Concevoir une allure, c’est composer un style… L’élégance, la vraie, est imperceptible, intangible. C’est un je ne sais quoi, une alchimie, le mystère d’une griffe, l’expression d’un supplément d’âme, une composition au sens musical : harmonie ou rupture, une pure apparence me direz-vous… Pas si sûr, sous les pavés la plage proclamions-nous en un mois de mai débridé et débraillé : et pourtant Dany le Rouge avait de l’allure, un style. Un rien l’habille disait d’une de ses jeunes clientes ma couturière de mère. Simplicité, liberté, superbe, rébellion, le style est l’expression de sa singularité. J’y suis sensible, mais bien plus que l’élégance physique c’est l’élégance morale qui me séduit.
Dire d’un vin qu’il a un style, sans le qualifier, relève d’une certaine forme de facilité. En revanche, reconnaître à la collection de vins d’un vigneron un style, en le caractérisant, c’est tenter de faire entrer l’amateur dans l’univers d’un créateur. Créer, au sens de ce que fait la main de l’homme, ce n’est pas simplement reproduire des gestes mais, sans forcément bousculer la tradition, opérer des métamorphoses, y faire entrer une part de son imaginaire, de sa culture. Chercher, observer, douter, aller au plus près de l’expression de sa terre, du ciel et de la lumière, accompagner, être attentionné, rechercher l’authenticité bien plus qu’une geste gratuite et forcément éphémère.
En deux occasions, le dîner des jeudivins à DiVinamente Italiano link et la dégustation autour des raviolis chez RAP link, les flacons du domaine Piana dei Castelli de Lucia et Matteo Ceracchi Velletri ont affirmé un vrai style, une signature immédiatement identifiable…
Identité donc, la plus simple d’abord, leur identité visuelle, une belle griffe, sobre, épurée, légère, première touche du style Ceracchi : de l’allure, le chic à l’italienne à la Giovanni Agnelli.
Mais au-delà de la griffe, si attrayante soit-elle, il y a l’identité du vin de Matteo Ceracchi, une identité qui ne cantonne pas à la simple expression de son terroir, mais est révélateur justement d’un style où les sensibilités de Lucia et de Matteo, différentes mais si fusionnelles, s’expriment. Leurs vins portent la trace de leurs choix, forme de rébellion juvénile, expression de leur désir et de leur volonté de faire autrement sans pour autant prendre des pauses révolutionnaires. Ils font ! Ils font bien. Ils font de mieux en mieux. Leurs vins sont vraiment originaux, et ce n’est pas une figure de style, généreux sans ostentation, élancés au sens d’un bel équilibre du corps, l’allure quoi, parfois surprenants comme le Grechetto 2011, cépage autochtone, ils ne laissent jamais indifférent, ils sont vifs tel le fameux Sauvignon 27.07 récolté en juillet ou doté d’un formidable potentiel comme le Torre del Mare 2006.
Alors le style Ceracchi c’est quoi, me direz-vous ?
Réponse :
le charme discret d’une génération vive, précise et inventive : le sens de la vigne, de belles matières, du cousu main pour une collection de vins dotés d’une réelle identité, d’une forte personnalité, d’une chaude et tendre humanité.
C’est le style « new-look » versus Christian Dior, la taille resserrée, les jupes corolles, revisité par le style YSL des origines. En un mot comme en 100, le style Ceracchi est en train de donner ses lettres de noblesse aux vins du Lazio qui en avaient bien besoin (voir à la fin de la chronique un extrait d’un livre célèbre de Sandro Veronesi « Chaos calme »)
Illustration via la plume de Guillaume Nicolas-Brion à propos du Sauvignon 27.07 link
« La vendange de ce sauvignon a eu lieu le 27 juillet 2011. D'où le nom de 27.07 : ce n'est pas un agent secret, mais un vin quasi secret, 9300 bouteilles. Les vignes sont cultivées en biodynamie mais on ne le dit pas trop. Résultat ? Forcément inattendu. Bien sûr, une forte acidité mais pas dérangeante, au contraire : rafraîchissante. Une finale très minérale. Ce vin n'est pas vert : le fruit est mûr, le jus est précis, la quille taillée pour quelques belles années. Assurément, on l'a bu trop tôt. C'est une sacrée découverte. »
Et de poser la question à Lucia qui est à Velletri via Face de Bouc : Pourquoi une récolte fin juillet ?
« C'est une provocation. Le goût des Italiens nous a << obligés >> à explorer les autres particularités de ce cépage. Normalement, les arômes typiques d'un sauvignon (comme celui que nous produisons en septembre) sont le buis et les arômes dus à la pourriture noble (miel, fruits confits). Or le 27.07 a une robe jaune paille aux reflets verdoyants et des arômes végétaux. Il est moins coquin qu'un sauvignon classique et il exprime à fond le territoire crayeux et siliceux du Latium. Le fait d'arriver à faire une vendange en juillet ne dépend pas du soleil, ou plutôt cela ne dépend pas que du soleil : c'est grâce à l'énorme travail que nous faisons dans les vignes. C'est en janvier que l'on comprend comment anticiper toutes les phases phénologiques. C'est en janvier aussi que l'on voit si les plants seront bien hydratés et bons pour juillet. Bien sûr, le climat doux du centre de l'Italie aide énormément nos expérimentations ».
