Le Forum de l’Expansion animé par Jean Boissonnat était dans les années 70-80 une institution médiatique, accueillant à la Porte Maillot, à l'hôtel Méridien, les Premiers Ministres Barre, Chirac…, les stars de la politique, même Georges Marchais, et bien sûr la fine fleur des dirigeants de groupes français et étrangers.
Guy Le Querrec Magnum 1977
Et voilà que votre serviteur, fin 1990, tout juste propulsé à la tête du cabinet d’un Ministre qui n’aimait guère aller se frotter aux milieux économiques se retrouve sur la scène pour le représenter à une table ronde. J’étais dans mes petits souliers. Parfait inconnu dans ce beau parterre mon principal souci était de passer aux travers des gouttes. Sauf que, lors de la séance des questions un journaliste, à ma grande surprise, m’interpelle : « Allez-vous laisser filer l’un des fleurons* de l’agro-alimentaire français à l’étranger, en l’occurrence en Italie, dans les mains de la famille Agnelli ?»
Patriotisme économique bien sûr, je réponds, avec une pointe d’ironie, que je connais bien l’Italie pour avoir épaulé Michel Rocard, dans les négociations sur le vin… et je m’en tire au mieux en ne prenant pas parti dans ce dossier épineux. Jean Boissonnat est satisfait. Bref, je me dis que j’ai évité le pire.
Sauf que, même si le buzz des réseaux sociaux était dans les limbes, dès le lendemain je dû faire front. Tony Dreyfus, compagnon de route de Rocard alors 1er Ministre, et vaguement Secrétaire d’État à l’économie sociale, me demande de recevoir les Agnelli et le cabinet du 1er Ministre, JP Huchon*, me demande de recevoir Jacques Vincent, PDG de Perrier et d’Exor.
*JP Huchon, après avoir été viré de la CNCA, a travaillé comme Directeur général adjoint du groupe agro-alimentaire Exor, de 1987 à 1988.
Donc je m’exécutai. L’entrevue avec les Agnelli et leurs conseils fut un grand moment de séduction à l’italienne. La gente féminine de l’hôtel de Villeroy se rinça l’œil, la mode de Milan : la classe !
Pour Jacques Vincent, je parvins à le faire recevoir par mon Ministre qui n’entravait toujours rien à mes histoires de participations croisées (pas simples certes, voir ci-dessous) et qui, au beau milieu du rendez-vous, demanda à ce cher homme, très vieille France, en historien qu’il était, de lui conter l’histoire de Félix Potin. Celui-ci s’exécuta avec courtoisie en dépit de son réel étonnement. À Matignon l’anecdote renforça le « crédit » de mon Ministre.
25 ans après la suite fait partie maintenant de l’Histoire, mon interlocuteur à Bercy était un certain François Villeroy de Galhau. Les Agnelli n’ont pas pris le contrôle du groupe Perrier mais mis la main sur 75% de château Margaux. La source Perrier sera vendue en 1992 à Nestlé et la Société des Caves de Roquefort à l’entreprise Besnier, aujourd’hui Lactalis.
Si vous souhaitez mieux comprendre ce dossier vous pouvez poursuivre votre lecture :
« Gustave Leven est étroitement associé à la Source Perrier, une entreprise dont il a été le dirigeant emblématique de 1948 à 1990. Il a donné à cette firme une extension inédite en la faisant passer du stade de grosse PME, à celui de groupe, classé au troisième rang du secteur agro-alimentaire en France en 1989.
La main de Perrier en 1976 : un scandale quasi pornographique pour l'époque !
Voici la nouvelle campagne de pub de la marque d’eau gazeuse Perrier. A l’occasion de cette fin d’année, Perrier adresse de manière piquante ses voeux aux consommateurs et aux fans de la boisson pétillante, et fait revivre unscandale de la publicité française : c’est le grand retour de la main de Perrier, le spot réalisé en 1976 par MonsieurSerge Gainsbourg, mais aussi l’arrivée du support digital chez Perrier. Ainsi, pour ce baptême tardif, la marque a développé une flopée de supports originaux et vintage, comme par exemple le calendrier de la main la plus sexy du monde.
