Jacques Higelin - Champagne -
envoyé par muadib13. - Regardez la dernière sélection musicale.
Je ne vais pas vous susurrer à la manière de Gréco « il n’y a plus d’après à Saint Germain-des-Prés... » mais plutôt scander à la Higelin « champagne ! » avant de vous conter ma soirée à Saint Germain-des-Prés à la galerie Catherine Houard 15 rue Saint Benoît pour la présentation du N°6 de la revue « Faux Q » consacré à la Nuit.
L’invitation émanait de La Librairie la hune plantée au confluent de la rue St Benoît et du Bd Saint Germain, et flanquée des cafés de Flore et des Deux Magots. « Cinq jours avant le débarquement des Alliés en juin 1944, Bernard Gheerbrant, ancien étudiant en philosophie, avec ses amis Pierre Roustang, Jacqueline Lemurier et Nora Mitrani, ouvre une librairie... La Hune s’installe, en 1949, 170, boulevard Saint-Germain, entre le Flore et les Deux Magots. Bernard Gheerbrant charge Pierre Faucheux de l’aménagement de sa nouvelle librairie. Son inauguration a lieu le 12 mai avec la présentation des gravures d’André Masson illustrant Les Conquérants d’André Malraux... » écrit Jean-Pierre Caracalla.
Comme il pleuviotait, alors pour m’y rendre j’abandonnais mon vélo pour prendre le métro coiffé de mon chapeau. Ayant eu, lors du déjeuner, à subir les aigreurs d’estomac d’une chroniqueuse gastronomique acariâtre, le genre je sais tout, j’ai tout vu, ferme ton clapet petit bloggeur car moi je règne sur les ménagères de plus de 50 ans – qui d’ailleurs depuis le temps doivent avoir atteint la barre des 60 – j’espérais ce soir croiser de la fraîcheur, de la gaieté, m’aérer les neurones en bonne compagnie. Dans le métro, pour me mettre en jambes, je lisais « Le bonheur selon Confucius » Petit Manuel de Sagesse Universelle de Yu Dan. Au débouché de la bouche de métro le ruban du boulevard Saint Germain prenait des allures de la jetée de Port Joinville après une belle ondée.
La Galerie Catherine Houard, qui nous accueillait, avait accroché à ses cimaises depuis le 8 octobre de magnifiques maquettes de costumes de théâtre signées de grands noms. « Rêves de théâtre » Superbe ! C’est à voir jusqu’au 13 novembre. Comme le ciel se voulait plus clément, au dehors des damoiselles : des petites japonaises et de grandes américaines papotaient une flute de champagne à la main. L’ambiance était plutôt bon enfant. Mais comme je n’étais venu là pour faire le joli cœur mais pour nourrir l’une de mes « merveilleuses chroniques » j’allais au contact de la créatrice de « Faux Q » Antigone Schilling journaliste, collectionneuse impénitente de création mode contemporaine, styliste, éditrice qui avait déclaré « Le magazine serait peut être un peu belge, quelque part. Ça, ce sont mes origines, qui parlent, avec la dimension surréaliste, et puis aussi très contre le politiquement correct. » Le contenant est beau, luxueux même, mais comme ses initiateurs, regroupés dans une association de loi 1901, ne gagnent pas d’argent avec, ils n’en perdent pas non plus, libre à chacun de se l’approprier ou de le rejeter comme une paillette de plus dans notre futilité.
Le N°6 de « Faux Q » est consacré à la NUIT : la NOTTE, il égrène des titres évocateurs : insomnuit, nuisette, bonnet de nuit, bite de nuit, 1001 nuits, retiens la nuit... mais je dois avouer que si les photos sont belles les textes sont très inégaux... il n’est pas facile de jouer les provocateurs sur simple demande... mais il ne faut pas forcément trop en demander aux modeux... la forme l’emporte souvent sur le fond le geste est privilégié. Mais qu’importe, ce « Faux Q » est des nôtres avec NUIT D’IVRESSE.
