Longtemps j’ai habité dans le XIIIe arrondissement, quartier autrefois industrieux, à l’époque encore populaire. Dans mon imaginaire, la rue Watt rendue célèbre par Boris Vian, c’est Raymond Queneau qui l’a lui avait fait découvrir et visitée. Autrefois connue comme un véritable coupe-gorge elle attirait les photographes, les cinéastes : JP Melville Le Doulos et, disait-on, les mauvais garçons.
Vian a écrit pour Philippe Clay une chanson douce-amère :
Une rue bordée d'colonnes
Où y’a jamais personne
Y a simplement en l'air
Des voies de chemin d'fer
Où passent des lanternes
Tenues par des gens courts
Qu'ont les talons qui sonnent
Sur ces allées grillées
Sur ces colonnes de fonte
Qui viennent du Parthénon
On l'appelle la rue Watt
Parce que c'est la plus bath
La rue Watt…
Décrite en 1956 par Léo Mallet « Hautement pittoresque et basse de plafond, elle se prête admirablement aux agressions de toutes natures, et plus particulièrement nocturnes. Sur la moitié de sa longueur, à partir de la rue Chevaleret, elle est couverte par de nombreuses voies ferrées, auxquelles s’ajoutent celles de la gare aux marchandises. C’est sinistre, surtout entre chien et loup, un jour de novembre. On y éprouve une désagréable sensation d’étouffement, d’écrasement. De loin en loin, dans la perspective des maigres piliers de fonte soutenant la voie, la lueur courte d’un bec de gaz fait briller les rigoles des infiltrations suspectes qui sillonnent les parois de cet étroit couloir humide. Nous nous engageâmes sur le trottoir surélevé, bordé d’un garde-fou, qui domine la chaussée de plus d’un mètre. Au-dessus de nos têtes, un train passa dans un barouf d’enfer, faisant tout trembler sur son passage. »
En transcrivant ces lignes remonte en moi le souvenir de mes intrusions nocturnes rue Watt ; j’y allais après ma journée de travail, à vélo, sur mon grand Batavus, y chercher un Paris populaire disparu.
Brouillard au Pont de Tolbiac
« Brouillard dans les rues du brouillard du passé, brouillard dans l’âme de Nestor Burma, brouillard à peine dissipé par le pur amour de Bélita, la gitane, victime de la femme au fouet. »
« Sale quartier, quartier où le brouillard étend son empire du matin au soir en toutes saisons, quartier en bordure de la zone… »
Rue du Château-des-Rentiers, rue des Terres-au-Curé, rue des Reculettes, passage des Haute-Formes…
Dans le Doulos, au début du film de Melville, lorsque Serge Reggiani s’avance le long de la rue Watt… puis le plan suivant : un train dans le gris de sa fumée et le sifflement de sa locomotive.
Nul n’a pu sauver la rue Watt, elle existe encore mais elle n’est plus qu’une vieille image perdue dans un univers de grands travaux.
Pierre Assouline, arpenteur de cette nouvelle Rive Gauche écrit : « Il a manqué un romancier, un peintre, un poète pour chanter tout haut la gloire des Frigos, comme le fit Benjamin des passages parisiens. Entendez : l’ancienne gare frigorifique exploitée par la SNCF. Dans les années quatre-vingt, les Frigos étaient les seuls, les derniers de l’ancien temps à monter la garde dans le quartier en chantier. Alentour c’était la mort.»
Qui se souvient des pneumatiques ? Les petits messages bleus…
« Autrefois toutes les minutes, pendant vingt secondes, les compresseurs de l’immeuble envoyaient de l’air comprimé dans un réseau de quelque soixante-cinq kilomètres sous les rues de Paris, ce qui déplaçait les aiguilles des horloges publiques de la capitale, envoyait des pneumatiques qu’on recevait aussi vite que des télégrammes et qui ne coûtaient presque rien. »
C’était la SUDAC : la Société Urbaine d’Air Comprimé.
« Derrière ces installations fantastiques, ce rêve d’une modernité shootée à l’air pur, il y avait un inventeur hyperactif, le bien nommé Victor Popp, fondateur de la SUDAC. Il fit édifier, pour alimenter son réseau une usine avec s’énormes compresseurs sur une berge de la Seine, quai de la Gare – aujourd’hui ce bâtiment se dresse encore au 3, quai Panhard-et-Levassor, et il a une telle majesté, avec sa grande nef métallique en un seul berceau et ses briques vernissées qu’on l’a transformé en École Nationals d’architecture. »
Alexandre Lacroix, Voyage au centre de Paris, Flammarion, 2013.
Source : Le mal de Paris Régine Robin Stock