Gustave Leven a toujours été un dirigeant d’entreprise particulièrement discret, fuyant l’exposition médiatique.
Il fut pourtant en 1988, avec deux autres papys flingueurs : Jean-Louis Descours (chaussures André) et François Dalle (l’Oréal) l’auteur d’un raid en compagnie de Georges Pébereau sur la Société Générale qui échouera et lui vaudra des ennuis judiciaires.
Dans le portefeuille du groupe Perrier : la Société des Caves de Roquefort dont le PDG est Jean Pinchon, président de l’INAO, et le DG Jacques Bombal ancien membre du cabinet d’Edith Cresson à l’Agriculture et ex-directeur des IAA dans ce même ministère.
En février, l’affaire du benzène aux USA, le propulse sur le devant de la scène. Pour défendre son produit, il annonce personnellement le retrait mondial de toutes les bouteilles de Perrier, une réaction signalée dans tous les manuels de gestion de crise. Néanmoins, l’entreprise est affaiblie au moment où, à 76 ans, Leven organise sa succession. En juin 1990, il laisse l’exécutif à Jacques Vincent, PDG d’EXOR, le holding de la famille Mentzelopoulos qui contrôle Félix Potin. Le groupe fragilisé résiste à une offre inamicale d’Agnelli, mais ne peut empêcher la prise de contrôle par Nestlé en 1992. »
« Gustave Leven, PDG de Perrier était aussi PDG du groupe EXOR, contrôlé par la famille Mentzelopoulos. Corinne a épousé, en mai 1990, Hubert Leven, neveu de Gustave. Son père André, a racheté en 1958, pour 5 millions de francs, la chaîne Félix Potin. À la mort de ce dernier, en 1980, son bras droit, Jacques Vincent, prend sa suite. Quatre ans plus tard, il cède le réseau d’épiceries. Les avoirs de la famille sont regroupés dans un holding baptisé EXOR, qui gère château Margaux (acquis en 1977), un patrimoine immobilier de 12000 m2 (21 immeubles, pour la plupart situés à Paris), une participation de 9% dans Suez et de près de 35% dans Perrier. »
Source : Dictionnaire Historique des Patrons Français Flammarion notice Gustave Leven Nicolas Marty
« André Mentzelopoulos, né en 1915 à Patras, en Grèce, vient en France, à Grenoble, pour y préparer une licence en lettres ; il a Paul Valéry comme professeur. Puis il part en Birmanie et au Pakistan, où il fait fortune dans les céréales. De retour en France, il se marie et achète la chaîne Félix Potin en 1958.Il scinde l’activité en deux : le commerce d’un côté, l’immobilier de l’autre. Côté commerce, Primistères, La Parisienne, Paris-Médoc, Radar rejoindront tour à tout Félix Potin. Le groupe, au début des années 80, compte plus de 1000 magasins. « Le chiffre d’affaires, était de 4,5 milliards, mais l’arrivée des grandes surfaces tue la rentabilité, note Jacques Vincent qui présidait alors la société. En 1977, André Mentzelopoulos acquiert château Margaux à la famille bordelaise Ginestet pour 77 millions de francs. Après sa mort, en 1990, les magasins sont vendus par les héritiers, qui conservant château Margaux et le patrimoine immobilier. Fille unique, Corinne se retrouve à la tête des affaires. En 1990, elle vend, contrainte, 75% du vignoble à la famille Agnelli, avec laquelle elle est associée dans Perrier. Lorsque le groupe Agnelli, en 2003, décide de se séparer de château Margaux, elle rachète aussitôt leur part devenant ainsi l’unique actionnaire du domaine. »
Source : Gabriel Milési Les dynasties du pouvoir de l’argent Michel de Maule
