Cette chronique n’est pas de circonstance, le scandale des pots-de-vin de la FIFA, l’idée m’en est venue lors de la parution dans le journal l’Équipe du 26 mai, d’une double page centrale sur l’extraordinaire saison 1994-1995 du FC Nantes championne de France de foot et la philosophie du jeu qui l’avait animé. C’est sur le compte Twitter de Pascal Praud que j’en ai découvert la parution j’ai donc pour une fois acheté l’Équipe
20 ans, rassurez-vous je ne vais pas entonner le « c’était mieux avant »mais mettre en avant une certaine idée du jeu, ici le football, « portée par des hommes, José Arribas d’abord, Jean-Claude Suaudeau ensuite et Raynald Denoueix enfin. Après eux, l’idée et ce football ont disparu de la surface de la Beaujoire. »
Le sport professionnel est par construction un sport spectacle qui, comme tout spectacle, exige des financements, une gestion d’entreprise, une marchandisation des joueurs. Je n’ai, ni les moyens, ni le temps de me livrer à une analyse approfondie du professionnalisme, mais simplement souligner que l’exacerbation, l’amplification, la pression des investisseurs : sponsors, patrons de club fortunés, médias TV avec la manne des droits, loi de l’offre et de la demande amplifiée suite à l’arrêt Bosman, mondialisation… tuent l’esprit du jeu en privilégiant le seul résultat, l’efficacité économique pour attirer les investisseurs.
L’exemple du rugby, sport régional, aussi bien dans l’hexagone que dans le monde, fraîchement passé au professionnalisme, depuis 1995, est en passe de démontrer que ce qui constituait son âme, à la fois l’esprit du jeu et l’ancrage dans le cœur des peuples.
Depuis 1995, « le rugby de haut niveau français quitte peu à peu les zones de tradition et de culture rugbystiques, notamment la côte basque, pour se déplacer vers des zones de chalandise aux bassins économiques plus importants », déplorait déjà l’an passé Marcel Martin, trésorier de la Ligue nationale de rugby et président d’honneur de Biarritz, lors de la relégation biarrote.
Dans son livre, en 2007, L’Esprit du jeu, l’âme des peuples, l’emblématique Daniel Herrero écrivait :
« Par chansons interposées, je découvris les noms de Mauléon, de Bayonne, de Saint-Jean-de-Luz, avant ceux des capitales européennes. Pourquoi les petits rugbymen de Toulon apprenaient-ils les chants basques avant “La Marseillaise”, “Le Chant des partisans” ou “Douce France” ? Eh bien, couillons que vous êtes, parce que pour nous, gens d’Ovalie, le Pays basque est une terre de référence. Une cathédrale. »
Folklore que tout cela me rétorquera-t-on, cassoulet, grosse troisième mi-temps, place aux survitaminés, aux rouleaux compresseurs, qui propulsent les clubs français au firmament de la H Cup avec le gratin des meilleurs joueurs du monde. Même motif, même punition pour le PSG des Qataris, sauf que dans ce cas de figure, avec une masse salariale record, le club de la Capitale reste encore dans l’antichambre de la Ligue des Champions.
Pas si sûr, et sans réclamer un illusoire retour en arrière, ne pourrait-on pas, un instant seulement, en revenir à l’esprit du jeu sinon il ne faudra pas s’étonner de n’avoir plus affaire qu’à des hordes de supporters hurlants partisans du gagner à n’importe quel prix et à des privilégiés en loges qui vont au spectacle pour se montrer, faire d’la com. comme on dit.
Je suis sans doute un peu vieux jeu mais je crois encore à la valeur de l’exemple pour le gamin qui court après un ballon dans une cour de récréation ou sur un terrain poussiéreux d’une favela. L’ascenseur social du sport a été, et peut être encore, un facteur de cohésion d’un pays, d’une nation. Encore faudrait-il que ça ne se réduise pas aux jeux du cirque et à des gladiateurs en Porsche Cayenne.
J’ai joué au basket à un très bon niveau jusqu’en junior. J’ai toujours été un compétiteur. J’aime gagner mais j’ai été aussi nourri au lait du FC Nantes de José Arribas pendant mes études universitaires à Nantes.
Nantes-Rennes à Marcel Saupin en mai 68
« En ce temps-là, les footeux, parties intégrantes de la vie des couches populaires venant les supporter match après match, osaient mouiller le maillot, prendre parti pour eux. José Arribas, l'entraîneur des Canaris, républicain espagnol émigré, à lui tout seul personnifiait cette éthique.
