Selon une jurisprudence bien établie ici : je plaisante bien sûr. L’art de la Préface est un art difficile. Celle de Jean-Paul Kauffmann au livre de Maurice Constantin-Weyer : « L’âme du vin » - écrit en 1932 – est un modèle du genre car l’auteur répond à la question « le vin a-t-il une âme » avec la pertinence et le talent qu’on lui connaît (pour la lire ou relire http://www.berthomeau.com/article-30924388.html ). Que du bonheur ! Mais au regard de ce bijou, combien de préfaces besogneuses, pompeuses, où le préfacier n’a de cesse de se mettre en avant pour démontrer son apport inestimable en ces quelques lignes précédant l’ouvrage. Dans ma vie de nègre ministériel j’ai commis des préfaces qui, par bonheur, étaient signées par mon commanditaire.
Alors pourquoi diable ce titre racoleur ? Tout simplement parce que les deux auteurs ont eu la bonne idée de frapper à la bonne porte pour faire préfacer leur ouvrage. Ils se sont adressés à Hugh Johnson, une référence. Alors, lorsqu’Éric Bernardin écrit sur son blog « à boire et à manger » que la réponse positive d’Hugh Johnson est « un grand bonheur qui vous fait oublier le reste » comme je le comprends. Je le comprends et je le remercie car il me tire une belle épine du pied. Rassurez-vous, à aucun moment les auteurs ne m’ont sollicité pour commettre une préface. En revanche, ça ne leur aurait pas fait déplaisir que je consacrasse une petite chronique à leur livre. Mon problème c’est que nos deux larrons au travers de leur blog : « Une aventure médocaine : le making off de Crus Classés du Médoc » http://livremedoc.canalblog.com asséchaient mon inspiration. Donc j’essorais vainement mes méninges en pure perte : je restais sec tel un Michel Onfray s’escrimant à pondre une Préface pour les œuvres complètes de Pierre Desproges.
Il se peut que vous ne me suiviez pas sur le chemin tortueux que j’emprunte ce matin comme à mon ordinaire. Pourtant c’est lumineux : Hugh Johnson m’a sauvé d’une complète déréliction, d’un désastre honteux, en offrant une belle préface au livre d’Éric Bernardin et Pierre Le Hong. Ainsi, comme je suis un grand fainéant, je vais pouvoir vous vanter leur ouvrage par l’entremise d’une grande plume érudite. Et oui, vous m’avez compris, afin de vous épargner une chronique besogneuse voici le beau texte d’Hugh Johnson.
« J'ai le sentiment d'avoir assisté à la naissance progressive de ce livre au fil des cinquante dernières années de ma vie.
Peut-être connaissez-vous l'Atlas de la France vinicole, projet lancé durant la Seconde Guerre mondiale par Louis Larmat, un éditeur parisien consistant à cartographier les toutes nouvelles Appellations d'Origine Contrôlée. Il m'avait inspiré pour mon Atlas mondial du vin, écrit en 1970. J'y avais ajouté le dessin d'un chai en coupe (le cru bourgeois château Malescasse) pour expliquer aux lecteurs son organisation et son fonctionnement. À cette époque, je trouvais ce concept pour le moins révolutionnaire.
Dans les années 1970, l'auteur néerlandais Hubrecht Duijker produisit une série de livres illustrés avec les photos des domaines viticoles et de leurs propriétaires, complétées par des cartes. Petit à petit, l'idée d'associer dessins didactiques, cartes et photographies pour une présentation exhaustive d'un domaine a fait son chemin dans de nombreuses publications. Pour aboutir aujourd'hui à sa plus belle expression dans ce livre d'Éric Bernardin et Pierre Le Hong.
En combinant le récit de leurs recherches, les informations techniques fournies par les châteaux et les photographies des lieux et des personnes qui y travaillent, ils entraînent le lecteur dans une visite virtuelle de chaque domaine. Ils publient également – je pense pour la première fois – la localisation et la nature géologique précises de chaque parcelle contribuant à produire le vin d'un château. En d'autres termes, la définition physique de chaque terroir.
C'est quelque chose que j'ai tenté de faire il y a 40 ans pour mon Atlas des vins, mais j'avais rencontré alors une réticence des propriétaires à me livrer ces détails. Après des années de lutte avec les plans cadastraux dans les mairies médocaines, j'ai finalement abandonné l'idée de collecter ces informations. Ici, dans cet ouvrage remarquable, tout le monde peut enfin y avoir accès. En vérité, il est difficile de trouver des questions techniques qui ne sont pas abordées dans ce livre.
Dans un chapitre consacré à l'un des châteaux, les auteurs racontent la conversation téléphonique longue distance entre un journaliste étranger et le propriétaire, le premier lui posant sans cesse de nouvelles questions à propos du dernier millésime. Ce dernier, gagné par la lassitude, finit par lui répondre : « Vous êtes bienvenu au domaine pour venir le déguster par vous-même. » Ce qui est naturellement l'essentiel. Peut-être ce livre soulagera les propriétaires de ce genre de conversation jusqu'au milieu de la nuit. Car c'est la meilleure visite virtuelle du Médoc que vous ne pourrez jamais trouver. Laissant à la dive bouteille sa part de splendeur et – Dieu merci – de mystère.
Ce que vous devez comprendre du Médoc (et de Bordeaux en général), c'est que ses vins sont surtout des interprétations personnelles d'une certaine tradition (une recette, si vous voulez) ; ils le doivent peu à la nature. Un cru de la Côte d'Or peut être considéré comme une expression quasi prévisible d'un cépage en un lieu déterminé. Ce n'est pas le cas du Médoc. Les Crus Classés possèdent les meilleurs terroirs d'une région déjà privilégiée, dont ils font leur propre interprétation : les vins qui en résultent sont faciles à reconnaître, mais difficiles à décrire et encore plus à comprendre. Vous ne trouverez pas de meilleure tentative de réponse que ce livre qui est entre vos mains. »
Après une telle lecture vous savez ce qui vous reste à faire pour avoir entre les mains le livre d'Éric Bernardin et de Pierre Le Hong « Crus Classés du Médoc » : l’acheter mais vous devrez patienter encore quelques mois (74 jours je crois) car nos auteurs font durer le suspens. Pour connaître le jour précis allez consulter la petite pendule, tout au bas de leur blog http://livremedoc.canalblog.com qui égrène « les days, les hours, minutes, seconds... » qui restent avant la parution. Voilà, j’en ai terminé de mon labeur matinal qui, je le concède à ceux qui « m’adorent », ne m’a trop coûté d’énergie neuronale mais, en l’espèce, mon seul but étant de vous donner envie de lire l’ouvrage préfacé je n’ai fait qu’appliquer ma nouvelle devise : « on n’est jamais mieux servi que par les autres » surtout en l’espèce où l’autre est Monsieur Hugh Johnson, une référence que j’aurais bien du mal à assumer de ma petite plume badine