Dans sa citadelle du Point, le sieur Dupont Jacques, dernier rempart à l’externalisation des « Spécial Vins » chère à Roux&Combaluzier dit B&D, pur recyclage des stocks, remet chaque année l’ouvrage sur le métier. Même s’il s’essouffle un peu, peine à sortir du cadre dans son papier « les jeunes à la découverte du vin » où il aurait pu caresser, même légèrement, les vins à poils, l’ensemble du numéro est de qualité. De nouveaux angles, la parole donnée à des esprits dérangeants, plus border line ou assumant des choix contestés, peu importe ça permettrait de mettre un peu d’oxygène dans la vigne France et mettre sur la table des interrogations qui méritent d’être posées.
Dans son édito « Et c’est ainsi que le vin est grand… » Jacques Dupont en soulève une d’importance « Malgré des perspectives de développement énormes en Asie et une reconnaissance patrimoniale des vignobles français l’inquiétude plane sur l’avenir de la vigne. »
Dans sa communication via ses élus, le monde du vin français, en alignant de beaux chiffres, se définit comme un grand secteur exportateur de notre économie, les fameux équivalents Rafale. Ce que je ne conteste pas et loin de moi toute volonté de verser dans un quelconque bashing. Ce qui m’interroge, et qui m’a toujours interrogé depuis que j’ai commis mon rapport en 2001, c’est que ce grand secteur répugne à faire de vrais choix, à anticiper, à se donner les moyens d’une politique à la hauteur de ses ambitions.
Je n’ai ni le temps, ni l’envie, et personne ne me le demande, de développer les différents éléments de mon analyse, mes anciens écrits n’ont guère pris de rides.
J’en reviens à notre Dupont qui, comme le faisait Mgr Marty, s’interroge :
« Il est possible de s’interroger sur le pourquoi de ce qui peut ressembler à une sorte de course au culturel, une aspiration au patrimonial, à ce qui pourrait passer pour une panthéonisation du vignoble… Il n’y a pas une mais des réponses et elles sont à chercher du côté de tout ce qui menace vins et vignes aujourd’hui :
- Le prix du foncier, qui dans certaines régions interdit aux vignerons de s’agrandir ou bien de transmettre à leurs enfants, laissant la porte ouverte à la mainmise des fortunes venues d’ailleurs ou de grandes compagnies sur les terroirs ;
- La concentration et la perte de certaines pratiques artisanales qui pourraient s’accompagner d’une uniformisation du goût comme on a pu commencer à la connaître à la fin des années 90, à Bordeaux notamment ;
- L’urbanisation mal contrôlée et la disparition de certains sols viticoles sous la pression des périphéries des villes. C’est la menace de nombreux vignobles quand cette fois le foncier est moins cher que le terrain à bâtir.
- Les attaques, les campagnes de dénigrement et les procès médicastres et Chicanneau qui confondent alcoolisme et plaisir du vin, réduisant celui-ci à la molécule d’alcool qu’il contient détruisant ainsi son histoire ;
- La perte d’identité ou de repères des vignerons eux-mêmes face à une demande croissante mondialisée et au goût fluctuant. »
Face à cette énumération intéressante, mais non hiérarchisée : il est de vraies menaces et d’autres, dont l’une fantasmée, de moindre danger, là encore il faut être en capacité de faire des choix clairs mais on prend alors le risque de sortir de l’ambiguïté d’une vigne France « aocisée » pour tous. Nous vivons encore sur un marché domestique d’importance, le premier du monde, et nous ramenons toute notre réflexion à cette aune tout en chérissant la mondialisation.
Le grand danger est dans la vigne elle-même : « Plusieurs maladies, et non une seule cette fois, font figure de nouveaux Attila de la vigne. L’esca, qui provoque une nécrose du cep, sans qu’on sache vraiment pourquoi, fait figure de leader des parasites (…) il est accompagné dans sa malfaisance de la flavescence dorée ou l’eutypiose parmi les fléaux les plus ravageurs connus. »
Le sujet est d’une extrême importance et ce qui me met en pétard c’est l’éternel lamento « Il manque surtout jusqu’à présent des moyens de recherche, une mise en commun des savoirs… » on se croirait à l’Éducation Nationale, tête de turc favorite du Point. Quand on se définit comme un grand secteur économique majeur on se donne des moyens, et il y en a, et l’on ne reste pas à la remorque d’une recherche publique qui n’a jamais dans le domaine de la vigne brillée par ses anticipations et ses choix. De plus les finances publiques étant ce qu’elles sont, il ne faut pas attendre des merveilles de ce côté-là.
Lorsque j’ai proposé et défendu la constitution d’un fonds vin alimenté par une part des CVO des Interprofessions qu’ai-je entendu ? Le silence assourdissant des égoïsmes régionaux. Ça s’appellerait un fonds souverain, très à la mode de nos jours, qui servirait de levier à des actions d’envergure en capacité de faire progresser la recherche.
Trop tard !