Ne jamais plier le genou, ne jamais baisser la tête ni courber l’échine... entre génuflexion et résignation des paysans de mon pays « crotté » (1) j’ai forgé ma fierté, j’ai bâti ma colonne vertébrale, j’ai fondé mes engagements. Je sais d’où je viens, et je n’en tire aucun droit ou excuses à mes contradictions, mais je sais surtout où je n’irai jamais. Cette photo, ce texte sont pour moi une marque indélébile de ce bonjour « notre maître » que j’entendais dans la bouche de gamins de mon âge lorsque j’accompagnais mon père pendant les batteries.
(1) « Tu parles des bocains, c’est quand ils quittent l’école qu’ils sont le plus amusants et le plus sympathiques l’hiver car les chemins si boueux du bocage exigent qu’ils soient guêtrés comme les hommes et cela en fait de vrais chats bottés nom sous lequel on les désigne. Et à ce sujet je vais te parler d’une chose que j’ai vue : quand les paysans vont avec leurs charrettes à bœufs cherché des fagots ils ont coutume d’y aller avec plusieurs charrettes de sorte que ça fait un défilé de charrettes pleines de fagots. Et bien pour un de ces défilés-là que j’ai vu, la première charrette était conduite par un homme et la suivante avait comme conduction un de ces chats botté en question et il était si petit que pour sûr qu’il n’en existait pas de plus de petit guêtré comme leur père et stupéfaction, le conducteur de la charrette suivante était un enfant encore plus jeune et plus petit et qui était vraisemblablement le frère de l’autre par conséquent d’au moins 10 ou 12 mois de moins et guêtré pareillement lui aussi, preuve qu’il avait quitté l’école. D’en voir un seul c’est déjà amusant mais une paire c’est bien autre chose. »
Lettre de Gaston Chaissac à Jean Dubuffet août 1947 in Hippobosque au bocage Gallimard