Chez moi, dans ma Vendée sous le joug du clergé, le clan des femmes pieuses de la maison exigeait des hommes qu’ils fassent leurs « pâques ». Ils s’exécutaient sans barguigner. Pour les mécréants, qui n’ont pas reçu comme moi une éducation chrétienne, je leur signale que depuis le décret du 4ème concile de Latran (1215), il était ordonné à tous les fidèles ayant atteint l’âge de communier, de « faire ses pâques », c’est-à-dire de communier au moins une fois chaque année, au temps de Pâques. J’ai toujours trouvé ce service minimal hautement pragmatique de la part de l’Église. Le nombre d’ouailles comptait plus que la qualité de leur pratique. Les séminaires étaient plein de fils de paysans. Ils seront siphonnés par mai 68.
Pâques, sauf pour les pratiquants, se résume de nos jours mercantis à une bonne aubaine, pour les artisans chocolatiers et autres vendeurs de plus grande surface. Toujours pour les mécréants totaux, autrefois dans les campagnes, les cloches qui sonnaient chaque jour de l'année, pour inviter les fidèles à assister à la messe, restaient silencieuses du Jeudi au Samedi Saint. Ce silence s’étendait à la clochette que nous agitions en tant qu’enfant de chœur lors des célébrations pour marquer certains rituels, la Consécration par exemple. Elle était remplacée par une crécelle. Nous nous en donnions à cœur joie en la faisant pétarader ce qui nous valait les gros yeux du curé. D'après la légende, de retour de Rome pour annoncer la résurrection de Jésus, où elles étaient allées se charger en œufs de chocolat, les cloches sonnaient à toutes volées le jour de Pâques…Le matin de Pâques, en pyjama, nous allions dénicher les œufs dans le jardin.
Où veux-je en venir chers lecteurs ? À pas grand-chose comme à l’accoutumé. Je vais tenter de vous guider sans encombre sur mon chemin tortueux. Tout d’abord ma référence à mon pépé Louis n’a rien d’innocente. En effet, Louis Berthomeau, moustache à la Foch, était un paysan, un vrai, pas pour deux sous mercanti. Il professait un profond mépris pour les marchands de tout poils, avec au tout premier rang les maquignons. Vigneron totalement bio, il nous concoctait avec ses hybrides un vin nature qui flirtait très vite avec les fleurettes. Fort bien, il pratiquait sans le savoir une agriculture que l’on qualifierait aujourd’hui de durable. C’était un homme orgueilleux, fier plutôt, mais jamais au grand jamais il ne se serait permis de dénigrer ses voisins ou de se mettre en avant. Il faisait bien sûr ses Pâques sans se confesser ; qu’aurait-il eu à raconter au curé ?
Et alors ? Alors je vais vous expliquer.
L’autre jour j’ai reçu une invitation pour une dégustation de vins. Très chicos. Très branchée. Très fouillée. Très textes profonds. De la belle ouvrage de communicante pour séduire. Normal quand on se déplace à Paris, même si le vin n’est pas une marchandise, c’est pour attirer le client. Vendre son vin quoi ! Et c’est là que mon sang s’est mis à bouillir. Que lis-je sur le carton chic : que cette poignée d’hommes et de femmes sont unis « par une même philosophie, fruit d’une éthique de leur métier de vigneron-paysan. » Ce n’était plus une dégustation mais une adhésion. Pourquoi pas, mais j’ai toujours eu du mal à participer à une messe basse sans curé. Bien évidemment loin de moi de contester leur choix, il est respectable, et tout le monde sait que je le respecte, que je le défends même, mais cette mise en avant ostensible d’une philosophie sur une invitation à un exercice, somme toute, à finalité mercantile, ce port de l’éthique à la boutonnière comme un ruban d’honneur, cette référence lancinante au métier de paysan comme une référence, me choquent. Je les perçois comme une indécence à l’égard de mon pépé Louis qui faisait ses Pâques sans se confesser et qui n’avait nul besoin d’exhiber son éthique pour vendre ses bœufs à Mougard la vieille crapule de marchand de bestiaux du coin. Ce merchandising du mieux disant éthique, chic et choc, est puéril et très représentatif de notre société où cultiver sa bonne conscience tient lieu de passeport pour la tribu ou la chapelle. Attention, bien que les intéressés s’en défendent, ça fleure bon le fond de commerce.
Joyeuses Pâques !