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30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 00:09

Enfant je détestais la galantine truffée du charcutier que maman achetait pour le repas de Noël et ce pour deux raisons : la première était gustative, je suis allergique à la gelée qui l’entourait, la seconde était liée à mon instruction religieuse, en effet ce carré noir central, tel l’œil de Caïn dans la tombe, ne me disait rien qui vaille. J’en mangeais bien sûr pour faire plaisir à ma sainte mère mais mon rapport à la truffe s’en est toujours ressenti : je ne cours pas après. Même que, dans mes vertes années, la Tuber mélanosporum, évoquait pour moi la ringardise de la poularde demi-deuil chère aux banquets républicains et aux demi-sels chers à Audiard et consorts.

 

Les maîtres de la Haute Gastronomie Française vont encore me toiser, me remettre à ma place d’usurpateur, en objectant que la truffe, la vraie, celle qui atteint les sommets à chaque saison sur les marchés de Richerenches, Valréas, Aups, Carpentras, Lalbenque... sous le manteau, n’est pas l’ersatz de ma jeunesse mais une reine. J’en conviens aisément d’autant plus que je puis aussi leur rétorquer que j’ai depuis le temps lointain de mes culottes courtes accédé au sommet de la truffe. Pour preuve ce dîner tout à la truffe chez l’ami Jérôme Quiot à la veille d’un Vinisud, rassemblant des clients canadiens, où le chef Guy Jullien de la Beaugravière à Montdragon avait magnifié la Tuber mélanosporum dans tous ses états. « L’hiver, de décembre à mars, c’est la passion de la truffe qui signe les plats du restaurant. En salade, en velouté ou accompagné de coquilles Saint-Jacques, le produit est travaillé à tous les plats. Le repas se termine avec du Saint-Marcellin à la truffe puis une crème glacé truffée » www.labeaugraviere.comMême que pour en rajouter une couche j’écris cette chronique en pleine zône truffière et qu’à la « Petite Maison de Cucuron » chez Eric Sapet j’ai mangé un Suprême de poule faisane rôti au chou et à la saucisse de Morteau, sauce salmi. COICA6JP793CAVBWYNQCA675YMLCA69OELUCA12XF1KCA2896AXCALTNZHA

Reste que la truffe garde encore aujourd’hui sa part de mystère, certes on n’élucubre plus en affirmant qu’elle naît « des pluies d’automne et des coups de tonnerre secs », on ne la diabolise plus, elle l’« enfant des dieux », depuis que notre sainte mère l’Eglise catholique et romaine ne la rejette plus comme porteuse de mille sorts, on laisse à l’Ecole Nationale de chimie de Toulouse et à la société Trufarôme leur aromatisant jus de truffe commercialisé sous la marque « Arôme de Truffe », on préfère penser à George Sand qui vouait à la « gemme des terres pauvres », la plus « révérée des princesses noires, une passion sans borne ou à Giono la dégustant « au plus près de la Provence, crue avec du sel et de l’huile d’olive ». Moi ce que j’aime dans la truffe, la « rabasse » provençale, c’est qu’elle est capricieuse, exigeante : elle naît dans un sol attentif et adapté, c’est mademoiselle « juste ce qu’il faut » de chaleur, de froid, de pluie,  c’est la locataire d’un arbre ami, c’est une amoureuse d’une nature humanisée mais respectée. De plus, sa récolte, le cavage s’avère délicate et aléatoire. Elle nécessite un détecteur : cochon (S-O), chien (S-E), mouche (Grasse) selon la tradition locale, de la patience, du nez, de la délicatesse lorsque le caveur gratte le sol avec son « truffidou ». Connaissance empirique des signes annonciateurs, sens de l’observation : le brûlé du sol autour de l’arbre truffier, ressenti, chaque rabassier a ses secrets.

 

Folklore railleront les sceptiques : la trufficulture (application de l’arboriculture à la culture de la truffe) va « industrialiser » le process et roule inexorablement la fin des caveurs et autres rabassiers. Ce n’est pas nouveau puisqu’en 1808 Joseph Talon sema des glands près de Saint Saturnin d’Apt dans des terrains calcaires déjà saturés par des spores de truffes et il ramassa quelques années plus tard des truffes. Il fut imité et on alterna vigne et chêne truffier lorsqu’en 1880 les ravages du phylloxéra aboutirent à l’apogée de la culture de la truffe. Et puis, comme toujours, la mécanisation, l’exode rural, la chimie eurent raison de cet âge d’or. Depuis 20 ans l’INRA cherche, le CTIFL expérimente, des méthodes de cultures ont été éprouvées (Pallier, Tanguy) sans aboutir à des résultats probants. Les traditionnalistes avancent que l’intervention de l’homme créé les conditions de l’appauvrissement de la faune et de la flore incompatibles avec la fructification du champignon. C’est heureux s’écrieront les « nature » ! Reste que cette économie de cueillette confère à la truffe le statut de produit rare donc cher.

