Le vin, au tournant des années 70 a largement quitté les estaminets du populo, le zinc des petits blancs et des ballons de rouge, il s’est embourgeoisé d’abord doucement puis violemment, avec l’irruption des prix de folies des nouveaux riches. Les enchères flambent ! Les financiers alléchés font miroiter aux gogos la juteuse rente.
Vous allez me dire, que ce sont certains vins, pas tous, le gros du peloton patine largement dans les prix mini de la GD. J’en conviens mais l’image du vin est largement dominée par ceux qui jouent aux stars, ceux qui intéressent les people comme on dit.
Ainsi le vin à tous ses étages, comme le soulignait un expert en la matière, Bernard Magrez, est devenu un produit de statut, un marqueur social dirait nos sociologues. Ça pose son homme. Ça en impose. Moi, ma cave, mes crus… Il s’est largement embourgeoisé
Des bourgeois bien sûr il y en a des grands, de plus ou moins vieille souche, qui ignorent les petits mais, alors qu’ils enragent de ne pouvoir les mépriser, ils sont bien obligés de faire des risettes aux nouveaux enrichis et, plus récemment, il en est dit-on de bohèmes, les bobos, qui eux vivent douillettement en se préoccupant, disent-ils, de l’avenir de notre planète… Pour faire simple, dans le grand sac de la classe moyenne ceux du haut singent les grands bourgeois, ceux du milieu ceux d’haut-dessus et ceux du bas évitent de regarder au-dessous de peur de se retrouver chez les relégués.
Je sais ma peinture sociologique est très simpliste, réductrice, mais je n’ai jamais eu de vocation pour cette science molle qu’est la sociologie. Mon propos est plus impressionniste, volontairement flou pour mieux coller à la réalité qui a bien du mal à se glisser dans des catégories carrées.
Au temps du vin populaire le populo lichetronnait du VCC en litrons 6 étoiles de marques, les moyens et petits bourgeois du vin bouché AOC ou les fameux «déclassés» et les grands des GCC et autres crus prestigieux à des prix à peu près raisonnables comme en atteste les anciens catalogues de la maison Nicolas.
Et puis, il y eut moins de paysans, de marins, de gars lichetronnant sur les chantiers, d’ouvriers, ce fut la montée des cols blancs, des bureaucrates, le charme discret d’une nouvelle bourgeoisie urbaine, qui a bouleversé ce bel ordonnancement ; y’avait alors d’un gros côté la masse de ceux qui allaient pousser le caddie dans la GD et les cavistes généralistes et de l’autre une grosse poignée de ceux qui étaient abonnés aux revues spécialisées, qui hantaient les salons des mêmes revues, qui se payaient des master-class et des cours de dégustation.
Tout ce petit monde avait besoin de se rassurer, de se réassurer, de se couvrir de conseils, de consulter des notes et des classements, d’avoir un cadre bien établi. Alors on a codifié la dégustation, on l’a enserrée dans des normes et par contrecoup les experts se sont mis à dicter à ceux qui font le vin ce qu’il devait être. Les appellations qui n’étaient que d’origine contrôlée sont devenues des appellations normées, encorsetées.
Nous sommes aujourd’hui sous le règne des VDQM : les Vins De Qualité Moyenne ce qui permet aux bons critiques d’affirmer sans se tromper qu’il n’y a plus de mauvais vin dans notre vieux pays…
L’heure est donc aux vins pompiers !
Pompier vous avez dit pompier n’y voyez aucune espèce d’allusion au feu dans la vieille maison INAO, ni une référence à Magritte, ce n’est pas une pipe, même si ma référence a trait à la peinture.
Qui se souvient d’Alexandre Cabanel, de William Bouguereau, de Jean-Léon Gérôme et d’Horace Vernet ?
Pas grand monde !
« Si l’on consulte des histoires de l’art des années 30 ou 50, le bilan est éloquent pour les peintres « pompiers » : leur nom n’est jamais cité, ils n’existent pas ! (…) Combien de toiles ont été dépecées ou détruites ? Combien de peintures monumentales grattées et recouvertes… »
Dur, dur, pour les peintres officiels, les tenants de l’académisme, rien n’est pire que l’oubli.
« L’idée reçue étaient que les peintres d’avant-garde ne pouvaient être que des tenants de la révolution sociale et payaient ce double engagement de la vie difficile des réprouvés. Ils étaient les «maudits» qu’on opposait aux « nantis » de la peinture académique : on liait sans ambages l’impressionnisme à la Commune l’art pompier à la répression versaillaise. Or, les faits sont beaucoup plus nuancés et complexes. D’abord les pompiers ont été plus souvent d’origine modeste que les impressionnistes ; ils n’ont souvent atteint le relatif succès qu’à force de travail, parfois de privations, à l’aide de bourses, et en passant le concours, après tout « égalitaire » de l’École des Beaux-Arts. Des peintres comme Baudry ou JP Laurens sont de bons exemples de « la sursélection » des enfants de classes défavorisées ! À l’inverse, certains impressionnistes n’eurent guère d’inquiétudes matérielles (Manet, Degas, Caillebotte firent des héritages confortables) et presque tous s’enrichirent, davantage et plus vite que leurs rivaux. »
Thuillier Jacques, Peut-on parler d'une peinture «pompier » ?