Avant de laisser la parole à Bertrand Trepo-Leriguier, le concepteur du champagne éponyme, tout d’abord vous dire que j’ai bu quelques flutes de sa Cuvée Intimiste collection Rendez-vous Galant, tout en papotant avec Ivan Levaï, l’homme des revues de presse et Claude Cabannes le bretteur communiste que l’on peut retrouver sur RTL et I Télé. C’était fort agréable, et le breuvage et la conversation, ça me faisait oublier la harpie du midi. Pour en finir avec le décor, j’ai manqué de réflexe : il y avait un type qui portait des grolles super-pointues rouge vif vernies et j’aurais du faire une petite photo. Ce qui va suivre, l’entretien mené par Ingrid Astier, va sans aucun doute en exciter plus d’un mais, comme vous vous en doutez, si je le propose à votre lecture c’est bien dans l’intention de vous faire réagir. Bonne lecture et si les mots vous dérangent, je dirais même vous démangent, n’hésitez pas sortez vos karchers...
« Quel vin de joie peut rivaliser avec le champagne ? Ce grand seigneur a tout pour lui. Robes or ou saumonées, ouverture en fanfare et allégresse des bulles. Bertrand Trepo-Leriguier, qui, à trente ans dirige la maison du même non en Champagne, a bâti ses cuvées autour de microclimats. Mais des microclimats émotionnels : cuvée Solennelle « Célébrons l’instant », cuvée Intimiste « Rendez-vous galant », cuvée Amicale « petite soirée entre amis » ou cuvée Festive... « La Nuit sera blanche ».
Le champagne et la nuit ? L’envers et l’endroit d’un même plaisir. Bertrand Trepo-Leriguier, c’est le jour et la nuit : élégance du Chevalier Noir et gaieté d’astre du Petit Prince. Dessine-moi une nuit... Et lui de répondre, percé à jour « La nouvelle-Orléans : un parfum de Caraïbes, de magie vaudou, de jazz et de cognac ». Départ en vrilles en quelques questions.
« Il y a un secret du vin ; mais c’est un secret qu’il ne garde pas. On peut lui faire dire : il suffit de l’aimer, de le boire, de le placer à l’intérieur de soi-même. Alors il parle. En toute confiance il parle »
Francis Ponge
« Faux Q » : Bertrand Trepo-Leriguier, pour votre cuvée Festive « La Nuit sera blanche » en quoi le cépage pinot noir contribue-t-il à draper la nuit de blanc ?
BTL : Une des magies du champagne est d’avoir mis au point au XVIIIe siècle un mode de pressurage des raisins susceptible d’obtenir du jus de raisin blanc à partir de raisins noirs (pinot noir ou pinot meunier) C’est cet esprit de pierre philosophale que je voulais pour notre cuvée « La Nuit sera blanche ». Je souhaitais qu’elle transmute l’instant nocturne en une lumineuse obscurité.
« Faux Q » : La nuit des caves apporte-t-elle, selon vous, quelque chose au champagne ?
BTL : Le champagne est lumière. Tout au long de son élaboration, le chef de cave prend soin de réunir les conditions nécessaires au développement de son caractère solaire. L’une d’entre elles est la longue maturation à l’ombre des caves, période durant laquelle les levures vont développer à la fois les palettes aromatiques et chromatiques du champagne. Mais les levures sont des artisanes timides qui ne cherchent pas la gloire des projecteurs. Elles préfèrent exercer leur talent dans la nuit fraîche de nos caves.
« Faux Q » : Avez-vous vendangé la nuit ?
BTL : Par trois fois déjà. Ramasser des raisins endormis est d’ailleurs une expérience unique ! Pratiquées dans de nombreux vignobles, les vendanges nocturnes sont un moyen efficace et durable de lutter contre les effets du réchauffement climatique : en plus d’avoir gagné plusieurs semaines d’avance en une décennie, les vendanges s’effectuent désormais sous une météo bien plus clémente que par le passé. Résultat les raisins arrivent désormais chauds au pressoir et partent plus facilement en fermentation. Avec des vendanges de nuit, nous bénéficions d’une baisse naturelle de plus de 10°C, ce qui nous assure de conserver toute la finesse et l’élégance de nos raisins.
