La semaine fut rude. Je me suis fait moine.
« Comme ceux qui dessinent les paysages se placent dans la plaine pour observer la nature des montagnes et des lieux élevés, et pour observer celle des lieux bas se placent en haut sur la montagne, de même, pour bien connaître la nature des peuples, il faut être prince et pour bien connaître celle des princes, il faut être du peuple. »
Je lis le Prince de Machiavel
Notes de lecture
« Grandes actions, grands hommes, grandes choses » font la virtù.
Avec complaisance et jubilation Machiavel n’a de cesse de s’interroger sur leur « mobile » et leur efficacité pour en dégager le modus operandi de leur action. Quelles sont donc les qualités requises du Prince dans l’exercice de ses fonctions ? Quelles sont les vertus princières ? » Libéralité, générosité, courage, sens de l’honneur, loyauté, gloire, confiance, clémence, aptitude au bon conseil, discernement, virilité, vaillance… Toutes dimensions que Machiavel incarne dans la virtù.
L’homme princier en serait-il pour autant un être plénier, un Dieu sur terre ? La parfaite coïncidence du dire, du faire et de l'être est, dans l’espace de la condition humaine, une illusion : « Je sais que chacun confessera que ce serait chose très louable, que chez un prince, l’on trouvât, parmi toutes les qualités susdites, celles qui sont tenues pour bonnes. Mais on ne peut les avoir ni les observer entièrement, car les conditions humaines ne le permettent pas. »
Cependant Machiavel affronte le dilemme de tout ordre politique : la cruauté, qui lui est consubstantielle, ne doit pas le rendre odieux et méprisable, rapace et haïssable. « Il lui est nécessaire d’être assez prudent pour savoir fuir l’infamie de ces (vices) qui lui feraient perdre son État.
« Un prince doit donc prendre grand soin qu’il ne sorte pas de sa bouche une chose qui ne soit pleine des cinq qualités susdites et il doit paraître quand on le voit et l’entend, toute pitié, toute foi, toute intégrité, toute humanité et toute religion : et il n’est pas de chose qui soit plus nécessaire que paraître avoir cette dernière qualité. »
L’aura, ce que l’on appelle aujourd’hui le charisme pour gagner la confiance et l’estime du peuple.
Il s’agit donc de discriminer à quelles conditions et dans quelles circonstances, l’homme acquiert la virtù ?
« Seuls la défense de la patrie et le maintien de l’État peuvent légitimer pour Machiavel le sacrifice absolu d’une « entrée » dans le mal : « C’est que l’amour de ma patrie avait dans tous les cœurs plus de pouvoir qu’aucun autre sentiment. »
« En toute cité, on trouve ces deux humeurs différentes ; et cela naît de ce que le peuple désire ne pas être commandé ni écrasé par les grands, et que les grands désirent commander et écraser le peuple ; et de ces deux appétits différents naît dans les cités un de ces trois effets : ou le principe ou la liberté ou la licence. »
Je referme le Prince et me voilà sitôt face à la tribu Le Pen…
« Sans Lambert, pas de FN. Sans Le Pen, pas de Lambert »
« Ce sont quelques mots prononcés par Lorrain de Saint Affrique, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen pendant dix ans (1984-1994). Ils concernent deux hommes : l'ancien président du FN et Hubert Lambert, riche industriel français… et grand admirateur des présidents des formations d’extrême droite.
Le 27 septembre 1976, Hubert Lambert dit Saint-Julien, actionnaire de la société Lambert Frères et Cie, décède. Dans son dernier testament, ce quadragénaire fragile physiquement et psychologiquement a fait de Jean-Marie Le Pen son exécuteur testamentaire et son unique héritier. Les commentaires, les polémiques et sous-entendus consécutifs à cet héritage ne changent rien. À l’automne 1976, Jean-Marie Le Pen devient un homme riche, très riche. De plus, l’héritage Lambert lui donne les outils et les moyens structurels pour relancer son histoire, intimement liée à celle de son parti.
Au FN, on apprécie cet homme discret, « très gentil ». On évoque également sa faiblesse de caractère. On sait également qu’il est fortuné… pour preuve : la Rolls avec chauffeur qui le dépose rue de Surène, lorsqu’il se rend au siège du FN. Cependant, on ignore sa filiation avec les ciments Lambert et, donc, sa fortune colossale.
