Avec les faits du passé lorsqu’il s’agit de répondre à la question : pourquoi n’avons-nous rien fait ou presque rien, face à une situation donnée qui, avec le recul du temps, apparaît comme ayant du provoquer une prise de conscience, déclencher un sursaut, impliquer des choix clairs, générer des décisions courageuses, deux attitudes sont à proscrire : les occulter et s’en exonérer pour ceux qui étaient en charge de décider, les ressasser et en tirer avantage pour ceux qui, sans être des visionnaires, avaient fait l’effort minimal d’analyse afin de proposer une stratégie pour tenter de relever les défis.
Pour faire simple « AGIR, plutôt que RÉAGIR... » « J’ai toujours voulu que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver mais ce que nous allons faire » Henri Bergson.
Fermez le ban !
Ce n’est pas moi qui repasse le plat mais le magazine US Harpers qui titre « First Berthomeau, now it’s plan B »
Dans le même temps où je découvrais cet article j’étais invité, dans un cénacle privé, à livrer mon analyse sur la situation présente du secteur du vin et à esquisser ce que nos amis anglais ont baptisé un plan B.
Comme je l’ai écrit récemment dans une chronique « Lettre d’un «émigré» de la «patrie du vin» au POINT qui l’a poussé à une telle extrémité » http://www.berthomeau.com/article-35759032.html mon envie de rechausser mes bottes de 7 lieux pour m’aventurer sur des sentiers trop connus, est inversement proportionnelle à celle de certains de mes anciens coéquipiers qui souhaitent que je sorte à nouveau du bois.
Je « refleuchis » et pour l’heure je vous propose de prendre connaissance de la traduction de l’article de Harpers, dont le titre suggère que j’ai été le premier à mettre les pieds dans le plat et que, dix ans après le rapport B, un plan B s’impose. À vous de me dire ce que je dois faire. À vous de contribuer au débat. À vous de faire des propositions.
Bonne lecture.
Il y a presque 10 ans, le rapport radical Berthomeau proposait ce qui pourrait être fait pour sauver les ventes de vin français d’ici 2010 – pourtant aujourd’hui encore les problèmes subsistent. David Williams demande à des grands noms de l’industrie du vin comment la situation peut être améliorée.
Au virage de l’an 2000, le Ministère français de l’Agriculture commissionnait Jacques Berthomeau, consultant public, afin qu’il rédige un rapport pour répondre à une urgence liée à la crise qui frappait les exportations françaises de vin. Ses objectifs, selon les termes du Ministère, consistaient à proposer « une stratégie gagnante pour la France dans la perspective de l’année 2010 », et surtout d’initier un plan afin de stopper l’alarmante chute des exportations qui avait conduit, en moins de 2 ans, à la perte de 5% de parts de marché de la France au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Etats-Unis. La position prééminente de la France sur ces 3 marchés était pour la première fois menacée.
Lorsque Berthomeau publiait son rapport, long de 80 pages, l’été suivant, ses recommandations étaient sans équivoques : la France devait s’adapter et apprendre du Nouveau Monde à tous les niveaux – production, commercialisation, organisation de l’industrie du vin – afin de garder son rang en tant que producteur au 21ème siècle et de maintenir, selon Berthomeau, les « barbares » du Nouveau Monde « à la porte ».
Cependant, une décennie plus tard, alors que la période visée par le rapport touche à sa fin, Berthomeau doit se demander pourquoi il a consacré presque une année de sa vie pour écrire ce plan. La plupart des perspectives font de 2009 l’annus horribilis du vin Français dans ce qui a déjà été une décennie châtiment. Les premiers chiffres sont terribles : un étourdissant plongeon de 25% des exportations globales pour les six premiers mois de 2009, avec un constat particulièrement sombre au Royaume-Uni. Il y a seulement 12 ans, la France avait plus d’un tiers du marché total du vin et plus du double des parts de marché de ces rivaux les plus proches. Aujourd’hui, « le vin français » (ndt : en français dans le texte) se traîne en 5ème position de l’off-trade anglais, selon Nielsen (Août 2009), avec 2,8 millions de caisses (soit une part de marché de moins de 15%), éclipsée non seulement par ses ennemis familiers que sont l’Australie (à beaucoup de longueurs d’avance avec 4-7 millions de caisses) et les Etats-Unis, mais aussi par l’Italie, et, pour la première fois, l’Afrique du Sud. La performance de la France est bien meilleure sur l’on-trade, planant au sommet aux côtés de l’Italie.
