L’exode rural fut long et silencieux… Il toucha au premier rang les paysans, mais pas que, les valets de ferme qui se gageaient à la Saint-Jean, les artisans des bourgs, forgerons, maréchaux-ferrants, bourreliers, charrons, métiers en voie disparition, tous les métiers sont touchés, les commerces baissent leur rideau de fer définitivement, les écoles ferment faute d’élèves, le célibat masculin devient une véritable plaie sociale.
Il débuta sitôt la fin de la 2de Guerre, en 1947, Jean-François Gravier publiait Paris et le désert français, dans un domaine, la géographie, qui n'est pas vraiment une pépinière de best-sellers. Cet ouvrage « eu une carrière hors du commun. Plus qu'une référence, il reste un témoignage, un symbole : celui de la révolte contre une France déséquilibrée, entre une région-capitale écrasante, où tout se passe, et une province belle endormie qui suscite l'ennui et fait fuir les talents vers la Ville Lumière.
Dans un style incisif, malgré les références constantes aux statistiques, l'auteur y décrit avec minutie cette exception française qui fait que le centralisme politique hérité de l'Ancien Régime a gagné, de proche en proche, les sphères économique, culturelle, éducative, jusqu'à faire de la centralisation parisienne la règle générale. »
Jean-Louis Andréani du Monde en juillet 2008
« Avec trente ans d'avance, le géographe (disparu en 2005) prône la création de 16 régions, chacune dirigée par un superpréfet. Il souligne la nécessité d'un "Grand Paris" d'environ 5 millions d'habitants, insiste sur les conséquences néfastes du laisser-faire urbanistique. Quant à la capitale elle-même, il déplore- en 1947 ! - que "Paris semble aménagé pour des automobiles et non pour des hommes - encore moins pour des enfants »...
«Peut-on fonder l'avenir d'une nation sur l'hémorragie interne ? Peut-on fonder sa renaissance sur le gonflement congestif de 4 % de son territoire et sur l'appauvrissement continu en hommes et en productions de la moitié de ses provinces ?» s’interroge Gravier.
Bien sûr, étant donné son engagement idéologique de jeunesse dans la mouvance maurassienne, on reprochera à JF Gravier de nourrir une forme de haine de la ville de se placer dans la mouvance de la terre qui ne ment pas chère aux agrariens qui ont inspiré le corporatisme du régime de Pétain.
Mais revenons aux faits.
Prenons le Massif Central et le Sud-Ouest, les deux grandes régions qui ont le plus souffert de l’exode. « Ces espaces sont mal reliés au reste du pays, et donc aux marchés, par des voies de communication mal entretenues et insuffisantes. Les industries traditionnelles continuent de prendre du retard ; certaines ferment leurs portes. Deux France s’opposent alors : d’un côté l’Ouest-Sud-Ouest, appauvri et principalement rural, de l’autre l’Est-Nord-est, plus riche et aux activités industrielles et intellectuelles plus dynamiques – trois quarts des richesses nationales et deux tiers de la population y sont concentrés. Paris est le cœur de cette nouvelle dynamique économique. »
« La décision de partir chez l’émigrant met en jeu tout son être psychologique et social, comme ses motivations matérielles plus aisément exprimables. » Roger Béteille La France du vide.
« L’exode rural est néanmoins avant tout un « exode agricole » : nombre de paysans pensent que leurs enfants feraient mieux d’entrer dans les écoles de gendarmerie et de police ; la terre c’est trop pénible pour eux. Être employé de bureau ou ouvrier d’usine représente aussi une ascension sociale. À partir de 1955, les campagnes françaises comptent 130 000 départs par an ; ceux qui restent doivent à tout prix sortir de leurs habitudes d’autoconsommation et rechercher des seuils de rentabilité inédits. »
Le nombre d’actifs du secteur agricole passe de 5 580 000 (28,9% des actifs français) en 1949 à 5 030 000 (26,1% des actifs français) en 1954, puis à 3 650 000 (18,4%) en 1963.
Le nombre d’agriculteurs exploitants passe de 3 3966 000 en 1954 à 3 044 000 en 1962 tandis que le nombre de salariés agricoles commence à chuter, passant de 1 160 000 à 826 000 entre 1954 et 1962.
Et pourtant, malgré cet exode massif, les campagnes françaises semblent abriter trop de paysans dans les années 50, ce que confirme René Colson – issu de la petite paysannerie de la Haute-Marne, secrétaire-général de la JAC jusqu’e 1948, collaborateur de René Dumont conseiller influent au Ministère de l’Agriculture – par sa formule « Un million de paysans en trop. »
« Dans Témoignage Chrétien, il affirme que les progrès techniques bousculent trop l’organisation traditionnelle de la société paysanne ; il faut maîtriser la machine qui envahit les fermes. »
« Tout cela se passe dans le silence, sans une plainte, sans une grève […] Si nous étions dans un régime totalitaire, le déplacement de cette population se ferait par réquisition et déportation. Entre l’indifférence totale et la déportation, n’y aurait-il pas d’autres possibilités ? […] Tous les gars et les filles qui doivent quitter leur village ont le droit d’être aidés dans ce sens. Sinon, ils accroîtront la masse des manœuvres et les travailleurs non qualifiés. Cette responsabilité incombe au gouvernement. Mais que fait-il ? »
SOURCE : L’Histoire des paysans français Éric Alary Perrin
Culture de poireaux au Louvre pendant la guerre
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