« Faux Q » :Dégorgez-vous vos bouteilles dans la confidence de l’ombre ?
BTL : Le dégorgement est considéré comme l’étape la plus technique dans la naissance d’une bouteille de champagne : il s’agit de « jouer avec la bulle ». Les bouteilles remuées sont disposées la tête en bas, les lies réunies dans le col de la bouteille. Le geste ancestral du dégorgeur consiste donc à retourner la bouteille avec suffisamment de célérité pour que les lies ne se dispersent pas de nouveau dans la bouteille, et suffisamment de précision pour ouvrir le flacon à l’exact moment où la bulle d’air présente dans la bouteille remonte jusqu’au bouchon. C’est à ce prix que la bouteille ne se vide pas de son contenu sous l’effet de la pression. Alors, vous comprendrez qu’une telle dextérité nécessite quelques lumens...
« Faux Q » : En quoi le terroir crayeux du vignoble de Champagne vous inspire-t-il pour crayonner le tableau noir d’une nuit festive ?
BTL : Le terroir de Champagne est d’une richesse insoupçonnée. Derrière la notoriété de cette appellation unique se cache plus de 300 villages, 33000 hectares et 240 000 parcelles de vignes. Autant de jardins au sol, à l’orientation et au climat différents. Venir piocher des raisins dans une telle mosaïque est un plaisir incroyable. Sans oublier que l’assemblage d’années de vendanges différentes vient encore multiplier le champ des possibles. Pour une nuit festive, il ne reste plus qu’à trouver des raisins aux arômes francs er spontanés, qui appellent la légèreté, et de les travailler avec une touche de bonne humeur.
« Faux Q » : Une bulle peut-elle sublimer un vin tranquille ?
BTL : Il n’y a pas de vérité absolue, mais dans le vin de champagne, c’est indéniable que nos vins tranquilles ne raviraient pas les cœurs et n’enchanteraient pas l’esprit en l’absence de bulles ! Nous les élevons et les éduquons pour cela. Toutefois il existe des vins appelés coteaux champenois qui sont orphelins de bulles – mais nous travaillons ces vins différemment dès la conduite de la vigne.
« Faux Q » : Votre site est constellé de référence au Petit Prince. Les bulles de champagne seraient-elles de belles étoiles ?
BTL : On peut dire que les bulles de champagne ont pris dans ma vie une dimension romanesque. Pour ma part, je souhaite continuer à partager avec le personnage de Saint-Exupéry la candeur et l’émerveillement. Peut-être un jour je finirai par apprivoiser une bulle.
« Faux Q » : « La nuit remue », murmurait le poète Henri Michaux comme pour noter la fébrilité de cette seconde vie. Êtes-vous d’un tempérament plus nocturne que diurne ?
BTL : Je suis certain d’une chose : je ne suis pas un intime de Morphée ! À mes yeux, ni le jour ni la nuit ne trouvent grâce pour dormir. J’aime l’activité, l’énergie, le mouvement. De même je préfère les vins qui pétillent dans une flute à ceux qui vous attendent lascivement dans un verre.
« Faux Q » : Si vous deviez changer de nocturne, serait-ce pour un bourgogne Hautes-Côtes-de-Nuits ?
BTL : Ce sont effectivement des breuvages fabuleux, et les coteaux de Nuits-Saint6georges proposent des nuances infinies de pinot noir. Je comprends que les viticulteurs bourguignons puissent y peindre des vins toute une vie. Pour ma part, si je devais changer de nocturne, ce serait pour ce vignoble prometteur des contreforts de l’Atlas, où l’œnologie de décline en mille et une nuits.