Le Président du FN, lui, fait la connaissance d'Hubert Lambert au début des années soixante-dix. En 1973, il convie Jean-Marie Le Pen à un dîner. Hubert Lambert arrive avec une serviette en cuir. Selon Roger Mauge, l’un des hagiographes de Jean-Marie Le Pen, les deux hommes auraient tenu le dialogue suivant, en rapport avec les premières élections législatives auxquelles le FN participe (mars 1973) :
« - Il faut absolument que tu te présentes aux prochaines élections, Jean-Marie [...]. Je t’ai apporté 300 000 francs pour ta campagne électorale. Ils sont là [...].
– Tu es très généreux, Hubert. [...] Permets-moi de me servir de cet argent pour saupoudrer partout où nous présenterons une candidature. (…)
Hubert plaisante :
– Aucune importance ! Prends, et rends-moi la serviette. Elle pourra encore servir ! »
Après ce déjeuner, rapporte Roger Mauge, Jean-Marie Le Pen et Hubert Lambert se «voient plus souvent et d’une certaine manière deviennent amis» ! Car les Le Pen se montrent particulièrement attentifs à cet homme, notamment en lui rendant visite régulièrement. Jean-Marie Le Pen va jusqu’à lui attribuer des fonctions officielles au FN. Membre du Comité central et conseiller national du parti pour les questions militaires, Hubert Lambert affiche régulièrement sa présence aux réunions du parti. Il participe au comité de rédaction du journal du FN, Le National. Il y signe même quelques articles.
« L’héritage Lambert change considérablement la vie de Jean-Marie Le Pen sur les plans politique et personnel. Il lui permet de faire – comme il l’entend - de la politique. L'ancien président du FN devient propriétaire du domaine de Montretout, sise au 8 parc éponyme. Jean-Marie Le Pen y reçoit encore aujourd’hui dans son bureau, à l’étage de cette imposante bâtisse qui domine tout Paris. Cette demeure n’a pas seulement été le lieu d’habitation de la famille Le Pen et le quartier général du FN pendant de nombreuses années. C’est aussi un symbole pour l’ancien président du FN qui désire laisser son nom dans l’Histoire. Montretout est un lieu singulier : le premier propriétaire, Napoléon III, l’avait offert à son chef de cabinet, Jean-François Mocquard. Hubert Lambert le lègue à Jean-Marie Le Pen en 1976. »
Revenons aux héritiers de l’immonde de Montretout
Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot, la concurrence de deux forces ascendantes au FN
« Malgré son omniprésence politique et médiatique depuis plusieurs années, le vice-président du FN reste considéré par de nombreux historiques du parti comme une personnalité d’ouverture. Critiqué, au choix, pour son gaullisme revendiqué, son étatisme assumé en matière économique ou son influence auprès de Marine Le Pen, le député européen de 34 ans est placé en concurrence avec Marion Maréchal-Le Pen, 25 ans. Dépositaire de la « marque » Le Pen, catholique, libérale et identitaire, la députée du Vaucluse, elle, n’hésite pas à jouer de sa popularité auprès de la base pour marquer sa différence. Elle avait fini première lors du congrès de Lyon en 2014 pour l’élection du comité central du FN, devant M. Philippot, seulement quatrième.
La jeune femme a ainsi réaffirmé, vendredi 27 novembre, sa volonté de supprimer les subventions accordées par la région au Planning familial, malgré le fait que sa tante ait rappelé que cela n’était « pas dans les projets du Front national ». En 2013, sa présence dans les cortèges de la Manif pour tous, contrairement à Mme Le Pen et à M. Philippot, avait déjà été remarquée. Ses propos sur la République aussi. La députée avait avoué en juin ne pas comprendre l’« obsession pour la République » exprimée par la majorité de la classe politique, estimant qu’« il y a des monarchies qui sont plus démocratiques que certaines Républiques ». Une vraie différence avec sa tante et son bras droit, qui ne manquent jamais de faire assaut de républicanisme dans leur entreprise de dédiabolisation. »
D’où sort-elle cette Marion Maréchal-Le Pen ?
« En 2013, on apprenait que le père de Marion Maréchal-Le Pen n'était pas Samuel Maréchal, mais Roger Auque, journaliste aujourd'hui décédé et qui n'avait pas reconnu sa fille à l'époque. Dans le même temps, L’Express, qui disait tenir ses informations de l'ouvrage de Christine Clerc, Les Conquérantes, nous apprenait que Marine Le Pen avait joué auprès de la jeune Marion le rôle d'un père de substitution, s'occupant tout particulièrement d'elle. « Marine, ma petite sœur, a été son papa à l'accouchement. Elle m'a aidée à l'élever », a raconté Yann Le Pen, sœur de Marine et mère de Marion, dans l'ouvrage Les Conquérantes.