Comparaison n’est jamais raison… mais il y a dans cette affaire un petit air de famille avec ce qui s’est joué lors de la première décennie du XXIe siècle dans le vin…
Le 16 avril, à Avignon, se tenait un colloque pour fêter les 80 ans de l’AOC. Normal, le baron Pierre Le Roy en fut l’un des pères à Châteauneuf-du-pape. Mais, comme le dit un peu amer Marc Parcé, membre du Comité National, qui n’y assistera pas car pour lui ce ressemblera plus à «un enterrement qu’à autre chose». Et ils seront nombreux les présidents à tenir les cordons du poêle.
J’étions point invité sans doute parce que j’aurais dérangé, fait un peu tache dans le bel ordonnancement de la cérémonie.
« Pour Marie-France Garcia, chercheuse à l’Inra (Institut national de recherche agronomique), «l’AOC doit représenter un gage de tradition et de savoir-faire dans la fabrication viticole. Mais beaucoup de producteurs estiment maintenant que la production intensive et l’utilisation de pesticides dans de nombreux vignobles AOC sont contraires à cette représentation»
Mais tout ça n’intéresse guère nos besogneux fabricants de cahiers des charges qui sont une forme de codes qui se veulent modernes mais qui ne sont que l’expression d’un académisme technicien rigide et froid. Et le terroir dans tout ça ? Presqu’un truc hors-sol badigeonné régulièrement par les communicants ! J’exagère à peine…
Technique quand tu nous tiens tu ne nous lâche pas… avec en sus une bonne dose de chimie et de pharmacie, bonne précaution, on assure le raisin et un vin produit bien léché.
« On n'insistera jamais assez sur le fait que la science expérimentale a progressé grâce au travail d'hommes fabuleusement médiocres, et même plus que médiocres... Car autrefois les hommes pouvaient se partager, simplement, en savants et en ignorants, certains plus ou moins savants et plus ou moins ignorants. Le spécialiste n'est pas un savant, car il ignore complètement tout ce qui n'entre pas dans sa spécialité ; mais il n'est pas non plus un ignorant, car c'est un homme de science qui connaît très bien sa petite portion d'univers. C'est un savant-ignorant. »
Ortega Y Gasset « La révolte des masses » 1930
« Les écoles d’art attestaient de la mutation du statut de l’artiste qui de simple artisan se voyait promu intellectuel inspiré. Il fallait donner au travail artistique un fondement théorique et à l’artiste une formation complète basée sur la pratique du dessin et sur l’enseignement des matières scientifiques (perspective, géométrie, anatomie) et humanistes (histoire, philosophie). Cette démarche dota le genre historique de sa force et de sa conviction. Le tableau devint le symbole des connaissances acquises et leur application aussi intelligente que possible.»
Attention, n’en déduisez pas que je suis en train d’assimiler le vin à une œuvre d’art et le vigneron à un artiste. Ce que je décris ici c’est l’étrange communauté d’intérêt qui s’est constitué entre les experts extérieurs en tout genre (vendeurs d’intrants, œnologues, critiques, acheteurs…) et les gardiens du temple INAO devenu une succursale de la CNAOC. Ce conglomérat improbable assemblant aussi bien les «élitistes» que les partisans de l’AOC pour tous, est bien le temple des nouveaux pompiers du vin.
Pompier, pompeux, art officiel, ampoulé ou comment obtenir à coup sûr le Prix de Rome et, bien sûr, sus aux avant-gardes !
Je ne vais pas vous faire un dessin, suivez mon regard !
Un casque de pompier / Ça fait presque un guerrier…
« L'application du mot « pompier » à l'art académique, apparait à la fin du XIXe siècle (1888 d'après le Robert) pour le tourner en dérision. Selon Le Larousse son origine peut être retrouvée — mais sans certitude historique appuyée sur un document — dans les traditions de l'École des beaux-arts. Au moment du Romantisme, les élèves de l'École célébraient ironiquement dans les tableaux de David et de ses émules les guerriers nus porteurs de ces casques antiques. Ils en auraient fait un couplet de la chanson des Quat'zarts : Un casque de pompier Ça fait presque un guerrier.
Des personnages au tableau, du tableau à l'artiste, le chemin était court, et bientôt le qualificatif de pompier s'est appliqué tout naturellement aux maîtres de l'École, aux membres de l'Institut, au jury du Salon. Puis il devait s'étendre à la plupart des exposants de la Société des artistes français comme à ceux de la Nationale des beaux-arts. Et de là aux artistes étrangers qui y participaient ou s'en inspiraient. »
Après ce que je viens d’écrire j’ai l’absolue certitude :
- que je n’entrerai jamais à l’Académie de l’Agriculture,
- que je ne serai jamais nommé PQ au Comité National de l’INAO…