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8 janvier 2009 4 08 /01 /janvier /2009 00:09

Profitant d’un Paris un peu engourdi par la froidure je suis allé voir « Le paysan dans la publicité » une superbe et instructive exposition qu’organisait la bibliothèque Forney abritée dans le magnifique Hôtel de Sens qui est un des rares vestiges de l’architecture médiévale civile à Paris. Il a été construit de 1475 à 1519 sur l’ordre de Tristan de Salazar, archevêque de Sens. Vendu comme bien national, il fut mutilé durant tout le XIXème siècle par les propriétaires successifs : une entreprise de roulage, une blanchisserie, une fabrique de conserves alimentaires, un coupeur de poils de lièvre, la confiturerie Saint James, un dépôt de verrerie… En 1911, la Ville de Paris acheta l’édifice dont l’état de délabrement était extrême. Les travaux de restauration commencés en 1929 ne s’achevèrent qu’en 1961.

En la visitant, j’y retrouvais une part de ma jeunesse : les écrémeuses Alfa-Laval, le tracteur Farmall rouge à roues jumelées, le brabant double de Huard frères et les lieuses des établissements Puzenat du pépé Louis, la moissonneuse-batteuse Class et la presse botteleuse Rivierre-Casalis de mon père, le superguano Angibaud, la potasse d’Alsace, le sulfate d’ammoniaque d’Auby, l’amonitre d’ONIA, et l’Avadex BW « l’assurance orge/escourgeon » de Monsanto distribué par BASF et rodhiagri… Les graphistes, dessinateurs ou photographes nous présentaient « des figures rayonnantes d’hommes de la terre dans des mises en scène champêtres de paysans en couple, d’enfants joyeux et gambadant, de jeunes amoureux, voire d’adultes vieillissants, incarnant tous la joie de vivre, la nature et la famille. Le rapport aux animaux est magnifié… » écrit très justement l’historien Jean-Luc Mayaud dans la préface du catalogue de l’exposition.













L’impôt du sang des soldats laboureurs de la grande saignée de 14-18, les monuments aux morts, la soumission à l’ordre éternel des champs, la « terre qui ne ment pas » chère au cacochyme Pétain, les paysans sont érigés en modèle de citoyenneté, porteurs des valeurs d’un monde préservé, à l’abri des perversions de la ville avant d’être précipités, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, dans le monde impitoyable de la productivité à l’américaine « si, au milieu du XIXe siècle, un actif agricole nourrit 1,6 personne, son petit-fils en alimente 4,2 en 1910 et ses descendants 5,5 en 1946, 10 en 1960 et 30 en 1983. Cette longue révolution s’opère par la mécanisation et la motorisation du travail agricole, par l’emploi progressivement massif des engrais et des produits phytosanitaires, mais aussi par la sélection des semences végétales et celle du bétail, dont ne sont retenus que les producteurs les plus performants obtenus par croisements avant que soient utilisées les ressources de la génétique et développées toutes les inventions de la nutrition animale. »
















Comme vous pouvez le constater le paysan est un laboureur ou un éleveur, ou les deux à la fois, mais pas un viticulteur ni un vigneron. Le monde de la vigne, du moins dans cette exposition, est absent. Paysan nourricier des habitants des villes, le vin porte encore le poids du cabaret et des classes dangereuses. Lorsque le paysan laissera place à l’agriculteur cher à la « Révolution silencieuse » de Michel Debatisse, père de la cogestion « pour le soutien d’une agriculture conquérante, capable de nourrir le pays et d’occuper, avec les activités de transformation de l’agro-alimentaire, le premier rang parmi les exportations de la France. » Le mythe du petit vigneron, paradoxe de notre secteur que de générer 80% du solde positif de notre balance commerciale agricole tout en laissant accroire, par la vertu de son appartenance à un régime d’exception : les AOC, qu’il est hors du système productiviste. Et puis, à l’orée du XXe Siècle, confronté à des concurrents sans complexe, face au fleuve rouge de certaines AOC régionales, mis en cause par des interrogations sur l’emploi trop massif de produits phytosanitaires, chahutés par les pratiques « modernes » de vinification, le réveil est brutal. Le terroir si souvent chanté enveloppe de sa vaste pelisse une France du vin qui refuse d’assumer ses différences.

