Roquette, trévise, castraure, Amarone della Valpolicella... et je vous ai épargné dans mon énumération le Fernet-Branca et le Cynar mais comme l’écrit Emmanuel Giraud dans son petit opus blanc exquis : L’Amer en parlant de son séjour en Italie à la Villa Médicis, un temps hors du temps, « Là-bas, l’amertume est joyeuse, sociale et évidente. » Sous entendu, en France, l’amer c’est un peu la honte, « cette cousine arriérée (...) qu’on enferme dans un placard pendant les banquets de famille, de peur qu’elle ne bave un peu trop sur la nappe. Pour preuve le jeu de mots railleur dont notre palmipède enchaîné avait affublé Michel Debré « L’amer Michel »
L’auteur annonce la couleur « Mon séjour à la Villa Médicis ne se résume pas à un enfermement laborieux dans les murs du palais Renaissance. Très vite, je me hâte à la découverte des vignerons de toute la botte, des producteurs de charcuterie de Toscane, des coopératives fromagères parmesanes, des vinaigriers de Modène, des trifolai * du Piémont, pour m’enivrer de leurs produits parfois difficilement trouvables en France. »
Vaste programme !
Moi aussi j’ai l’âme italienne ces temps-ci, et même vénitienne, alors ne vous étonnerez donc pas que je me sois intéressé aux castraure de l’île de San Erasmo. Celle-ci a déjà l’objet d’une chronique récente à propos de son tout récent vignoble. Donc revenons à nos petits castrats des artichauts violets de San Erasmo les castraure qui sont « ces premiers bourgeons qui sont coupés, « castrés », en début de saison, afin de redoubler la vigueur de la plante. De taille d’un gros chou de Bruxelles, leur renommée est telle qu’ils s’arrachent à des prix indécents au marché de la Pescheria, à côté du pont du Rialto. »
Et donc, notre auteur qui est un baroudeur des terroirs d’exception, se rend donc dans le potager de Venise dont « le paysage est plutôt laid. On pense à certains coins de Vendée, ravagés par le vent et hantés par des white trash adorateur de MC. Circulaire, le chantre du rap rural » Botté de caoutchouc, chambré par Giuliano le maraîcher en dialecte vénitien dans une Panda vert artichaut toute cabossée, ce garçon plein d’humour nous conte que le dit Giuliano reste dubitatif « devant l’engouement marketing qui entoure les castraure » que « les prix pratiqués par certains margoulins le font rire (vert ?) » mais « il relativise ces dérives car la production reste confidentielle : 60 000 têtes par an environ », fragiles donc non exportables, et une période de récolte d’une semaine, dix jours tout au plus.
Les castraure sont une IGP et sont devenue presidio de Slow Food.
Bref, comme notre auteur n’est pas un bobo il souligne que ce n’est qu’ensuite que démarre la « vraie saison » des artichauts de l’île de San’Erasmo.
« Les raisons d’une telle ferveur ?
Le goût indubitablement !
Une amertume prononcée, légèrement réglissée, qui doit autant à la variété utilisée * qu’au caractère iodé du climat. Elle prend toute son ampleur quand ces bourgeons d’artichauts sont mangés crus, taillés finement à la mandoline et assaisonnés d’un filet d’huile d’olive ardente (surtout pas de jus de citron ! Quand au vinaigre balsamique, n’y pensez même pas... »
Pour le reste de ces petites sonates sur l’Amer reportez vous à la lecture de l’opus d’Emmanuel Giraud chez Argol 12€. Pour de rire je signale que j’ai payé deux fois puisque le petit livre a été publié avec le concours de la Région Île de France.
Reste la question cruciale, que notre auteur baroudeur des terroirs exotiques n’aborde point : que boire avec les castraure de San’Erasmo ?
* trifolai « caveurs » de truffes blanches en dialecte piémontais des collines d’Alba
* Cynara scolymus L, variété Violetto du San’Erasmo