Comme le dit Neil Bruce, wine director chez Waverley TBS : « Avec la France, ce sont des degrés de ratage. Il y a très peu de bonnes nouvelles. Elle est attaquée de toutes parts. »
Le diagnostic
Tel est le contexte déprimant, mais pourquoi donc la France trébuche-t-elle si gravement, et qu’est-ce qu’il faut faire pour que les choses aillent mieux ? Ou, pour le dire autrement, si le Ministère Français devait avoir une nouvelle envie de produire un rapport du style Berthomeau, cette fois-ci regardant à horizon 2020, qu’est-ce que celui-ci devrait inclure ?
Premièrement, le diagnostic. Pour Bruce, l’explication du déclin continu de la France est essentiellement de 2 types : un mélange toxique d’une compétition croissante de ses rivaux aggravée par des problèmes généraux de l’économie. « Nous avons vu les ventes du vin Français diminuer considérablement du fait de l’euro fort », selon Bruce.
« La récession mondiale l’a aussi frappé très fort : les styles classiques, tels que les Chablis, Sancerre et les plus beaux Bordeaux, sont tous des vins premium – ils sont chers. A l’autre extrémité, le vin français a été frappé par une combinaison, d’une l’Espagne prenant un rôle important, mêlée à l’assaut sans merci du Nouveau Monde – le blush rosé californien, les entrées de gamme Chiliennes et les doubles-variétés. Et puis il y a le maintien de la vigueur de l’Italien Pinot Grigio », a-t-il ajouté.
Dominique Vrigneau, Directeur des achats pour Thierry’s, le plus grand importateur anglais de vin français, pense aussi que la crise économique globale a touché fortement les français, bien qu’il croit que la force de l’Euro ne constitue pas un problème aussi important que ce que beaucoup peuvent penser. « Ces derniers mois, avec la récession, l’obsession de tous les détaillants pour l’ensemble de l’activité en magasin a pris la forme de fortes réductions de prix et de promotions, Vrigneau raconte : « En gros, d’autres pays ont répondu plus rapidement et mieux à ce défi que la France. La France n’a pas été aidée par une récolte relativement faible en 2007 et 2008. Mais, alors que le taux de change n’était pas favorable aussi aux italiens ceux-ci n’ont pas chuté, ce n’est donc pas une bonne justification ».
Richard Evans, directeur de Dedicated Wines, qui possède le Languedoc-Roussillon La Différence et importe le vin du Rhône Le Cellier des Dauphins, est d’accord avec Vrigneau.
« Les taux de change n’aident pas, mais c’est la même chose pour tous les producteurs Européens. Lorsque les taux de change vont contre les marges des détaillants, ils se restreignent et, de façon compréhensible, en promeuvent moins. Inversement, les autres pays qui ont un taux de change plus favorable gagnent en présentation/promotion. Dans un marché axé sur la promotion ceci a un inévitable effet sur la part de marché ».
En effet, Evans croit que le taux de change défavorable a simplement exacerbé une tendance sous-jacente. « La France a choisi de ne pas être active dans le marché des premiers prix comme s’il s’agissait simplement d’affaires non durables », dit-il. « C’est complètement non-économique de produire du raisin, élaborer et embouteiller du vin et de le vendre à 0,75€. Les viticulteurs français ne peuvent pas gagner leur vie et doivent se faire une raison et arracher ».
