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15 août 2015 6 15 /08 /août /2015 06:00
Le feuilleton de l’été du Taulier (5) : Ce n’est pas parce que l’homme a soif d’amour qu’il doit se jeter sur la première gourde…

Décrire mon état avec Émilia à mon bras relèverait du même défi que de demander à un Henri Guaino de faire preuve, une seule seconde, d’une once de modestie. Je flottais dans les éthers puissants d’un monde où de petits vieux bedonnants trimballent à leurs côtés de jeunes beautés. Notre entrée dans la salle du restaurant ne passa pas inaperçue, le ton des conversations baissa, les fourchettes se suspendirent, les regards envieux des messieurs, et ceux moins charitables de ces dames, nous entourèrent. Crinière au vent notre hôte se propulsa vers nous, surpris, il marqua un temps d’arrêt face à Émilia, se ressaisit pour effectuer un baisemain emprunté avant de me serrer la louche « Très heureux de vous recevoir en si bonne compagnie cher monsieur Tarpon…

 

- Les affaires sont les affaires, je ne suis pas très porté sur les mondanités…

 

Ma saillie ajouta au malaise de notre hôte qui s’attendait à tout sauf à voir arriver dans son petit jeu une locale de l’étape. Nous nous installâmes après les présentations croisées. De suite on nous servit du Krug millésimé. J’avais décidé de me réfugier dans un mutisme souriant. Ce que je fis avec une componction qui m'étonna. Je hochais la tête, me me contentant de lâcher que quelques vagues banalités ponctués  d'onomatopées. Notre hôte épandait le miel à  grandes louches mais s'épuisait face à mes minauderies. J'avais décidé de laisser la main à Émilia, qu'elle soit à la manœuvre. Ce qu’elle fit avec humour et brio. Nous ne nous étions pas concertés mais mon intuition me suggérait que c’était le parti le plus déstabilisateur pour notre homme aux mille facettes. Le pauvre ramait comme un galérien sans pouvoir se défaire des fers que nous venions de lui passer. Sa compagne ne comprenait rien au film et tentait d’amener Émilia sur des terrains futiles, en vain. Afin d’ajouter à la confusion je ne sortais de mon silence que pour elle. Je lui citais dans un désordre étudié : Onfray, Zemmour, BHL, Guaino, Lucchini… avant de placer, avec une fraîcheur d’enfant de chœur, ma belle proximité avec Isabelle Supportable

 

Un très long blanc suivi cette annonce cataclysmique, accompagné d’un rouge écrevisse flamboyant pour lui, de stupeur et tremblements pour elle, une séquence à la Woody Allen du genre « Quand j'écoute trop Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne. » Il me fallait pousser plus loin mon avantage, je plaçais alors plus qu’une banderille, une quasi-estocade « vous le savez mieux que moi, tout homme a son prix pour lequel il se vend

 

La tension était palpable, notre hôte ne pouvait que réfréner sa fureur intérieure, l’heure n’était pas aux esclandres. Émilia me lançait un clin d’œil pour me signifier qu’il me fallait revenir à plus d’urbanité. Ce que je fis en levant mon verre pour porter un toast. Jusqu’à cet instant je n’avais pas encore trempé mes lèvres dans le château La Cloche, dont j’ignorais le millésime puisqu’il nous avait été servi en carafe. Nous en étions au lièvre à la Royale façon Joël Reblochon.

 

En fait, plus qu’un toast, je me fendis d’un petit discours mezzo voce afin de me pas ameuter la clientèle  huppée :

 

« Ce n’est pas parce que l’homme a soif d’amour qu’il doit se jeter sur la première gourde… plaisantait à juste raison le regretté Pierre Desproges. Je reprends à mon compte cette image appliquée à la vérité. Les vérités devrais-je dire, je m'éclaircicait la voix avant de poursuivre :

 

Certes « toutes ne sont pas bonnes à dire » mais les autres, « en plus grand nombre, ne sont pas meilleures à entendre… »

 

Je me gardais bien de signaler que je paraphrasais là Léon Bloy. Mon chapelet de citations n’avait d’autres fonctions que d’embrouiller le poisson, de lui donner le tournis, de faire en sorte qu’il ne sache plus si c’était du lard ou du cochon, foi de Tarpon !

 

Émilia était aux anges, nos hôtes proches de l'Enfer...

 

Afin de parachever mon œuvre, pour la chute, je fis dans l’autodérision érudite en plaçant une vacherie de ce salonnard de Paul Morand « Les citations sont les béquilles des écrivains infirmes…»

 

Suite à cet acte de bravoure, certes sans queue ni tête mais avec beaucoup de corps comme le disent les grands amateurs de vin, je portais mon verre à mes lèvres, par la rondelle du pied, tel un calice, avec religiosité, bus à petites lampées, le nectar des stars. Simulant une forme d'épectase dégustative je déposais mon verre avec grâce et me rasseyais en levant les yeux au ciel.

 

Émilia en profita pour lancer la conversation sur la douloureuse retraite de Bob Parker, l'essor du consulting mondialisé, les affres du classement... Ainsi je pus me replonger dans mon abîme de silence que je déchirais de temps à autre, pour bien montrer à notre hôte toute l’étendue de ma perspicacité, en plaçant des scuds très affutés.

 

Pour ceux que la relation de ce dîner rendrait perplexes je me dois de leur avouer que, moi-même, je serais bien incapable de justifier ma méthode. En avais-je une d’ailleurs? Au risque de vous étonner la réponse est assurément oui. Quand on ignore le fond de la pensée de son interlocuteur on se contente de semer le doute en espérant qu’il produira des fruits.

 

Même le Roundup ne viendrait pas à bout des graines d’adventices que je venais de balancer !

 

Nous prîmes congés. Auparavant j'avais réclamé l'addition en dépit des protestations de notre hôte. Mon dernier scud le cloua au sol définitivement : « Il est hors de question que je laisse ce festin à votre charge, les conflits d'intérêts ne sont pas ma tasse  de thé. Je ne mélange jamais les genres, ici je ne suis pas votre obligé mais un privé sous contrat...»

 

Émilia contenait avec peine un fou-rire qu'elle laissa éclater sitôt que nous fûmes sortis.

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