Reçu ce qui suit :
« Les « natures » seraient-ils rousseauistes ?
Si certains sont effectivement de doux rêveurs – et jusqu’à preuve du contraire, il est écrit nulle part qu’il est interdit de rêver » - la plupart ont des arguments techniques et des méthodes d’élaboration tout aussi rationnelles que les tenants purs jus de la maison d’en face.
Encore une fois, on oppose à une méthode « contrevenante » des arguments considérés comme allant de soi, j’oserais presque dire «naturels» car convenus, usuels et totalement entrés dans les mœurs.
Ce n’est pas parce que l’on met du sulfite depuis des siècles dans le vin, que c’est suffisant pour le justifier. On y a mis du plâtre aussi, du miel, des épices, et bien d’autres choses encore, pendant des siècles, ce qui ne veut pas dire que c’est « bon » ni justifiable. Présenté comme cela, l’argument tombe.
Faire du vin sans sulfite, c’est impossible !
C’est peut-être là qu’est le rêve, justement.
La face nord de L’Eigerwand était impossible. Elle s’est faite, avec des victimes certes, mais ce n’est plus un rêve illusoire.
Faire du vin sans sulfite, est un problème.
Et à partir du moment où c’est un problème, cela devient intéressant : c’est qu’il y des solutions nouvelles à imaginer.
Donc l’argumentaire est à nouveau caduc. Mais effectivement l’exercice reste risqué !
Un dernier point, le plus sensible à mon avis justement : la question aujourd’hui est sociologique. La rupture est moins finalement sur la place de la technique, centrale dans notre société, que sur la technique elle-même. C’est-à-dire que des deux côtés, ce qui est mis en avant c’est l’approche utilisée, explicitement (vin sans sulfite) ou implicitement (conventionnel) avant la finalité, qui est le vin.
Je renvoie dos à dos les thuriféraires de chacune des techniques : ils sont coincés dans le même piège intellectuel.
C’est l’aspect qui échappe totalement aux « techniciens » et à tous ceux qui «s’opposent» à ces vins (nature). »
Un petit retour historique :
Vin de plâtre d’abord : « Cette dernière pratique, qui consiste à introduire dans le vin du sulfate de potasse, est traditionnellement utilisée dans le Midi, en Espagne et en Italie pour éviter que les vins tournent en cas de changement de température. Les caractéristiques de ces vins méditerranéens (forts en acidité et en teneur alcoolique) impliquent aussi des conditions difficiles de transport ; le plâtrage permet de mieux garder le vin. C'est dire que cette technique ne peut être abandonnée qu'au prix d'investissements importants en caves et en procédés de vinification.
Cependant, après le phylloxéra, le plâtrage commence à être utilisé aussi pour rendre les vins plus solides, brillants et colorés. Comme l'observe le Journal des chambres de commerce, « nos pères obtenaient le même résultat d'une façon naturelle en laissant vieillir le vin et en faisant deux ou trois soutirages »
Le plâtrage répond donc en partie à un problème ancien puisque, à un niveau de technique donné, il permet de se protéger de certains risques de production. Mais, à partir des années 1880, ce procédé acquiert une autre fonction : il sert à accélérer le processus de fermentation du vin, il vise dès lors plutôt la quantité (éventuellement au détriment de la qualité). De ce fait, on ne peut parler d'un lien univoque entre technique de production et qualité du produit. La même technique, en l'occurrence le plâtrage, peut s'accompagner de perceptions différentes de la qualité du produit et implique des biens effectivement différenciés. En France, le plâtrage est pratiqué surtout dans le Midi, pour faire face aux températures élevées et changeantes. Cependant, dans le Bordelais aussi, il est courant d'importer des vins italiens et espagnols plâtrés, notamment au tournant des années 1880-1890 (...)
Extrait de « Histoire de la qualité alimentaire » Alessandro Stanziani pages 84-85.