Chers compatriotes,
Ma décision est prise : je pars !
Je quitte sans regret notre mère patrie qui, comme le Monde entier le sait, est la « patrie du vin ».
Je suis donc dorénavant un « exilé ».
Rassurez-vous je ne serai point un exilé fiscal car je continuerai de résider dans mon 9ième étage du 14ième arrondissement de Paris. Mon départ s’apparentera donc à une forme originale d’extraterritorialité : j’ai fait mon deuil des dix dernières années passées à seriner les mêmes âneries – sous ma plume d’amoureux des ânes c’est un péché d’orgueil – et je laisse aux esprits brillants, notre belle patrie du vin en porte de nombreux, le soin de vous abreuver de leurs hautes pensées sur l’avenir de notre secteur d’activité.
À l’âge de 10 ans, un matin devant mon bol de chocolat Poulain, j’ai déclaré à ma mère, qui rêvait que je sois curé, « maman je veux être journaliste ». La sainte femme m’a répondu « ce n’est pas un métier... » ; à 18 ans, en dansant un slow dans un bal de campagne, j’ai déclaré, toujours modeste, à celle qui allait devenir ma 1ière épouse, et qui s’inquiétait de mon avenir, « je serai Ministre » ; à 21 ans, avant d’entamer ma thèse de Doctorat, avec Yves Prats, le doyen de la Fac frère de Bruno, je lui faisais part de mon envie de devenir Professeur de Droit, sa réponse, fort pertinente, « vous allez vous ennuyer... » a fixé mon destin professionnel.
Maman avait tort, c’est d’être Ministre qui n’est pas un métier. Quand à être journaliste, à ma façon, avec Vin&Cie je suis revenu à mes premières amours. Pour ce qui est d’être professeur, avec un grand P, je l’ai fait 3 ans durant comme Professeur associé, à mi-temps, de l’Université de Nantes, et je me dis que si j’avais embrassé cette brillante sinécure, pour tromper l’ennui, j’aurais eu tout le temps d’écrire des livres.
Digressions pour aller à l’essentiel : pourquoi pars-je ?
Naturellement, sans regret, j’étais mûr et, avant d’être blet, couper le cordon s’imposait. Depuis quelques temps, comme je suis tombé tout petit dans la marmite de la chose publique, l’état de la maison rose m’attristait. Quel piteux spectacle ! Mais, philosophe, je me disais qu’il valait mieux en rire qu’en pleurer. Et puis, boum bada boum, la « Bécassine du Poitou-Charentes » a encore frappé. J’étais vert. Étrange état pour un type qui se dit mûr me direz-vous. En apparence oui mais très vite le coup de grâce est venu de là où je ne l’attendais point. D’un coup de POINT dans le plexus solaire qui m’a couvert le front d’une sainte colère. J’étais rouge. Et puis, je me suis rasséréné. À quoi bon ferrailler contre les bastilles, les chapelles, les fonds de commerce, les poses en tout genre. Sois un papy-boomer apaisé me suis-je dit.
Qu’avais-je lu ?
Je cite « si on avait autorisé le mélange blanc-rouge, sans doute que nombre de producteurs de vrai rosé de Provence auraient du cesser leur activité et vendre en terrain à bâtir leur vignoble, contribuant ainsi au bétonnage systématique de la région. »
Royal ce texte, beau à l’image de ce on venu de nulle part, forme moderne de la main invisible, manipulatrice, semant sur son passage de la désolation et du béton. Presque du Perico ou du Chiquelin, j’en étais tout « affané ». J’en avais la « gargagnole nouée » et je me retenais de « chougner comme un veau. »
D’accord me direz-vous, pourquoi s’alarmer de ce brossage appuyé dans le sens du poil des organisations professionnelles, vous en avez vu d’autres « camarade », en pire. J’en conviens et ça ne justifiait pas que je me retirasse sous ma tente. C’est la suite qui m’a totalement escagassé.
Là, en lisant, je me suis dit mon gars replie tes gaules t’es vraiment pas à la hauteur. Tu barbotes petitement dans le quotidien. Tu patauges grave dans la réalité. Tu n’as pas encore compris que dans la « patrie du vin » pour donner le Cap vaut mieux, soit avoir du nez, soit être un ponte de l’Université. Comme je n'ai pas le bel appendice de l’un, ni la qualité de l’autre et que je n’ai même pas été capable d’être Ministre – c’est tout dire – je me suis dit à moi-même, à l’image de l’affreux Jojo à sa Liliane en 1977, du côté de Sainte-Lucie-de-Moriani, sur la Plaine Orientale, « Jacques fais les valises... ».
Qu’avais-je donc lu qui me mît dans un tel état ?
Rien de transcendant mais simplement le quotidien de ce que j’entends depuis 10 ans dans la bouche des adeptes des postures gauloises.