Le stade semblait abasourdi, comme si on venait de lui faire le coup du lapin. Les Gondet, Blanchet, Budzinsky, Le Chénadec, Suaudeau, Simon, Boukhalfa, Robin, Eon, conscients de la gravité du moment, nous offraient un récital de jeu bien léché, à la nantaise comme le dirait bien plus tard, un Thierry Rolland revenu de ses déboires de mai. Il fera partie de la charrette de l'ORTF. »
Dans une chronique du 19 juin 2010 je soulignais cette « exception nantaise »
Dans le football français des années 60 qui suivirent la fameuse Coupe du Monde de 1958 où la France de Kopa et de Fontaine se classa 3ième un drôle de bonhomme chauve, discret, un émigré espagnol, José Arribas, tira le FC Nantes de la 2de Division en 62-63 pour conquérir en 64-65 le titre de « champion de France » avec une équipe « sans vedettes » selon des principes nouveaux.
Le collectif, un mot un peu abimé par le collectivisme niveleur, est une force lorsque la somme des individualités est supérieure à leur stricte addition. Dans un collectif soudé l’individualité talentueuse s’épanouit plus encore au contact du joueur de devoir et le joueur ordinaire se transcende. Au-delà des tactiques, des consignes, du tableau noir, dans cette alchimie le rôle de l’entraineur est bien de transfuser à ses individualités cet altruisme qui mène aux plus belles victoires.
Faire confiance aux hommes, provoquer une crise de conscience chez tous ceux qui ont accepté de le suivre, telle est la ligne de conduite de José Arribas. Pour lui, l’esprit collectif prime tout. Il n’admet pas qu’un joueur puisse profiter du travail des autres, à son seul avantage.
C’est donc à l’héritier de José Arribas, Jean-Claude Suaudeau, l’entraineur mythique du FC Nantes lors de cette fameuse saison 1994-1995, où le FC Nantes ne concéda qu’une seule défaite avec une équipe de jeunes chiens fous jouant au ballon, que l’Équipe s’est adressé pour se remémorer cette équipe qui « a enchanté la France du foot. »
photo de JC Suaudeau illustrant l’article de l’ami Christophe LARCHER dans L'Equipe Magazine du 13/06/2014 «Autour de Benzema et Giroud» que j'ai empruntée car je la trouve pleine d'humanité
Un répertoire de combinaisons, comme au basket
« Offensivement, c’est mon truc. J’adore ça. Je n’ai jamais été vraiment un coach de compète. J’ai toujours été un joueur, je continue à l’être. Je m’occupais quand même de la défense, mais pas beaucoup. Ah le nombre de combinaisons qu’on a trouvées, et que les joueurs ont trouvées entre eux (…) On jouait tous les coups sur la récupe, sans contrôle : on passait devant, on anticipait. Il y a plein de jeux de gamins où tu joues à te toucher. Mon équipe avait une fantastique aptitude à attraper l’autre. »
C’était le fruit d’un travail en amont ?
« On avait un répertoire commun. Du coup j’ai exigé des choses, mais pas tout. Deux ou trois trucs bien précis. D’aucuns ne voudront jamais le croire, mais parfois, on donnait délibérément la balle à l’adversaire, dans ses 20 mètres, pour lui sauter dessus après. Quand le défenseur récupère la balle, il n’est plus défenseur (…) On appelait ça la traque (…) donc tu récupères la balle en mouvement. Et le mouvement c’est la vie, c’est le jeu. Regarde le nombre de buts marqués comme ça par le Barça ! Quand il a récupéré le ballon, c’est fini, trop tard. »
La richesse du FC Nantes
« … la richesse du FC Nantes, c’est que les dominantes de jeu demeuraient et les gars venaient à l’entraînement avec grand plaisir. Pour découvrir et se découvrir surtout. Ils s’épanouissaient très bien là-dedans, et c’est une de mes plus belles récompenses, quand même. La joie qu’il y avait dans ces entraînements et tout au long de la saison. Qu’est-ce qu’on a ri ! (…) Ils avaient en eux une confiance inébranlable. C’était beau, c’était beau ! Ça faisait du bien de se dire : on a cette force en nous. »
Joie, rires, envie de découvrir et se découvrir, s’épanouir…
Les railleurs des Canaris ont toujours glosés sur le peu de résultats internationaux du FCN alors que, « même diminué par les transferts et les blessures, Nantes avait atteint les demi-finales de la C1 l’année suivante… » souligne Vincent Duluc. On attend toujours le PSG, et sa grosse masse salariale, a cette hauteur…
Après, ce fut après, un autre monde…