« D’autres pays Européens sont actifs sur ce marché et gagnent ainsi des parts de marché, mais finalement ils sont liés par la même économie Européenne et vont aboutir à la même inévitable conclusion ; regardez à ce qui arrive en ce moment à l’Italie. »
Eclosion d’un plan B
Pour Evans, la France doit se faire à l’idée qu’elle ne peut pas se mettre en concurrence sur le marché de masse des vins d’entrée de gamme et que c’est le premier pas sur la route de son rétablissement, ou du moins qu’elle peut le faire avec un projet plus réaliste de son positionnement dans le monde du vin. Une opinion partagée par Graham Nash, acheteur France à Tesco, qui croit que, derrière tous ces doutes causés par la chute de la France du sommet des classements, se cache une histoire beaucoup plus positive et un business model beaucoup plus durable.
« Contrairement aux pronostics pessimistes, la France n’est pas dans un état désespéré, il s’agit juste pour elle de trouver sa bonne position », raconte Nash. « Aucun pays n’a un droit divin à être le numéro un au Royaume-Uni et la France est toujours considérée comme le pays où il faut aller pour avoir du bon vin et où les consommateurs recherchent tradition et réconfort ».
« J’aime l’article de Victoria Moore [dans le Guardian] publié il y a 2 semaines», continue Nash, « qui met en avant que, si le top 10 des marques en UK étaient exclues de l’équation, alors la France serait toujours le pays numéro un ».
Pourtant Nash croit que la France a toujours beaucoup de points sur lesquels travailler. En effet, durant l’été, il a été l’un des 25 grands noms du groupe British trade plan B, qui comprends des représentants de Bibendum, Morrisons and PLB, à signer une lettre ouverte au Ministre français de l’Agriculture, qui disait : « Nous sommes convaincus que la France a besoin de changer sa façon de promouvoir son vin au Royaume-Uni si elle veut un jour retrouver – ou même stabiliser – ses parts de marché ».
Spécifiquement, la lettre en appelle au gouvernement français pour qu’il soutienne une campagne générique pour le Vin français, ouvre un bureau commun en UK, et de mette de côté la promotion régionale par Appellations.
Une telle démarche aurait le soutien de presque tous au Royaume-Uni. Comme le dit Bruce : « Ce serait une forte stimulation que d’avoir une approche commune, plutôt que cette obsession des français de se battre entre eux. Pour le moment, les campagnes régionales françaises semblent être ciblées contre les autres régions du pays plutôt que contre le reste du monde ».
Vrigneau ajoute : « Avec une part de marché de moins de 15% aujourd’hui dans le off-trade et la contradiction en résultant dans l’unité de gestion des stocks (SKU), il est irréaliste d’attendre que chaque région puisse être entendue et représentée convenablement chez chaque détaillant et dans le marché en général. « Maintenant, plus que jamais, un message plus global est requis ».
Cependant, personne ne croit réellement qu’un bureau commun puisse être la panacée contre tous les maux français. Il y a un large consensus, d’une part, sur le fait que la France a besoin d’améliorer son offre de marque. Comme le dit Evans : « au cours de la dernière décennie, les marques ont guidé la croissance du marché. Historiquement, la France n’a jamais eu de marques fortes dans l’esprit Nouveau Monde et par conséquent, inévitablement, sa part de marché en a souffert. La réalité est que les marques françaises sont Bordeaux, Rhône, Bourgogne et ainsi de suite, et que les marques de producteurs individuels jouent un second rôle. Mais le problème c’est la qualité variable à l’intérieur de ces marques de producteurs qui endommage l’image de la France ».
Vrigneau abonde. « La France pourrait certainement faire avec plus de marques significatives pour répondre aux besoins des clients, bien que la situation s’améliore – Caves Saint-Pierre Préférence, Châsse du Pape et Blasons de Bourgogne ont grandi à un niveau plus significatif afin de complémenter les offres bon marché de Chenet et Piat d’Or ».