Question : « [...] les remèdes récemment proposés allaient dans l’autre sens (pour le poseur de question depuis la nuit des temps la puissance publique a toujours cherché à améliorer la qualité), « vin passe-partout » normalisé, industrialisé. La réussite du vin en France est majoritairement celle des artisans et des PME, est-ce que cela dérange ? »
Réponse : « La qualité de tous les vins de France de tous les vins de France et du monde s’est incontestablement améliorée grâce aux progrès de la viticulture et de l’œnologie, mais l’existence de nouveaux marchés encore assez peu connaisseurs et en forte croissance a entraîné le développement de vins technologiques sans défaut majeur, mais sans grâce. Certains négociants français ou étrangers mettent en vente des vins d’origine qui, du fait des assemblages multiples, sont dépourvus de complexité et, ce qui est le comble, d’ «originalité». Je ne comprends pas l’intérêt de la nouvelle appellation « vin de pays vignobles de France ». Laissons cela aux pays où, la terre et la main d’œuvre ne coûte rien, où l’irrigation est autorisée. Il y a de plus en plus d’amateurs éclairés dans le monde. Ceux-ci ne se satisfont pas des vins de cépage passe-partout. Ils veulent des vins nuancés, qui les conduisent à l’émotion. Efforçons-nous de les satisfaire, selon nos traditions toujours renouvelées. La segmentation du marché est bien plus rentable que la recherche des économies d’échelle. »
J’adore le « laissons cela aux pays... » ça sonne comme un ne nous commettons pas nous, Français, à l’élaboration de ces breuvages pour « non connaisseurs », les « pouffes » de Birmingham ex-buveuses de bière ou les jeunes accros de Coca virant au rosé light par exemple. Notre génie, qui seul sait faire dans la nuance, qui seul est capable de procurer de l’émotion aux amateurs éclairés, ne peut s’abaisser à de telles pratiques réservées aux Barbares qui font pisser la vigne à grand coup de flotte en bottant le cul à ceux qui la cultivent en guise de salaire. Qu’est-ce qu’on en a à péter de tous ces ignares aux palais grossiers ? Rien ! Mais là je m’échauffe pour rien. La messe est dite. Je m’occupe de mes vaches.
Cependant, avant de boucler mes valises, je me suis permis d’écrire 4 lettres que j’ai jetées, dans une bouteille bien sûr, à la mer :
- la première, commune à Joseph Helfrich&Pierre Castel qui, en substance, les exhorte à faire cesser le scandale de leurs assemblages « indignes » : « puisque maintenant la Marianne Fisher Böhl, vient de vous accorder le droit d’accoler le millésime et le cépage aux vins sans Indication Géographique – ce qu’une bande de « fossoyeurs » du vin à la française avaient proposé de réserver aux vins des Vignobles de France – j’espère que, pour faire plaisir au Professeur, vous allez emplir, votre JP Chenet pour l’un, et votre La Roche-Mazet pour l’autre, de vins venus d’ailleurs que de notre Grand Sud. Délocalisons ces breuvages sans qualité que diable !
- la seconde à Dominique Granier, Président de la Safer Languedoc-Roussillon, viticulteur dans le Gard : « Cher Dominique, dis-moi, pour faire plaisir au Professeur combien d’hectares va-t-il falloir arracher ? Puis, une fois l’opération faites, combien vaudra l’ex-terre viticole devenue de la friche ? Enfin, comme tu es Gardois, les bornes de la Compagnie du Bas-Rhône pourraient-elles aussi servir à faire de l’irrigation raisonnée des vignes sans Indication Géographique ?
- la troisième à celles et ceux qui, comme moi, s’interrogent sur l’opportunité d’abandonner, pour le grand pays généraliste du vin que nous sommes et que nous avons toujours été, « à ces pays lointains qui... », ces vins dit technologiques, alors que nous sommes au cœur du plus grand marché de consommation ? Même si le petisme nous va bien au teint pourquoi diable la maison Pernod-Ricard ne sourcerait-elle pas des vins dans notre beau pays du vin ?
- la quatrième à Louis Gallois, président d’EADS, à propos de la célèbre antienne entonnée aussi par le Professeur sur l’équivalent de 130 Airbus pour l’export de nos vins et spiritueux. En effet, puisque, hormis les GCC de Bordeaux et la fine fleur de Bourgogne, de Châteauneuf et autres bijoux, le gros du solde positif depuis 25 ans est le fait du Cognac, du Champagne (des PME telles que LVMH, Pernod-Ricard, Rémy-Cointreau...), merci de me dire combien de Tonnes de raisins/hectare sont nécessaire dans ces prestigieuses appellations pour « élaborer » un Airbus A320 ? De plus, comme vous êtes Polytechnicien, vous seriez gentil de m’indiquer s’il y a plus d’emplois dans une bouteille de JP Chenet que dans une bouteille de GCC ? Enfin, si ce n’est pas trop abuser de votre tête bien faite de mathématicien, pourriez-vous expliquer une bonne fois à ceux qui confondent vente de bouteilles avec exportation de millions de cols, ce qu’est la loi des grands nombres et ses conséquences sur l’activité économique d’un secteur ?
