« En souffrance » la dénomination me convenait bien car elle me permettrait de nommer et de compacter, en un lieu circonscrit et impénétrable, un recoin de mon ordinateur, tout ce qui venait de me tomber dessus en si peu de jours. Le risque d’un total effondrement me guettait, j’étais à deux pas d’être submergé, de perdre pied. Afin d’éviter l’effet de propagation j’appliquais la théorie des dominos à mes soucis. En priorité, confiner la jalousie qui me minait. Mes craintes se révélaient fondées. Comment pouvait-elle se laisser séduire par lui ? Lui ou un autre, je n'avais rien à dire même si pour moi elle méritait beaucoup mieux. Me taire. Fuir ce déjeuner. Mais elle était si belle, si rayonnante, si aérienne, et comme mon corps me lâchait ma lutte se portait sur un autre terrain. En fait, je réalisais que je n’étais pas jaloux au sens habituel du terme, mon désir ne puisait pas sa source dans la possession de son corps, bien sûr la sentir, l’embrasser, la déshabiller, lui faire l’amour, en d’autres temps m’aurait obsédé, mais dans mon souci de la voir aimée par quelqu’un à sa hauteur. Il n’y avait aucune trace d’amour-propre dans ma déception de la voir en compagnie de ce garçon mais une forme de rage, l’impuissance de la vieillesse. De l’orgueil sans doute, à croire que, si la donne du temps m’avait donné une chance, moi seul était capable de la rendre heureuse. C’était une certitude qui me rendait fort. L’important c’était elle, mon Emilie. Alors pour elle, il fallait que je me batte contre un ennemi intérieur, bien plus redoutable, dont je savais depuis des années qu’il guettait le bon moment pour se ruer sur mes défenses affaiblies et me terrasser. Du courage elle m’en infusait, loin des petits frelons sans importance je m’accrochais.
« Il n’y a d’amour éternel que contrarié… »
L’amour paisible est un leurre dont il faut se méfier, c’est quand c’est difficile, tout le temps difficile, que l’amour reste vivace, ne s’éteint pas. Le mien, si tardif, unique, entrait dans ce cercle restreint, alors pour m’aider à survivre j’allais le cultiver avec passion, avec soin, loin des petits prédateurs. La distance est mon seul talent.
« Anne était vive, intelligente, passionnée d’art. C’était une mince brunette pétillante aux yeux verts, très gaie et au sourire enchanteur. Elle le captivait. Il la charmait. « Il était intéressant, se souviendrait-elle. Il y a tant de gens qui ne sont pas intéressants. Vraiment pas ! Les gens supérieurs… vous multiplient la vie par leur savoir. »
« Mais Anne lui offrait ce renouveau – une « régénération », dira-t-elle – que peut connaître un homme plein de vigueur à l’approche de la cinquantaine quand son existence se trouve soudain bouleversée par une passion dévorante et réciproque pour une fille qui a la moitié de son âge. »
Le François de Jarnac avec qui je n’ai jamais eu d’affinités retrouvait au travers de cet amour romantique une épaisseur humaine, charnelle…
Quel champ me restait-il alors à couvrir entre ma bataille vitale et mon désir de la voir s’épanouir ?
En clair, devais-je abandonner toute activité ?
Les petits jeux intérieurs sont si minables, si misérables, si mesquins, alors que tout autour de nous, au plus près de nous, la barbarie, l’ignorance, la bêtise, s’étalaient, s’épandent, me désespèrent. Est-ce monde là que je vais quitter ? Est-ce monde là dans lequel ceux que j’aime vont vivre ? Je n’arrivais pas à m’y faire, à accepter l’impuissance, le renoncement. Alors, même si je n’en avais plus très envie, je m’accrochais aux manchons de la charrue et je suivais le sillon.
L’entrisme chez les Républicains s’imposait, je renouvelais ma carte au nouveau parti accompagné de l’ensemble de ma fine équipe. L’heure s’y prêtait car l’essentiel se jouait en interne.
