Cher vous qui avez du faire HEC ou un machin assimilé,
Je ne sais à quel étage – on me dit qu’il y en a beaucoup chez vous à Levallois – vous êtes au siège de ce grand bazar moderne à l’enseigne Carrefour mais je me risque tout de même à vous écrire pour vous dire que je suis scotché par votre inventivité pour ce qui concerne votre nouvelle MDD vin de pays : Augustin Florent. Vraiment vous êtes forts les gars, z’avez du salement cogiter, z’avez du drôlement potasser les z’annuaires des marchands de vins du département de la Seine et de la Seine-et-Oise de 1920 à 1936, z’avez du vous z’abimer méchamment les yeux sur le bottin des maisons de Bercy, pour exhumer ce brave Augustin Florent de sa naphtaline. Vous m’direz que les prénoms de nos pépés reviennent en force chez les moutards poussés dans leurs poussettes Mac Laren par leurs bobos de parents : Jules par ci, Léon par là, des Robert, des Raoul, des Ernest et sans doute dans quelques temps des Eugène, des Mathurin, des Armand, des Norbert ou des Arsène… Bref vous avez flashé pour Augustin classé au 271em rang avec 8087 individus répertoriés dans l’hexagone. Moi j’aurais préféré Auguste car je dois vous avouer que votre Augustin Florent me fait penser au prototype des caciques SFIO du Nord : Augustin Laurent, celui qu’a adoubé Pierre Mauroy à la mairie de Lille qui lui même a mis le pied à l’étrier à Martine Aubry, la dame des 35 heures, auriez-vous subliminalement virés « socialos » les gars et les filles de chez Carrefour ?
Je plaisante bien sûr, mais tout de même, vous nous prenez – même si je ne suis pas client de la boutique, je m’assimile aux pékins qui vous fréquentent – pour des demeurés avec vos signatures à deux balles. Augustin Florent, ça pose, ça rassure, ça fait très bedaine sous petit gilet avec montre à gousset, pantalon de velours et écrase-merde à semelles de crêpe, qui va acheter son vin aux braves vignerons des Coteaux de l’Ensérune ou des Cotes de Briant avec sa Juva 4, son portefeuille à élastique gonflé de grosses coupures, « tope là », cochon qui s’en dédit, à mon avis vous auriez du ajouter pour faire plus encore plus couleur locale : Augustin Florent père&fils.
Pour votre édification de jeunes as du marketing tous justes sortis de vos couches-culottes je vous propose un bel exemple du notre glorieux passé du vin quotidien : « La vinée du Bon Vieux temps » Jérôme Rollet. Admirez le travail ! C’est t’y pas beau ça ? Dans la plus pure tradition du marchand de vins, y’a pas de qui pro quo avec le Jérôme Rollet alors qu’avec vous l’étiquette est très copié-collé des petites récoltes de Nicolas. Vous êtes un peu fégniasses mes cocos, le genre coucous qui s’la pètent grave : « Le distributeur a retenu un packaging épuré sur le mode "tableau noir" avec un fond ardoise et une typographie à la craie pour un rendu aussi ludique que lisible » Et pis quoi encore, vous n'allez pas nous faire accroire que vous avez trouvé ça tout seuls.
Je m’emporte ! Mais ne me dites pas que vous êtes payés pour nous pondre des trucs pareils ? Si c’est le cas, un bon conseil à vos chefs des étages élevés : il vaudrait mieux que vous alliez exercer vos talents ailleurs ça allègerait les frais généraux ce qui ferait plaisir à Bernard Arnault. Bon, je redeviens hyper-sérieux : votre bousin c’est, me dit-on, une MDD et que la définition de ce genre de marques c’est de coller au cul des marques nationales en un peu moins cher. Pourriez-vous me dire à quelle marque nationale vous sucez la roue ? Si c’est à Petites Récoltes de Nicolas j’y perds mon latin de cuisine car je ne crois pas que vous détournerez un seul client de ce généraliste de quartier avec votre Augustin Florent.
