Rappelez-vous, c’était un des rares beaux jours de juin, j’étais allé, à midi, faire des photos dans la vigne d’Yves Legrand link, celle qui s’accroche aux flancs de la ligne C du RER à Issy-les-Moulineaux la patrie d’un des Leader Maximo des Hauts de Seine. Nous avions excellemment déjeuné sur la terrasse de la Guinguette et surtout j’avais gentiment cuisiné Yves sur sa soirée de la vieille chez Anne-Claude Leflaive. Pensez-donc, « désapprendre à déguster », pour un mécréant comme moi c’était du pain béni, par avance je me pourléchais les babines rien qu’à la pensée que des sommités telles JC Rateau, Christine et Eric Sorel, Alain Moueix, Jean-Luc et Andrée Trappet... puissent, sous la houlette de Bruno Quenioux et du frère Jean, se colleter à un si beau sujet.
En effet, nous sommes à l’heure des « Apprendre à faire l’amour en 10 leçons », « 5 conseils pour déguster un GCC avec son beau-père », « Comment marier sans risque un maquereau mariné avec un verre de Mouton-Cadet ? ». Foin de l’apprentissage sur le tas – si je puis m’exprimer ainsi à propos du premierthème –,des premières émotions, des premiers gestes maladroits mais spontanés, des râteaux et des gamelles, des chemins de traverse où l’on s’égare... il faut, c’est une obligation, savoir tout sur tout, être un puits de science, avant même d’avoir approché le bout de son nez du bord d’un verre ou ses lèvres d’une bouche pleine de mystère. Les maîtres et leurs zélotes édifient l’élite du troupeau, c’est le triomphe de l’œnologue qui, que je sache, à acquis son savoir à la Faculté de Pharmacie – les potards m’ont toujours fait rêvé et j’ai même été amoureux d’une belle étudiante en pharmacie qui, la dernière fois que je l’ai vue dans son officine, y vendait de la choucroute diététique avec son mari – sur l’œnophile.
Entendez-moi bien, pour un petit vendéen qui a usé ses fonds de culotte courte sur les bancs du seul lieu qui pouvait le sortir de sa condition : l’école, apprendre à toujours été un plaisir. Mais que diable on n’apprend pas que dans les livres scolaires, il suffit de lever son nez, d’écouter, d’observer de sentir, de goûter, de toucher, de se plonger dans un roman, d’admirer une toile, d’aller se faire une toile, de s’immerger dans la musique, d’aimer, de laisser folâtrer son imaginaire, de ne pas toujours avoir les pieds sur terre. Bref, boire le vin – j’insiste sur le boire – est un plaisir trop important pour le confier aux seuls maîtres de la dégustation, qu’ils fussent œnologues ou non !
Comme Yves Legrand m’avait confié que l’essentiel était d’« écouter le chant de son corps... » alors, comme Maxime Le Forestier qui chante le « pays de ton corps », je me suis dit que ce retour à la chair, celle qui vibre, qui souffre, qui jouit, ne pouvait que m’aller. Pourquoi toujours penser, calculer, mesurer, encadrer, codifier, émasculer... et surtout, pourquoi toujours prendre plutôt que de recevoir, d’accueillir, de recueillir. La dégustation c’est de la technique, et les professionnels se doivent de la posséder, de la maîtriser, mais moi je ne suis qu’un amateur qui préfère écouter le corps de ses partenaires plutôt que de le prendre, de l’annexer. Communier se transmuter, être l’autre, c’est pour moi grimper au 7ième ciel sans ascenseur.
Comme d’ordinaire je me suis trop épandu. Je confie les derniers mots de cette chronique à Bruno Quenioux. Le présenter est facile, son nom est associé à la fondation en 2000 du département vin de Lafayette Gourmet. Inventeur et précurseur ce blésois, homme du vin, dont toute la vie professionnelle est consacrée au vin, associé caviste de la Cave Saint Clair, premier caviste chez Legrand Fille&Fils, acheteur national vin des Galeries Lafayette, va au-delà du vin, l’investit dans ses profondeurs et surtout tente de lui redonner sa vraie place, loin des idolâtres, celle du cœur. Installé face à l’Agro, rue Claude Bernard, Bruno Quenioux explore des champs ignorés, ose braver la pensée unique, progresse tel nos anciens maîtres adeptes de la leçon de choses, de la découverte, et si vous souhaitez partager avec lui sa fenêtre sûr allez donc sur www.philovino.com
« Si l’on prend à la lettre les théories de l’œnologie moderne, le vin est une composition chimique un peu complexe. Rien de vibratoire, au mieux quelques bactéries encore vivantes.
Pour moi, cette compréhension (que je ne renie pas) est une réduction et ne reflète en rien ce que je perçois lorsque je goûte des vins issus de productions nobles.
Le vin est un souffle vibratoire qui fait osciller les sels minéraux ; eux même révèlent un chant d’arômes. C’est ce souffle qui donne la légèreté, la simplicité. Le vin est un moyen pour l’homme de marier l’univers souterrain et le monde des saveurs qui l’entourent.
L’intellectualisation de la dégustation enferme l’individu dans des paramètres et ne permet pas un ressenti ouvert et personnel du vin.
Le vin n’est pas un objet de dégustation, c’est un moyen de révéler à l’homme son unité. Il est pourtant entré dans le monde de l’idolâtrie.
Goûter le vin, c’est d’abord se laisser pénétrer par lui, au cœur de nos profondeurs. C’est commencer par le laisser s’unir à notre salive (qui a un goût unique pour chacun d’entre nous). Là seulement, après quelques instants de silence, de candeur, il offrira son cristal sous-jacent, son essence profonde ou peut-être la malheureuse résultante d’une momification. Cette perception ne peut être appréhendée par la dégustation intellectuelle. Il faut réapprendre à se laisser surprendre (Frère Jean) pour laisser la place à tous les possibles, Laisser le vin devenir soit. Une grande intimité se réalise alors entre le vin et soit.
Prenons un promeneur en forêt qui reçoit les effluves d’un chèvrefeuille en fleur ; l’émotion inattendue est profonde, puissante. Il n’avait pas de protection, pas de filtre, il était seulement vivant, en état de recevoir. Il cherche immédiatement la fleur qui lui a procuré cette vibration, la trouve et sent. Là, c’est une autre histoire, la fleur sent bon mais elle n’ira pas envahir ses profondeurs. C’est une illustration que tout le monde à vécu, une expérience pour faire la différence entre le non-agir et l’agir.
Plus que notre mental, notre corps sait…. Peu à peu nous creuserons les profondeurs de notre propre goût comme pour mieux nous connaître. »
Nous sommes en juillet et il ne vous est pas interdit de caresser votre mulot dans le sens du poil pour faire un petit commentaire....