 

La France est le premier pays consommateur de truffes, elle produit entre 20 et 40 tonnes/an (statistique qui ne prend pas en compte l’autoconsommation et les ventes au black) et en importe tout autant d’Espagne et d’Italie, et en importerait plus de 20 tonnes de Chine (tuber indicum qui ressemble à la mélanosporum à prix bas bien sûr). Le négoce de la truffe est familial, culturel (une vingtaine de négociants/conserveurs) car il exige un savoir-faire empirique, avoir un « nez ». Bien évidemment je ne vais pas entrer sur le terrain des débats chauvins : franco-français Périgord/Provence ou avec nos voisins italiens, et leur blanche d’Alba, et autres espagnols. Je préfère m’en remettre à Maguelonne Toussaint Samat qui écrit « L’Italie prend la truffe française pour un bruit qui court et l’espagnole pour une triste plaisanterie. L’Espagne ne connaît qu’une truffe, la sienne. Et la France dit des autres : impossible ».

 

Reste le sujet le plus important : la truffe et le vin. Je partage avec Pierre Casamayor l’opinion que la truffe, dans notre cuisine, n’est pas un « prétexte parcimonieux à des fins décoratives ou prétentieuses » et que la simplicité, telle celle de Giono, lui va bien. Fraîche ou à peine tiédie, elle exhale son parfum puissant, son arôme de sous-bois, ses fragrances incomparables. Lui faire face n’est pas chose aisée, il faut tenir le choc, supporter la comparaison. Alors le vin de truffe n’est-il pas un vin de territoire de truffes : Châteauneuf-du-Pape ou Cahors, ou un vin qui fleure bon lui aussi l’arôme de truffe : un côte-rôtie ou celui de la noisette : un Hermitage blanc... Plus roturiers les futurs Grignan les Adhémar lui iraient bien aussi... « En Italie, dans le Piémont, à Alba, à l’automne dans sa pleine maturité, la truffe parfume l’air et les grappes des dolceto et des nibbiolo qui, bien secs, se marient avec la truffe blanche. » Bref, chers amis, ne vous privez pas d’aller plus avant dans ce mariage d’amour, donnez-moi les noms des heureux élus à qui va votre préférence...

 

Pour tous les détails voir l’ABCdaire des Truffes chez Flammarion 3,95€ qui m’a servi à écrire cette chronique.

 

Note de l'auteur : la truffe ne vaudra jamais la vie d'un homme fusse-t-il un voleur de truffe à 1000 euros le kg...

 

La nouvelle rubrique « à lire » se mettra en ligne à 9 heures, Constellation Brand passe un accord avec CHAMP Private Equity pour lui céder ses activités en Australie et au Royaume-Uni  mais si vous souhaitez la lire de suite elle est accessible grâce à ce lien

http://www.berthomeau.com/article-constellation-brand-passe-un-accord-avec-champ-private-equity-pour-lui-ceder-ses-activites-en-australie-et-au-royaume-uni-63919493.html  

