J’adore les fêtes païennes où des liturgies laïques « servent à réchauffer le cœur de mécréants comme moi. » Ce fut le cas la semaine dernière dans les locaux de l’Institut Culturel Italien, 73 rue de Grenelle.
Je plante le décor : une foule de fidèles assise face à la Sainte-Table où allait officier Donpasta le gastrophilosophe musical link né dans le talon de la botte le Salento dans les Pouilles, adepte du farniente « les montagnes il les contemple de loin, et ça le fatigue déjà... » accompagné d’un trio musical jazz.
Nous sommes dans la pénombre. Notre homme arrive. Se place face à nous derrière un piano de cuisine rudimentaire et, en musique, va tout à la fois : nous conter son amour pour le bien-manger de son pays, philosopher sur le vie que l’on vit, préparer sa pasta aux aubergines, se référer à sa mémé chérie, sa sauce tomate maison, nous charrier gentiment nous les franchouillards, dire son exécration pour la Grande Distribution, chanter, lever un verre de vin, effeuiller un artichaut camus en nous parlant du peuple de Rome : celui du ghetto juif et l’autre : saisissant et émouvant ! Sur le grand écran les images défilent. La musique souligne, amplifie, lie les mots aux images. Donpasta avec une grande maestria prépare sa pâte à Pasta, la travaille avec sa petite machine, l’étire, la lamine, en fait de longues lianes qui sèchent sur un manche à balai. L’assistance est ravie, elle applaudit. La pasta cuit. Eloge de l’huile, elle grésille dans la poêle. Donpasta plonge au milieu de ses fidèles. Cérémonie païenne, légère et grave, rythmée par une liturgie de messe chantée et qui, suprême clin d’œil à une eucharistie laïque verra Donpasta nourrir à la fourchette en bois quelques heureux élus de l’assistance.
Clap de fin et j’en reviens à mon titre de chronique qui s’inspire d’une interrogation de Donpasta à son acolyte de Wine Sound System :
« Selon toi, quel vin s’accorderait le mieux avec un concert de Tom Waits ?
- Facile : du whisky et un paquet de Gitanes sans filtre.
Réponse normale puisque Tom Waits c’est « une voix trempée dans un fut de Bourbon séchée et fumée pendant quelques mois, puis sortie et renversée par une voiture link
« Je te rappelle qu’il s’agit d’un livre sur le vin ; essayons de nous en approcher. Il n’est pas vraisemblable d’écouter Tom Waits en buvant un rouge très cher dans du cristal. Ce serait lui manquer de respect. En attendant un livre sur les alcools forts, contentons-nous d’un Bag-in-Box de cinq litres à partager. »
C’est parti mon quiqui ! La petite machine à pondre de la chronique est partie dans le plus grand désordre en suivant quand même le fil rouge tendu par les 2 compères. Dans leur BIB quel vin populaire va-t-il se marier avec ce déjanté de Tom Waits ?
« Un vin produit dans la petite coopérative d’un village français, sur la rive droite* du Rhône, non loin de son embouchure. C’est un vin naturel, sans sulfites. Un choix téméraire, aux résultats surprenants. C’est un plaisir à boire. Il est fait par des gens qui croient aux contes de fées et travaillent dur pour qu’ils se transforment en réalité.
* en français dans le texte
Donpasta : c’est le vin des bonnes occasions. Comme le compositeur Tom Waits, qui colporte ses messages de village en village, de banlieue en banlieue. »
Commentaire sur le Côtes-du-Rhône 2008 des vignerons d’Estézargues
« L’image récurrente des fins de soirée, avec des tas de dizaines de mauvaises bouteilles, vides de toute façon, conséquences d’achats hâtifs au supermarché ou de conseils de cavistes somnolents qui, pour moins de vingt-cinq euros, ne se donnent pas la peine d’ouvrir un œil. Ces bouteilles AOC à l’emballage prétentieux sont souvent synonymes de mauvais vin.
D’ailleurs, si nos cinq euros doivent servir à payer le packaging, le marketing, le bouchon en liège (mauvais), à quoi on peut ajouter l’élevage en fût de chêne, le vin est pratiquement gratuit, gentil cadeau servant à exalter le contraste entre la couleur de l’étiquette et celle de la bouteille. En bouche, une dilution d’alcool si possible neutre afin d’exalter le goût des enzymes, voire celui du bois. L’abondante présence de sulfites garantira enfin un bon mal de tête matinal comme expiation de notre culpabilité pour nos excès nocturne.
Depuis quelques temps, j’ai décidé de provoquer un scandale. Pour garantir ma participation à la cuite collective, je me présente avec un BIB de cinq litres. Je les laisse déguster leurs étiquettes et ingurgiter leurs jus de copeaux, et je me bois un vin franc et pur, alcoolisé, fort et robuste, qui dissout la langue, s’accorde au goût de mes nombreuses cigarettes, et j’attends. J’attends que mes amis curieux s’approchent, lassés de leurs vins sophistiqués, ennuyés par leur reproductibilité industrielle, sublimation de l’époque, et qu’ils se laissent aller à bavarder, en remplissant nonchalamment leurs verres, timorés et intrigués. Depuis peu, mon BIB ne trône plus seul. Quelqu’un d’autre c’est aperçu qu’on pouvait boire du vin à quatre euros le litre. »
Le taulier, sitôt la lecture de Wine Sound System, en un mois de juillet pourri, en passant acheter son PQ chez JP Coffe (Franprix, Leader Price : en un mot Casino) en laissant traîner ses yeux sur le mur de vin a déniché une boutanche de la coopé d’Estézargues : un Côtes-du-rhône 2009 : Terre de Mistral qui m’a coûté moins de 4 euros mais comme c’est du 75cl j’étais dans la norme de mes deux larrons.
Morale de toute cette histoire :
1- A quoi ça sert que Donpasta, Toulousain d’adoption, se décarcasse pour le vin et la bonne bouffe si nous nous en restons à nos petits pince-fesses dégustatifs prout-prout ma chère dans des grands hôtels ?
2- Mais ils étaient où mes chers confères (à une exception près, remarquable d’ailleurs) ?
3- A quoi ça sert que le taulier se décarcasse si vous restez muets comme des carpes ?
Puisque Tom Waits est le seul « Blanc à avoir fait un pacte avec le diable de la Nouvelle-Orléans » moi le mauricaut qui ne suis qu’un Jacques du Boulevard Saint-Jacques si proche de la Porte d’Orléans, même si je n’ai pas sa voix de pot d’échappement, je suis prêt à me donner à Belzébuth pour que le vin retrouve sa place et redevienne populaire, tout simplement…
« In a land there’s a town. And in that town, there’s house. And in that house, there’s a woman. And in that woman, there’s a heart I love. I’m gonna take it with me when I go. I’m gonna take it. With me when I go…”