Enfant je détestais la galantine truffée du charcutier que maman achetait pour le repas de Noël et ce pour deux raisons : la première était gustative, je suis allergique à la gelée qui l’entourait, la seconde était liée à mon instruction religieuse, en effet ce carré noir central, tel l’œil de Caïn dans la tombe, ne me disait rien qui vaille. J’en mangeais bien sûr pour faire plaisir à ma sainte mère mais mon rapport à la truffe s’en est toujours ressenti : je ne cours pas après. Même que, dans mes vertes années, la Tuber mélanosporum, évoquait pour moi la ringardise de la poularde demi-deuil chère aux banquets républicains et aux demi-sels chers à Audiard et consorts.
Les maîtres de la Haute Gastronomie Française vont encore me toiser, me remettre à ma place d’usurpateur, en objectant que la truffe, la vraie, celle qui atteint les sommets à chaque saison sur les marchés de Richerenches, Valréas, Aups, Carpentras, Lalbenque... sous le manteau, n’est pas l’ersatz de ma jeunesse mais une reine. J’en conviens aisément d’autant plus que je puis aussi leur rétorquer que j’ai depuis le temps lointain de mes culottes courtes accédé au sommet de la truffe. Pour preuve ce dîner tout à la truffe chez l’ami Jérôme Quiot à la veille d’un Vinisud, rassemblant des clients canadiens, où le chef Guy Jullien de la Beaugravière à Montdragon avait magnifié la Tuber mélanosporum dans tous ses états. « L’hiver, de décembre à mars, c’est la passion de la truffe qui signe les plats du restaurant. En salade, en velouté ou accompagné de coquilles Saint-Jacques, le produit est travaillé à tous les plats. Le repas se termine avec du Saint-Marcellin à la truffe puis une crème glacé truffée » www.labeaugraviere.comMême que pour en rajouter une couche j’écris cette chronique en pleine zône truffière et qu’à la « Petite Maison de Cucuron » chez Eric Sapet j’ai mangé un Suprême de poule faisane rôti au chou et à la saucisse de Morteau, sauce salmi.
Reste que la truffe garde encore aujourd’hui sa part de mystère, certes on n’élucubre plus en affirmant qu’elle naît « des pluies d’automne et des coups de tonnerre secs », on ne la diabolise plus, elle l’« enfant des dieux », depuis que notre sainte mère l’Eglise catholique et romaine ne la rejette plus comme porteuse de mille sorts, on laisse à l’Ecole Nationale de chimie de Toulouse et à la société Trufarôme leur aromatisant jus de truffe commercialisé sous la marque « Arôme de Truffe », on préfère penser à George Sand qui vouait à la « gemme des terres pauvres », la plus « révérée des princesses noires, une passion sans borne ou à Giono la dégustant « au plus près de la Provence, crue avec du sel et de l’huile d’olive ». Moi ce que j’aime dans la truffe, la « rabasse » provençale, c’est qu’elle est capricieuse, exigeante : elle naît dans un sol attentif et adapté, c’est mademoiselle « juste ce qu’il faut » de chaleur, de froid, de pluie, c’est la locataire d’un arbre ami, c’est une amoureuse d’une nature humanisée mais respectée. De plus, sa récolte, le cavage s’avère délicate et aléatoire. Elle nécessite un détecteur : cochon (S-O), chien (S-E), mouche (Grasse) selon la tradition locale, de la patience, du nez, de la délicatesse lorsque le caveur gratte le sol avec son « truffidou ». Connaissance empirique des signes annonciateurs, sens de l’observation : le brûlé du sol autour de l’arbre truffier, ressenti, chaque rabassier a ses secrets.