Un changement radical
D’autres croient à des changements plus radicaux que celui d’améliorer le marketing – soit à un niveau général ou à celui des marques. Ceci est particulièrement vrai pour les producteurs du Languedoc-Roussillon, le cœur des producteurs de vin le plus touché par la crise vinicole, à l’intérieur duquel une bataille politique se déroule – différente de celle qui a marqué le Royaume-Uni dans les derniers jours de l’industrie lourde dans les années 70 et 80. D’un côté, il y a le protectionnisme de gauche, plus visiblement représenté par les activistes du CRAV, qui continue d’appeler l’aide de l’état et à la protection des producteurs en difficultés. De l’autre, se situent des producteurs, tels qu’Arnaud Fabre, propriétaire du Château d’Angles, Terroir de la Clape, qui appelle à une libéralisation à large échelle de l’industrie, incluant la « privatisation » et la fusion des grosses coopératives afin de créer des entreprises de taille comparables à celles du Nouveau Monde – entreprises avec les moyens de produire des marques à forts volumes. « La crise globale actuelle démontre clairement que les pays occidentaux ne doivent pas abandonner leurs industries clés », raconte Fabre. « Les vins génériques français doivent être considérés comme une industrie et doivent être produits comme tels ».
L’analyse de Fabre – qui fait une claire distinction entre les vins AOC « les vins fins », et ce qu’il appelle les « génériques », production à forts volumes – n’est pas très loin des idées publiées par Berthomeau au début de la décennie. Dans son rapport, Berthomeau souligne : « il y a 2 modèles dans le monde du vin. Le premier est le modèle traditionnel du vigneron, qui met l’accent sur le lieu d’origine, le terroir et l’homme. Le second est une approche ressemblant à toute autre boisson, comme la bière ou l’eau minérale, une approche basée sur la création de marques, comme le Jacob’s Creek australien ».
Berthomeau avait appelé cette division « le vin à 2 vitesses », et ajoutait : « je pense que nous devons faire les deux ». Personne ne peut soutenir que les français sont toujours les maîtres du vin à « une vitesse » - selon Nash, la France reste toujours le pays « où il faut aller » pour du vin fin et il n’y a aucune raison de penser que cela va s’arrêter. Savoir si la France a l’estomac ou l’habilité de rejoindre la course dans le marché de masse, rien n’est moins certain.
Notes :
Off-trade : consommation à domicile (équivalent du marché grand public)
On-trade : consommation hors foyer (équivalent du marché de la revente…)
UK : Off Trade plus rapide que le On Trade
La consommation britannique de boissons alcooliques à domicile croît plus rapidement que la consommation hors foyer, selon une étude que vient de publier Datamonitor. D’ici à 2010, la consommation à domicile - qui dépasse légèrement celle du CHR - devrait progresser de près de 15% pour atteindre une valeur de £12,3 milliards, soit quelque 18 milliards d’euros. Pour Datamonitor, les femmes se trouvent au cœur de ces évolutions, leur consommation d’alcool à domicile devant augmenter de 25% au cours des quatre prochaines années. Une plus grande liberté, un choix très important de produits proposés par les grandes surfaces et les niveaux d’investissement consentis par les consommateurs à leur domicile à la fois sur le plan financier et émotionnel se conjuguent pour renforcer l’attractivité de la consommation au foyer. Par ailleurs, cette orientation de la consommation devrait s’avérer positive pour le vin. En effet, Datamonitor prévoit une progression annuelle de 5% en valeur et de 3,2% en volume des ventes de vin à emporter d’ici à 2010. Cette évolution s’explique par une modification des habitudes de consommation et la démystification continue du vin : « Les consommateurs perçoivent le vin comme étant, sinon la boisson alcoolique la plus saine, du moins celle qui fait le moins de mal, consommée modérément » explique Matthew Adams, auteur du rapport. « L’image vieux jeu du vin, qui veut qu’il ne se boive qu’en accompagnement des repas par des consommateurs aisés ayant des connaissances approfondies pour leur permettre de bien choisir un vin et le consommer dans de bonnes conditions, a disparu ».