Voilà, tout est dit.
Ma philosophie reste celle de mes origines à l’image du frère Henri Bécot, mon professeur d’histoire et de viticulture qui se préoccupait bien plus du bonheur des vignerons occasionnels qu’étaient les laboureurs vendéens que des mondanités du vin http://www.berthomeau.com/article-34022380.html
Pour le présent, je m’en tiens à ce que dit mieux que moi François de Ligneris : «Sur la carte routière du vin, il y aura des autoroutes et des départementales. Pourvu que je puisse toujours rouler sur les chemins de traverse, les autoroutes ne me dérangent absolument pas.» http://www.berthomeau.com/article-34516165.html.
Fini le temps où je dégainais sans sommation mon Uzzi pour arroser illico tous ceux qui brocardaient Cap 2010. Dorénavant, depuis mon exil doré, en compagnie de mes vaches, de mes cochons, de mes couvées, je laisserai la main à tous ceux qui, semblables à ces sportifs en salle fainsant du jogging sur des tapis roulants en devisant avec leurs voisins des sujets de l’air du temps, nous confortent dans notre goût immodéré pour le sur-place.
Au temps où je tenais la plume d’Henri Nallet, je luis avais fait dire, suite aux accords de Dublin, dans une interview au Midi-Libre : « je ne serai pas le syndic de faillite de la viticulture méridionale... » ça avait un très beau titre, de belles reprises dans les médias et, cerise sur le gâteau, l’Histoire lui a donné raison. Je forme des vœux pour que les promoteurs d’une « viticulture chic » digne de notre génie français relèvent le même défi.
Cependant je préviens que si les susdits, en se référant à ma vision d’une viticulture diversifiée, et non une fantasmée, me versent dans la catégorie des stipendiés du « vin industriel » alors je tire à vue, sans sommation, avec des mots assassins bien sûr. Mes 1400 chroniques au compteur, la barre des 400 000 visiteurs passée vendredi dernier, tous les combats que je mène sur mon petit espace de liberté devraient, du moins je l’espère, les inciter à ne pas en arriver à une telle extrémité. Que je me lançasse des fleurs afin de m’éviter que l’on me couvrît d’opprobre est de bonne guerre, si tant est qu’il existât des guerres bonnes. Les nôtres, qu’elles fussent en dentelles ou en sabots, sont stériles : « de quoi vivrons-nous demain si nous laissons filer les métiers les plus humbles ? » Allez-donc, cher confrère et cher collègue, faire un tour du côté d’Embres&Castelmaure, c’est tout au bout d’une départementale dans le fin fond des Corbières... Pour sûr que vous aurez « la chance de boire du bon vin »
Bon, il est temps que je mette un POINT final à ma missive. Pour ceux d’entre vous qui souhaiteraient mettre des visages sur mes propos alambiqués je leur conseille de se rendre à la page 134 du POINT Spécial Vins.
En conclusion, permettez-moi de vous livrer la chute de l’histoire du pou et de Noé, que conte Andréa Camilleri dans l’un de ses derniers bijoux. « Et savez-vous, braves gens, pourquoi Dieu le Père avait oublié d’avertir les poux ? Parce que les poux, c’est comme les peineux, même Dieu oublie qu’ils existent. » Ceci écrit, le couple de poux l’avait appris quand même et se retrouva sur la tête de Noé... Que voulez-vous, c’est ainsi, les peineux ça s’accroche partout, reste plus que la Marie Rose pour s’en débarrasser, mais je ne vais repasser les plats sur le feuilleton du rosé...
Au fait, certains vont me faire remarquer : « qu’est-ce que ça change que je me sois exilé ? » Tout, et rien, ce doit-être sans aucun doute le syndrome insulaire, comme le besoin de faire la nique aux juges aux élégances qui, du haut de leur Olympe, ignorent les métiers de viticulteurs et de négociants dans leur énumération des métiers d’avenir... Ce sont pourtant les deux extrémités de la chaîne... Les premiers sont forts nombreux, les seconds exportent des Airbus A320...
Bien à vous.
Un exilé en peau de lapin.
PS. Je signale que j’ai beaucoup d’amitié pour l’un et une réelle admiration pour l’érudition et l’éclectisme de l’autre, pour preuve j’achète ses livres, mais « sans la liberté de blâmer il n’y a pas d’éloge flatteur... »
Pour ceux que ça intéresse en Wine News N°61 Yves mon« marchand de vins » n’est pas en cale sèche, il entend vous faire accéder à la suite de votre approvisionnement en carburant. Nous continuons sur les ROUGES de ses coups de cœurs de la Foire aux Vins de Monoprix. Comme ça va sans dire mais c’est mieux en le disant la maison Monoprix ne me fait aucune réduction quand je passe à la caisse rue Daviel. Je suis un client, indépendant...