Ai-je sauté le pas ? Profitant de mes séjours réguliers en Luberon ai-je décidé de passer à l’acte ? Suis-je devenu un simple propriétaire terrien ou mieux un petit propriétaire-exploitant comme certains belges déracinés ? Mon titre semble répondre positivement à ces questions mais avec moi il faut toujours se méfier car je suis capable de vous emberlificoter pour que vous me lisiez.
Le premier bien que j’ai acquis, ce fut à l’Isle-sur-Sorgue un document officiel émanant du Ministère de l’Agriculture, Direction de la Production, de J. Long Inspecteur de l’Agriculture et P. Bonnet Directeur des Services Oléicoles : L’OLIVIER. Bel opus à couverture vert olive où les deux ingénieurs agronomes font la preuve de l’utilité ce qu’on appelait autrefois « les services agricoles ». Belle appellation que voilà tombée dans les oubliettes des Chambres d’Agriculture. Muni de ce viatique il ne me restait plus qu’à, sauf qu’avant je vous dois quelques explications.
Dans ma carrière l’olivier fut un amour tardif, pour autant ce fut un amour ardent et sincère qui, le temps passant, ne s’est pas émoussé même si le petit monde de l’olivier français n’a guère tenu les promesses des espoirs que j’avais placé en lui. Qu’importe, c’est un peu mon lot que de croire en la capacité des hommes de relever des défis à leur portée. L’olivier et la vigne vont bien ensemble dans notre grand sud et, persuadé que j’étais qu’il y avait une place à prendre dans le formidable développement qu’a connu la consommation d’huile d’olive en France, j’ai milité pour l’émergence d’une oliveraie en capacité d’apporter aux consommateurs français une huile de large origine, Provence par exemple, une IGP, à un prix compatible avec le porte-monnaie du plus grand nombre. Peine perdue – même si mon labeur fut surtout verbal – l’huile d’olive française reste dans le confidentiel, le haut de gamme, le produit rare d’AOC. C’est un choix qui parfois confine au non-choix et ça ne me regarde pas.
Pour finir sur ce sujet, lorsque j’exerçais le dur métier de médiateur des VDN à Perpignan j’avais organisé une journée de l’olivier dans la bonne ville de Millas (moulin à huile de Millas) dont le maire était Christain Bourquin Président du CG des PO – présentement successeur de Georges Frèche – pour convaincre certains viticulteurs de sortir de la monoculture des VDN. On m’a pris alors pour un fêlé, un fada de Paris, mais je reste persuadé que l’objectif de fournir 10% de la consommation française avec notre production n’avait rien de baroque. Encore eut-il fallu, là comme ailleurs, sortir de l’approximation, du bricolage et des mauvaises habitudes. Et moi, croyez-moi, je devrais perdre la mauvaise habitude de ramener ma fraise sur des sujets qui ne me regardent pas.
Maintenant je vais vous livrer le fin mot de mon histoire.
« J’ai acquis, il y a trois ans, à Lourmarin, une petite terre.
Depuis un quart de siècle, personne n’y avait donné un coup de pioche. J’y comptai cependant, dans la rocaille, une soixantaine de vieux oliviers. La moitié était mutilée, rasée aux racines, sauvagement. Du sol, il ne sortait que troncs sciés de travers, pourris, rongés, et de maigres rejets déjà épineux. Les autres plants, secs, crevassés, tant bien que mal tenaient encore. Mais, mangés de soleil, ravagés par le vent, sans nourriture, ils étaient stériles. Pas une olive : de vrais oléastres.
Pourtant je ne sais trop pourquoi, je leur trouvai de bonnes têtes. Dans l’abandon où ils vivaient, oubliés de tous, reniés, voués à la hache et au feu, ils avaient conservé un je ne sais quoi de solide, de confiant. Ils avaient l’air ainsi de très vieux hommes. J’en suis sûr, quelque chose d’humain émanait d’eux, comme si, d’une antique race paysanne, ils eussent, seuls, conservé et perpétué, sur ce sol aride, le tenace espoir. Et ils attendaient.
C’étaient des arbres de patience, des arbres de foi, des créatures végétales religieusement attachées à leur roc infertile, et, vivants vénérables, de ce roc, les derniers, les vrais possesseurs. L’homme avait abdiqué ; eux, ils restaient là. Ils n’attendaient pas de pitié ; ils espéraient peut-être un peu d’amour ou, plus simplement encore, un peu de justice. Et c’est pourquoi je me suis mis soudain à les aimer.
Or, si j’écris, ici, ces quelques lignes, c’est à cause de cet amour. Car j’ai soigné mes arbres, et ils m’ont bien rendus en fruits le peu que je leur avais donné. Sauf un ou deux, tous ils ont repris vie. Deux ans après, une trentaine portait des olives er présentement ma bastide dresse son fronton de petit temple grec au milieu de leurs beaux feuillages ressuscités. J’avoue sans façon que j’en suis heureux, d’abord à cause d’un peu d’huile, d’huile vraies, dorée, nourrissante, fruitée à point, lente et grasse à couler, et qui vient de mon sol.
Pour modeste qu’il soit, c’est le don de reconnaissance du roc, de l’humus et de l’arbre associés. Voilà qui réconforte.
Car le pacte du renouveau fait avec l’homme a été tenu.
J’ai l’impression maintenant d’être aimé de mes arbres. Et être aimé d’un olivier n’est-ce pas, pour celui qui honore la terre et ses travaux, une rare récompense. »
Henri BOSCO Lourmarin, septembre 1950 (le gel de 1956 détruira une grande partie de l'oliveraie française) fut un grand fabricant de dictées pour moutards utilisant la plume Sergent major et l'encre violette, humaniste, amoureux du Luberon, il est enterré au cimetière de Lourmarin. (1976)
« Je veux qu'on ramène mes cendres à Lourmarin, au nord du fleuve, là où vécut mon père et où, trop peu de temps, j'ai connu les conseils de l'Amitié.
Et que l'on creuse alors sur ta paroi, en plein calcaire, là-haut loin des maisons habitées par les hommes, entre le chêne noir et le laurier funèbre, un trou, ô Luberon, au fond de ton quartier le plus sauvage. J'y dormirai.
Et puisse-t-on graver, si toutefois alors quelqu'un prend souci de mon ombre, sur le roc de ma tombe, malgré ma mort, ce sanglier »