« André Mentzelopoulos, patron du groupe Félix Potin et sauveur de Margaux. À 18 ans, ce fils d'hôteliers grecs quitte Patras, au bord de l'Adriatique, pour la Birmanie. Puis il visite la Chine, l'Inde, noue des relations et fait fortune dans l'export-import de grain. Il parle neuf langues, dont l'ourdou ! Finalement, il s'installe au Pakistan et devient l'ami d'Ali Bhutto. « C'est Bhutto, un musulman, qui possédait lui-même une très belle cave, chez qui je buvais pour la première fois de grands vins classés à l'âge de 18 ans, qui a poussé mon père à acheter Margaux. Mon père, lui, était un spartiate. Il économisait même ses lames de rasoirs pendant la guerre », se souvient sa fille unique Corinne. »
Lorsqu’André Mentzelopoulos a racheté Margaux en 1977, le vignoble français était en crise. À part 1975, qui fut une bonne année, la décennie avait été décevante. Personne ne voulait de ce noble boulet en vente depuis deux ans. « Il fallait investir 77 millions de francs de l'époque sans espoir de retour. Là encore, mon père fut précurseur. En moins de trois ans, il avait remonté le domaine. Le millésime 1978 s'est arraché. » déclare Corinne Mentzelopoulos. En 1982, le château retrouve son rang et sa réputation aux côtés des Mouton-Lafite, Latour, Haut-Brion ou Yquem, avec de nouvelles barriques, un œnologue, des chais souterrains. Château Margaux est le seul domaine à porter le nom de son appellation. Le seul en quatre cents ans à avoir évité le morcellement de ses 263 hectares, dont actuellement 80 en appellation contrôlée.
Lorsqu’André Mentzelopoulos meurt en décembre 1980. « J'étais jeune. J'ai tout de suite pris la direction de Margaux, épaulée par Jacques Vincent, le bras droit de mon père. »
Peu à peu, elle réussit à monter dans le capital du Premier Cru classé. D'abord 25 % en 1993, puis 75 % dix ans plus tard, lorsque Gianni Agnelli décide de vendre ses parts. Pour cette dernière transaction, elle s'est accrochée, parvenant à réunir la somme demandée. Astronomique. La presse évoque alors une opération comprise entre 200 et 350 millions d'euros, montant que ni Agnelli ni elle n'ont confirmé. »
«Le groupe Agnelli acquiert de Madame Mentzelopoulos sa participation de 9,6 % dans le capital d'Exor Group tandis que Madame Mentzelopoulos acquiert d'Exor Group sa participation de 75 % dans le capital de la société civile agricole Château Margaux », précise le communiqué.
Source : Le Figaro
« En juin 1988, la société financière Pharaon holding, d'origine saoudienne, prend le contrôle du groupe en rachetant la holding Damilow qui possédait 64 % de Primistères-Félix Potin. La société First Anglo-Dutch Securities NV prend 90 % du capital de Primistères suite à un plan de remise en place d'août 1988. Elle est détenue par 4 nouveaux actionnaires :
21 % par le groupe Promodès (Continent, Champion, Shopi)
21 % par la Société parisienne d'alimentation et de distribution (Spad)
21 % par la banque Worms et 36 % par Pharaon holding.
Promodès acquiert, pour 400 millions de francs, les 138 supermarchés de Primistères aux enseignes Radar, Félix Potin et Centre distributeur. Le distributeur normand annonce qu'ils prendront rapidement l'enseigne Champion. Après s'être emparé en juin de Nicolas, Castel Frères rachète, pour 250 millions de francs à Primistères, l'enseigne Félix Potin et ses 850 magasins de proximité à la fin de l'année 88.
L'enseigne tente de diversifier ses activités en lançant plusieurs boulangeries, baptisées « La fournée de Potin » au cours de 1991. En 1992, Castel Frères revend Félix Potin en avril à la famille Sayer, qui détenait déjà 20 % du capital du distributeur depuis 1989. L'enseigne ne compte plus que 607 magasins, disposant d'environ 400 produits à marque propre. Le 26 décembre 1994, le comité d'entreprise de Félix Potin enclenche une procédure d'alerte sur la santé financière de la société suite aux nombreuses ruptures d'approvisionnement que subissent les magasins et retards de paiements aux fournisseurs. »
Si vous souhaitez en savoir plus sur le groupe Félix Potin lire :