Folklore railleront les sceptiques : la trufficulture (application de l’arboriculture à la culture de la truffe) va « industrialiser » le process et roule inexorablement la fin des caveurs et autres rabassiers. Ce n’est pas nouveau puisqu’en 1808 Joseph Talon sema des glands près de Saint Saturnin d’Apt dans des terrains calcaires déjà saturés par des spores de truffes et il ramassa quelques années plus tard des truffes. Il fut imité et on alterna vigne et chêne truffier lorsqu’en 1880 les ravages du phylloxéra aboutirent à l’apogée de la culture de la truffe. Et puis, comme toujours, la mécanisation, l’exode rural, la chimie eurent raison de cet âge d’or. Depuis 20 ans l’INRA cherche, le CTIFL expérimente, des méthodes de cultures ont été éprouvées (Pallier, Tanguy) sans aboutir à des résultats probants. Les traditionnalistes avancent que l’intervention de l’homme créé les conditions de l’appauvrissement de la faune et de la flore incompatibles avec la fructification du champignon. C’est heureux s’écrieront les « nature » ! Reste que cette économie de cueillette confère à la truffe le statut de produit rare donc cher.
La France est le premier pays consommateur de truffes, elle produit entre 20 et 40 tonnes/an (statistique qui ne prend pas en compte l’autoconsommation et les ventes au black) et en importe tout autant d’Espagne et d’Italie, et en importerait plus de 20 tonnes de Chine (tuber indicum qui ressemble à la mélanosporum à prix bas bien sûr). Le négoce de la truffe est familial, culturel (une vingtaine de négociants/conserveurs) car il exige un savoir-faire empirique, avoir un « nez ». Bien évidemment je ne vais pas entrer sur le terrain des débats chauvins : franco-français Périgord/Provence ou avec nos voisins italiens, et leur blanche d’Alba, et autres espagnols. Je préfère m’en remettre à Maguelonne Toussaint Samat qui écrit « L’Italie prend la truffe française pour un bruit qui court et l’espagnole pour une triste plaisanterie. L’Espagne ne connaît qu’une truffe, la sienne. Et la France dit des autres : impossible ».
Reste le sujet le plus important : la truffe et le vin. Je partage avec Pierre Casamayor l’opinion que la truffe, dans notre cuisine, n’est pas un « prétexte parcimonieux à des fins décoratives ou prétentieuses » et que la simplicité, telle celle de Giono, lui va bien. Fraîche ou à peine tiédie, elle exhale son parfum puissant, son arôme de sous-bois, ses fragrances incomparables. Lui faire face n’est pas chose aisée, il faut tenir le choc, supporter la comparaison. Alors le vin de truffe n’est-il pas un vin de territoire de truffes : Châteauneuf-du-Pape ou Cahors, ou un vin qui fleure bon lui aussi l’arôme de truffe : un côte-rôtie ou celui de la noisette : un Hermitage blanc... Plus roturiers les futurs Grignan les Adhémar lui iraient bien aussi... « En Italie, dans le Piémont, à Alba, à l’automne dans sa pleine maturité, la truffe parfume l’air et les grappes des dolceto et des nibbiolo qui, bien secs, se marient avec la truffe blanche. » Bref, chers amis, ne vous privez pas d’aller plus avant dans ce mariage d’amour, donnez-moi les noms des heureux élus à qui va votre préférence...
Pour tous les détails voir l’ABCdaire des Truffes chez Flammarion 3,95€ qui m’a servi à écrire cette chronique.
Note de l'auteur : la truffe ne vaudra jamais la vie d'un homme fusse-t-il un voleur de truffe à 1000 euros le kg...
La nouvelle rubrique « à lire » se mettra en ligne à 9 heures, Constellation Brand passe un accord avec CHAMP Private Equity pour lui céder ses activités en Australie et au Royaume-Uni mais si vous souhaitez la lire de suite elle est accessible grâce à ce lien
http://www.berthomeau.com/article-constellation-brand-passe-un-accord-avec-champ-private-equity-pour-lui-ceder-ses-activites-en-australie-et-au-royaume-uni-63919493.html