Mes préférés, choisir est toujours une forme d’injustice, sont hormis le Sauvignon 27.07 cher au cœur de Guillaume le plus puriste des naturistes, et de La Trama 2007 sont aux deux extrémités de la collection des vins du domaine Piana dei Castelli :
- le Grechetto 2011, pour sa splendide simplicité, son côté gavroche, coquin et gouailleur, un gamin de Paris – normal Lucia y vit – on le voit bien accompagner ma ciabatta au museau de bœuf link en chantonnant entre chaque gorgée les paroles de Victor Hugo.
On est laid à Nanterre, C'est la faute à Voltaire/ Et bête à Palaiseau, C'est la faute à Rousseau / Je ne suis pas notaire, C'est la faute à Voltaire /Je suis petit oiseau, C'est la faute à Rousseau./ Joie est mon caractère, C'est la faute à Voltaire / Misère est mon trousseau, C'est la faute à Rousseau./Je suis tombé par terre, C'est la faute à Voltaire / Le nez dans le ruisseau, C'est la faute à Rousseau…
- le Torre del Mare 2006, la plus forte personnalité de la collection Ceracchi, Lucia souligne « sa robe sombre quasi-impénétrable » en contemplant les larmes qui se forment sur les parois du verre, signe de sa riche et consistante matière. C’est un vin dense, soyeux, puissant, apte à une longévité sans rides ni usure du temps, une future plénitude de trentenaire, de l’allure quoi, du charme loin de la suffisance de nos châteaux de Bordeaux. Au temps où je fumais des Puros, si je l’avais connu, je l’aurais apprécié calé dans un fauteuil, relisant quelques pages de Belle du Seigneur :
« Dans la salle des pas perdus, les ministres et les diplomates circulaient, gravement discutant, l’œil compétent, convaincus de l’importance de leurs fugaces affaires de fourmilières tôt disparues, convaincus aussi de leur propre importance, avec profondeur échangeant d’inutiles vues, comiquement solennels et imposants, suivis de leurs hémorroïdes, soudain souriants et aimables. Gracieusetés commandées par des rapports de force, sourires potiches, cordialités et plis cruels aux commissures, ambitions enrobées de noblesse, calculs et manœuvres, flatteries et méfiances, complicités et trames de ces agonisants de demain. » (chap XI, page 104).
Comme les meilleures choses ont une fin, le souvenir de la merveilleuse soirée à Divinamento Italiano : carpaccio de gambas rouges, laurier, orange amère et barba dei frati / poulpe enroulé dans la poitrine, crème de peccorino romano et poire / ravioli farcis aux ris de veau, pesto d'estragon... l'agneau au romarin, artichauts à la romana... la queue de veau à la Vaccinara du chef Matteo Oggioni...
et la soirée bonne enfant chez RAP autour des 4 recettes suggérés par Lucia Pantaleoni : ravioli à la pistache, ravioli aux aubergines, tomates confites, pignons, tortelli ricotta-épinards, tortelloni ricotta, pommes de terre et pancetta...réalisées avec maestria par le chef Slah Kalifa, romain d'origine tunisienne...
sans vouloir en rajouter je puis vous assurer que ces deux mariages avec les vins du Domaine Piana dei Castelli nous ont donné beaucoup de bonheur...
Ravioli de Lucia Pantaleoni aux Editions Solar, m'inclinent à envisager très sérieusement de me faire annexer par l'Italie...
Comme promis, pour faire une belle chute, voici l'extrait de « Chaos calme » (Caos Calmo) de Sandro Veronesi chez Grasset Prix Méditerranée a été adapté pour un film réalisé par Antonello Grimaldi sous le même titre, avec Nanni Moretti…
« Il attaque ses spaghettis bille en tête, à croire que son temps est compté. Il ne les enroule pas : il les fourre dans sa bouche comme si c’était du foin, et avec sa fourchette, il se contente de les accompagner au fur et à mesure qu’ils montent. Ça aussi c’est romain, une saine façon de manger populaire – incarnée par Alberto Sordi aux prises avec des macaronis – qu’ici à Milan on prend pour une absence de bonnes manières. »
« Ce n’est pas bon pour vous de ne manger que des sandwiches, vous savez ? Une belle assiette de pâtes al dente, avec de la tomate fraîche et un filet d’huile, est beaucoup plus indiqué pour la santé. »
Il remplit les deux verres de vin, à ras bord, comme à la campagne.
« Goûtez-moi ça. Ce n’est pas un grand cru, mais c’est un bon petit vin pas trafiqué. »
Il me tend un verre, prend le sien, le lève.
« Santé. »
Il boit une gorgée franche, décidée, et vide la moitié de son vin. J’en bois moins. C’est un de ces vins forts, âpres dont on ne comprend pas s’ils le sont par hasard ou de façon délibérée.
« Il vous plaît ?
- Oui. Il est bon.
- Frascati. C’est ma sœur qui me l’envoie, de Velletri. Qui me l’envoyait : dorénavant, j’irai le chercher moi-même. »
Tout ceci c’est de l’histoire ancienne, maintenant lorsque vous passerez à Velletri vous vous arrêterez au domaine Piana dei Castelli et vous demanderez : un Grechetto, un Grigio, un Sauvignon 27.07, un Follia, un Trama, un Torre del Mare : un Ceracchi quoi ! Et, si vous ne faites pas le voyage pour l’Italie et que vous voulez les découvrir, il vous suffit de le demander au Taulier qui se fera un plaisir de vous mettre en contact avec Lucia qui parle si bien de ses vins, même avec les mains…