En fait, tout bêtement, j’ai le sentiment que vous faites de l’habillage de bouteilles pour votre entrée de gamme et que, lorsque vous écrivez sur votre catalogue que vous proposez « en exclusivité une gamme de vins authentiques pour se faire plaisir au quotidien. Des petits vins sympathiques et faciles à boire… » vous prenez le train avec un quart d’heure de retard. Disons que ce n’est qu’un banal relifting d’un sourcing existant de longue date. J’espère au moins que vos chefs de rayon auront à cœur de présenter un superbe facing de ces « 13 saveurs à découvrir » et non de les disperser dans le mur de vins en fonction des critères traditionnels. Rassurez-vous je ne vais pas sauter au-dessus du périphérique pour vérifier. Dormez tranquilles jeunes gens et jeunes filles qui avez du faire HEC ou un machin assimilé, ce n’est pas avec le père Augustin Florent que vous allez décrocher la timbale de l’innovation. Il est vrai que les MDD adorent copier par-dessus l’épaule des grands.
Entendez-moi bien, ce que je raille c’est votre prétention à vous parer des plumes de créateurs avec votre approche ringardo-minimaliste de votre « collection de vins de terroir à petits prix ». Ils méritent mieux que votre pseudo-marketing ces vins sans prétention. En les personnalisant, par un patronyme à la con, vous dévalorisez le travail des vignerons des caves où vous achetez vos vins. Pour votre défense vous allez me rétorquer que le patronyme de fantaisie est un grand classique du négoce français. Je sais. En effet, je n’ai jamais croisé à Vinexpo ni le baron de Lestac, ni Jean-Pierre Chenet. En revanche, j’ai salué souvent Marcel Guigal et Gérard Bertrand qui signent des vins achetés chez d’autres vignerons. Ce goût très prononcé des marchands de vie pour des noms fleurant bon le terroir leur a toujours été reproché par les vignerons authentiques. Ça accrédite le soupçon de maquillage qui a produit en France la notion que je ne goûte guère : vins de propriétaires.
Bref, vous les gars d’une soi-disant grande maison, cotée à la Bourse, au CAC 40, qui s’est illustrée bien avant les autres en dotant son ex-patron d’un parachute doré, pourquoi vous z’osez pas baptiser vos vins dit de Distributeurs, les vôtres donc, de votre nom. Auriez-vous honte ? Ne serait-il pas de confiance ? Moi j’ai la nostalgie de Félix Potin et j’ai toujours détesté Justin Bridou (question à mes fidèles lecteurs : qui était-ce et quel est son rapport actuel avec le vin ?) alors pour vos vins de pays à petits prix j’aurais aimé, en souvenir d’un de vos patrons bien aimé, que vous la baptisiez cuvée Daniel Bernard. C’est du même tonneau, deux prénoms assemblés, que votre Augustin Florent, mais en plus rutilant.
Comme vous êtes jeunes dans la boutique, sans doute, il faut que vous sachiez que ce n’est pas la première fois que je souffle dans les bronches du Mammouth (lire ou relire ma chronique : « Ferme ta grande gueule CARREFOUR ! »link
Cette fois-ci c’est sur un sujet bien plus mineur mais, étant donné que vous dépotez avec vos « potes de la GD », surtout celui qui vous adore : le Michel-Edouard de Landerneau, beaucoup d’hecto de nos belles provinces de France, le moins qu’on puisse vous demander c’est de faire correctement votre métier. Sans vouloir vous vexer plus encore : vous le faites mal. Vous n’êtes pas à la hauteur des enjeux. L’imagination n’est pas au pouvoir : tristes rayons que les vôtres ! Comme je suis bien en jambes en ce moment sur le sujet GD, j’y reviendrai dans ma prochaine chronique à propos de « ma cave en ville » de votre collègue Monoprix.
Allez, vous qui avez du faire HEC ou un machin assimilé, autour de la machine à café de Levallois-Perret, positivez ! Saluez Augustin Florent de ma part lorsque vous le croiserez. Y doit s’ennuyer en votre compagnie le pauvre. Je vous salue très positivement.
Jacques Berthomeau
Secrétaire Perpétuel de l’ABV
D’ailleurs, les gars et les filles de Carrefour qui avez du faire HEC ou un machin assimilé vous devriez adhérer à l’Amicale des Bons Vivants, ça vous ferait du bien.