« Janus aurait adoré la vie de Nicolas Sarkozy. Deux visages pour un même homme, l’un concentré sur le présent, l’autre tourné vers l’avenir. Un même corps, un même esprit, tendus vers deux horizons : la présidence du parti, un épisode qui n’est pas fait pour durer. Une sorte de présent imparfait. Le futur ? Une candidature à la primaire qui montre déjà son nez. Et pour l’heure un impossible choix puisque l’ex chef de l’Etat se doit d’être les deux. Président de tous et candidat d’une partie. Les vies de Nicolas Sarkozy ne sont décidément pas simples à conjuguer.
Certes la fonction de "big boss" des Républicains lui apporte pas mal d’avantages. C’est, en effet, à lui que revient la tâche d’organiser l’épreuve finale, lui qui en fixe les règles et les contours. Certes, les pressions sont fortes de la part de ses concurrents mais au final c’est bien lui qui tranche et part donc avec un léger avantage. Son job de président de parti lui donne aussi une surface médiatique bien supérieure à celle de ses concurrents. Le chef de l’opposition c’est lui. Rien que lui. Il est maitre des débats et du calendrier. En revanche, certains de ces avantages peuvent se révéler à double tranchant. »
Le maillon faible de la stratégie de Sarkozy c’est l’UDI, alors nous n’allions pas nous priver de faire feux de tout bois sur le plus con de la bande : Hervé Morin. Je rappelais à mes troupiers un petit épisode au temps où je m’étais infiltré dans les rangs de l’UMP.
« Alors, à la grande surprise de la pouponnière sarkozyste j’attaquais en rase campagne « Comment notre président a-t-il pu confier le portefeuille de la Défense à un Hervé Morin ? Moi qui suis un héritier de la pensée du Général, pensez-donc j’ai défilé sur les Champs en 68 pour protester contre la chienlit et renvoyer la racaille gauchiste à ses débats fumeux, je ne comprends pas ce choix. Les centristes sont des couilles molles et ce Morin un j’en foutre ! » Mes interlocuteurs étaient médusés et tétanisés. Que me répondre ? Aller dans mon sens c’était d’une certaine manière mettre en doute l’infaillibilité de Nicolas 1er. Nul n’osait s’aventurer sur ce terrain mouvant. Le mime agitait ses petites mains mais restait coi. Et c’est alors qu’une petite voix flutée s’élevait « Comme le dit mon père : Morin est aussi con que ses bourrins ! » J’approuvais bruyamment la petite blonde, car c’était elle qui venait de faire cette saillie, en qualifiant de plus le maire d’Epaignes de traître. Mes interlocuteurs approuvaient. L’agité-bis, stupéfait de la prise de parole de sa dulcinée, se dandinait d’une fesse sur l’autre, avant de proférer une grossièreté « Jeanne-Marie, ne t’en déplaise, ton père est aussi un sombre con... »
Pantouflage et magouillage sont les deux mamelles de la haute-fonction publique sous la Ve République…
« En cet hiver 2009, les pouvoirs publics désespèrent de trouver une solution au problème de gouvernance des Banques populaires et de l’Ecureuil. Les groupes, en très grande difficulté, vont fusionner, mais leurs patrons ne s’entendent pas sur un nom de dirigeant. Ces « chamailleries » exaspèrent les pouvoirs publics et le seul moyen d’y mettre un terme est de désigner une personne « neutre ». Encore faut-il la trouver. A Paris, les candidats disponibles ne sont pas légion. Quelques noms circulent, mais les banquiers buttent sur la solution. Or le temps presse. Et « c’est ce qui fait au final que le président de la République a demandé à François Pérol » de prendre la tête du futur groupe, explique Claude Guéant.
« Le président de la République lui-même a beaucoup hésité, poursuit-il. François Pérol était pour lui un collaborateur extrêmement précieux. Mais il fallait sauver les deux établissements bancaires. »
Le président du tribunal veut être certain d’avoir bien compris : « Donc c’était une idée du président de la République ? » « Oui », répond Claude Guéant.
A ce moment, il y a comme un flottement dans la salle. Non pas que Claude Guéant vienne de faire une révélation fracassante. A l’aune de ce que fut le quinquennat de Nicolas Sarkozy, en ces années d’hyperprésidence, ce « oui » n’étonne personne. Mais, au regard des débats de la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris, où M. Pérol comparaît pour « prise illégale d’intérêts », il prend en revanche une tout autre épaisseur. »