bien connues et d’un stock végétal de pinot fin « immémorial », renouvelé très lentement, surveillé par des vignerons attentifs à la qualité, héritiers d’un savoir-faire millénaire… et surpris cependant à chaque vendange par une nouvelle facette offerte par l’infinie diversité du pinot.
On peut dire en tout cas que la limite fixée par ce qu’on peut appeler « l’éthique du vin vermeil », est celui qui sépare le vin fin du vin noir. Toute accentuation excessive de la couleur faisait croire en effet, que le vin vermeil d’une nuance trop accentuée était en réalité un vin commun issu des gouais à la chair colorée qui poussaient au pied des coteaux. Pour les experts le risque de confusion éveillait immédiatement la suspicion. On comprend les raisons de cette défiance, en un temps où la couleur était déjà comme à notre époque le discriminant le plus facilement observable, mais non le seul, de la qualité d’un grand vin. L’infinie variation des couleurs et des genres est la traduction visuelle et gustative d’une très longue histoire œnologique, renouvelée lors de chaque millésime, qui à peu de chose à voir avec les conclusions hâtives, imprudemment tirées de l’étude de la composition de sols qui ne jouent qu’un rôle mineur parmi la multitude d’autres causes toutes aussi importantes. »