L’égaré du Che de Belfort et l’héritière de la Manif pour tous : le national-populisme ratisse au plus large…
- Dans le Nord, le « silence terrifiant » des patrons face au FN
« No Pasaran ». C’était il y a un mois. Bruno Bonduelle, l’un des bâtisseurs de l’empire international de légumes en boîtes, tirait la sonnette d’alarme. Ce chef d’entreprise à la retraite prenait la plume pour crier son angoisse de voir le Front national remporter les élections dans la nouvelle grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. « Comment peut-on prôner la fermeture des frontières alors que notre économie régionale est immergée dans le monde, avec un salarié sur quatre qui travaille dans une entreprise aux capitaux étrangers, alors que nous vantons dans nos brochures ce carrefour transfrontalier ouvert aux quatre vents de l’Europe, nos succès à l’exportation ? », écrivait Bruno Bonduelle.
Son billet d’humeur se terminait par une supplique à l’adresse des élus qui affronteraient Marine Le Pen au second tour : « De grâce, ne laissez pas notre économie sombrer dans le repli sur soi ! »
Ce cri du cœur est devenu prophétie. Mais la pythie a perdu sa voix. Contacté, l’ancien grand patron du Nord ne souhaite pas commenter la situation. Sa sortie dans les médias n’a pas été sans conséquence. Des consommateurs ont écrit au groupe en menaçant de boycotter les produits Bonduelle. Des agriculteurs de la région qui fournissent les usines ont menacé de ne plus les approvisionner en légumes si Bruno Bonduelle, ou d’autres, prenaient encore position. L’ancien patron se dit « effondré ». « Ils ont déjà réussi à instaurer la terreur », ajoute-t-il. Christophe Bonduelle, l’actuel PDG, a été contraint de se désolidariser des propos de l’ancien président du groupe. »
- Régionales: les catholiques ont plus voté FN (Ifop)
« Les catholiques ont davantage voté pour les listes Front national aux élections régionales que l'ensemble des Français (32% contre 27,7%), selon une étude Ifop publiée aujourd'hui par l'hebdomadaire Pèlerin, pour qui « la digue catholique s'effondre» face à l'extrême droite. Les listes Les Républicains-UDI-MoDem arrivent toutefois légèrement devant le FN dans la population catholique, à 33%, les candidats PS-PRG obtenant 19%, selon ce sondage.
Fait notable, les catholiques ont voté FN à 32%, alors que 26% d'entre eux l'avaient fait lors des départementales de mars, selon un sondage Ifop pour Atlantico. Le ralliement à l'extrême droite reste moins marqué chez les pratiquants réguliers que dans l'ensemble de la population, mais il progresse très fortement dans ce segment d'une élection à l'autre, de 9% à 24%. «Cette poussée s'est faite avant tout dans l'électorat traditionnel de droite, composé de catholiques pratiquants et âgés», observe Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies de l'Ifop, cité par le magazine catholique Pèlerin. »
Dominique de Montvalon - Le Journal du Dimanche
En l’état, la percée de Marine Le Pen, de sa nièce Marion et de l’énarque Florian Philippot, c’est en effet moins un triomphe idéologique du discours simpliste et baroque du Front national qu’un formidable coup de pied au derrière aux partis de gouvernement, de gauche comme de droite.
Le gouffre n’est pas loin
Beaucoup de Français, c’est clair, en ont, en effet, par-dessus la tête de partis qui, disent-ils, ne s’occupent pas d’eux, ne les écoutent pas, parfois les méprisent, vivent en vase clos. Le 6 décembre, une partie des électeurs ont voté FN par exaspération. D’autres se sont réfugiés dans une abstention agressive. Pour le moment, Marine Le Pen et ses amis ne sont encore qu’un gigantesque signal d’alarme. Mais le gouffre n’est pas loin.
En 1989, au moment de la chute du Mur de Berlin, l’historien américain Françis Fukuyama se faisait applaudir - y compris en France - en prophétisant la fin de l’Histoire. Erreur monumentale. Naïveté grandiose. Sans perspective historique, les Français, qui ne sont pas des Suisses, sont perdus, et ils le sont. Qui sommes-nous? Où allons-nous? Que voulons-nous? Et aussi : que pouvons-nous?