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commentaires

O
<br /> <br /> Je ne peux laisser passer ce post sans parler … du Champagne ! Truffe et Champagne ça marche pour preuve j'ai récemment réalisé pour un client l'accord suivant : le 100% Pinot Meunier "l"âme de<br /> la terre 1998" de Françoise Bedel (c'est du Champagne…) avec la préparation suivante : mélanger huile de truffe avec quelques copeaux de truffe (petits les copeaux…), une fois la mixture prête<br /> isoler des feuilles de roquette (oui juste de la salade !). Et maintenant place au cérémonial : tremper la feuille de roquette dans votre huile truffée de truffe, croquer et buvez une gorgée du<br /> vin à bulle. Oh miracle !<br /> <br /> <br /> Côté table, le Champagne reste la majorité du temps le roi de l'apéritif mais certaines cuvées sont tout à fait capables d'accompagner du "solide" ! Tiens, Jacques, un petit clin d'œil : essayez<br /> un bout de pain de campagne très légèrement grillé imbibé d'huile de poivre, déposer dessus un bout de foie gras mi-cuit que vous rectifiez de poivre au moulin et de fleur de sel. Avec ça, cher<br /> Jacques, miam miam, vous ouvrez les Hautes Chèvres de Georges Laval (100% Pinot Noir, ce qui a bien évidemment son importance…). Amen !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bonnes Fêtes à toutes et à tous !<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> A tous les maux dont souffre la truffe, il faut en ajouter un, de plus en plus présent, le sanglier, c'est un grand amateur et chercheur redoutable de champignons et de truffes.<br /> Il a un nez éduqué et un groin fouisseur efficace. L'un de mes fils est à Saint Saturnin les Apt, patrie de  Talon inventeur de la trufficulture, et sa belle famille est de tradition truffe.<br /> Ils racontent que venant de leur domaine vers 800 mètres d'altitude, ils redescendaient par un sentier au village, et lorsqu'ils arrivaient au mas en bas, en saison de rabasse, leur<br /> musette était pleine de truffes . Il arrive parfois qu'ils en trouvent quelques unes, et j'ai une photo d'un de mes petit fils, qui l'année dernière, avait une petit tas de trufffes<br /> devant lui sur la table. Il a, je crois, hérité des traditions familiales du côté de sa mère, pas seulement pour les truffes, mais aussi pour les cerises, les olives et la chasse. Nous avons,<br /> pour le baptème du dernier, dégusté un civet de 2 chevreuils succulent, c'est un mode de vie traditionnel dont il subsiste quelques exemples!!! <br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Deuxième post : zappez-le si vous n’aimez pas les anecdotes.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> L’histoire (authentique) se déroule vers 1994-95 et met en scène la salle de ce beau restaurant, une grande table (au moins 20<br /> couverts) de cardiologues belges invités à un symposium scientifique, suivi d’une escapade en vallée du Rhône et même jusqu’à Bandol. Le menu est royal, les vins aussi et l’ambiance<br /> agréable.<br /> <br /> <br /> Il y a un hic : une table de deux (des touristes étrangers, comme nous mais d’une autre nationalité), arrivée au même moment,<br /> fume cigarette sur cigarette (à l’époque, c’était encore permis), rendant réellement l’atmosphère irrespirable. Etant le laquais loué par la firme pharmaceutique sponsorisant la virée pour servir<br /> de « gentil organisateur », je me mets en devoir d’aller prier aimablement ces convives, dans leur langue et poliment, de bien vouloir suspendre leur tabagie : l’apéro est passé<br /> depuis longtemps, et on a déjà présenté deux services, objecte-je.<br /> <br /> <br /> Pour toute réponse, on a aspiré une bouffée, pour me la souffler au visage !<br /> <br /> <br /> Une petite plainte auprès de la patronne et, 30 sec plus tard, le chef sort de la cuisine, se dirige vers les deux fâcheux et leur<br /> dit : « Voilà, c’est fini. Vous ne me devez rien mais vous sortez maintenant ». Et ainsi fut fait.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> A l’annonce du « fait divers » sur le voleur de truffes (supposé), il y a quelques jours, j’avais déjà mis un post attirant<br /> l’attention sur le prix d’une vie humaine, et sur le risque existant à posséder une arme à feu (ici, un fusil à pompe d’ailleurs !) quand on n’est pas totalement maître de soi. Or, le maire<br /> de la commune où les faits se sont déroulés tenait un discours bizarre à la radio, semblant à demi-mot cautionner les événement, du genre : « Les voleurs, on les connaît, ils hantent<br /> les marchés à la truffe, repèrent les plus belles productions et puis viennent se servir. Cela devait arriver. »<br /> <br /> <br /> Je reconnais qu’il est frustrant de travailler pendant des années pour développer un lopin de chênes truffiers et puis de voir un<br /> petit malin partir avec le butin. Mais on vole aussi du raisin (surtout le muscat), des abricots, des pêches, des artichauts ....<br /> <br /> <br /> Le problème, c’est le prix de la truffe. Jadis, on la ramassait, on l’achetait à un quiddam qui en ramassait ou bien ... on n’en<br /> mangeait pas. C’est devenu un business et dès lors, cela attire les convoitises.<br /> <br /> <br /> Autre aspect, même chez les soi-disant professionnels, une bonne partie se négocie sous le manteau, en cash de la main à la main. Bien<br /> sûr, « on n’est pas là pour générer de la fiscalité », comme ils disent, mais cela facilite le travail des voleurs, qui trouvent un marché totalement parallèle.<br /> <br /> <br /> Enfin, ayant eu la chance moi aussi de m’asseoir chez M. Jullien (voir le post suivant pour l’anecdote), à de nombreuses reprises, je<br /> confirme que la truffe devient dans ses mains un diamant noir. C’est bon mais, même ainsi, quand même surfait. La Beaugravière serait un excellent restaurant, même sans les truffes. Le plus<br /> difficile est de trouver Mondragon : on est toujours du « mauvais côté » du Rhône , dans le triangle Mornas-Bollène-Pont-St-Esprit, et c’est toujours à la tombée du jour, et<br /> toujours au moment de passer à table !<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Ah, la Beaugravière, ses truffes et son inoubliable carte de châteauneufs-du-pape à des tarifs quasiment pas français! Passons…<br /> <br /> <br /> Juste une recette, mise en pratique encore le semaine dernière, une des plus extraordinaires à mon goût avec la truffe noire, simplicité biblique mais efficacité diabolique: le beurre de truffe.<br /> <br /> <br /> C'est simple, on malaxe du beurre de qualité (cru du Couserans ou un peu plus policé des Deux-Sèvres, j'ai utilisé la dernière fois celui de la laiterie de La Viette en Gâtine); on ajoute 10 g de<br /> truffe finement hachée pour 100 gramme de beurre, on sale légèrement, on poivre plus que légèrement, on ajoute, selon son goût, une goutte de bon porto, banyuls ou maury puis on roule cette<br /> mixture en forme de boudin puis on l'emballe dans du film alimentaire et on le conserve 3-4 jours au frais.<br /> <br /> <br /> Après, on en fait ce qu'on veut: tartines, finition du veau ou d'une volaille, amélioration de saint-jacques poêlées, etc…<br /> <br /> <br /> Pour ce qui est du champagne, à mon avis, il vaut surtout vieux (15-20 ans) mais avec de la blanche!<br /> <br /> <br /> <br />
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