Pour ma part, dans la relecture idéalisée que font certains de ce monde engloutit, je ne conteste qu’un point car je l’ai vécu dans ma prime jeune : ce n’était pas mieux avant. Ce monde était dur, inconfortable, le travail y était long et pénible : bécher à la main des billons de betteraves ou de choux n’était pas une geste bucolique, les mauvaises récoltes fréquentes, la cohabitation entre générations difficile, alors quand je lis sous la plume de Mayaud, qui est bien assis sur son fauteuil que « ces images fortes (celles de l’éternel paysan en béret) contrastent avec celles de la facilité que sont censées procurer la motorisation et la mécanisation » je sors mon révolver. Que ça déplaise ou non, aux chantres d’une agriculture paysanne la « modernité » du temps de mon grand-père et de mon père, en dépit de ses excès récents, en ce temps-là libérait les hommes et les femmes des champs. Ils ne recherchaient pas le rendement pour le rendement, ils souhaitaient tout simplement se sortir de leur servitude et de leur angoisse séculaire. La progression continue des rendements du Capelle et des litres de lait de nos braves normandes ont rythmé ma jeunesse alors de grâce ne réécrivons pas l’histoire, assumons-là tous ensemble enfants des villes et enfants des champs, sans stigmatisation outrancière ni naïveté.

Les lois d’orientation de 60 et 62 matrices du « productivisme » ont pour père Edgard Pisani, j’ai fréquenté l’Ecole d’Agriculture de la Mothe-Achard dans ces années-là assis sur les bancs de la même classe qu’un certain Luc Guyau futur président de la FNSEA et maintenant des Chambres d’Agriculture, j’ai commis sur cet espace de liberté une chronique du 21 février 2007 : « l’exploitation familiale »   http://www.berthomeau.com/article-5721595.html  qui explicite à la fois nos oppositions mais aussi ma compréhension de ce qui partait à l’origine d’une bonne intention « la défense de l’exploitation familiale à 2UTH ». Sans vouloir faire de parallèle audacieux : on ne fait la paix qu’avec ses ennemis, et pour ce faire il faut entretenir des passerelles, discuter avec tout le monde, proposer des avancées, j’ose : des compromis, faire progresser des solutions auxquelles adhèrent le plus grand nombre.

J’énerve, je sais !

Mais, pour terminer sur une note plus gaie, comme le disait la mère Denis, présente en vidéo à l’expo, dans la publicité pour la machine à laver Vedette : « C’est ben vrai ça ! ». En codicille de mes regrets catalans : j’ai visionné lors de cette exposition une pub pour les Rivesaltes signée Jacques Séguéla, avec Gérard Lenormand chantant « les gens heureux », rétrospectivement un peu triste…

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commentaires

J
oui !! oui et oui!! ceux qui disent la vie etait + belle ,n'ont jamais pratiqué cette agriculture :pas de vacances des semaines sans fin courbé tané plié avec au bout de quoi manger (et pas tjs)j'ai connu la fin de cette periode.toutefois ,pour rejoindre ce que dit "tchoo" si ça continue comme ça (pas de phyto pas de desherbant....etc)avec les ayatholla de l'environnement et autre secte(genre intelligence verte)...et ben rassurez-vs on y retourne tout droit au Cheval.Tres bonne analyse de Pierre....<br /> allez bonne journée
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T
Et que croyez-vous que sont donc aujourd'hui les agriculteurs, des infâmes empoisonneurs?<br /> Pour parler uniquement des viticulteurs, savez-vous qu'en quelques années les quantités de produits phytosanitaire utilisés par la viticulteur française ont diminué de 40%.<br /> Croyez-vous que cela fut possible sans appliqué des méthodes modernes à ce qu'on toujours su faire les viticulteurs: l'observation et la compréhension du monde vivant qui les entourent.<br /> Ils l'ont parfois, perdus de vue, persuadés (par qui?) que la technologie allait résoudre tous leurs problèmes.<br /> Mais ce temps à changé, et change encore à vitesse grand V.<br /> Le monde agricole, à une énorme capacité d'adaptation, il l'a déjà prouvé....
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M
En réponse aux remarques de Pierre, je réitère ce que j'ai cru dire : on peut être Paysan, mais Paysan "moderne", c'est-à-dire que le Paysan doit accepter de se servir des outils de la modernité. Rester dans son Languedoc ou dans son Béarn à contempler les pâquerettes entre les ceps ne suffit point. Il faut sortir, bouger pour vendre son "bon" vin. Si le vin ne se vend pas, c'est peut-être qu'il n'est pas assez proche de son terroir, pas assez enraciné dans sa terre. Bien sûr ce que j'affirme est plus facile à dire qu'à faire. Bien sûr, on n'est pas aidé par les taxes et les prélèvements fiscaux, mais ceux qui ont une équipe familiale solide avec eux, ceux qui ne reculent pas devant le travail ont plus de chance de réussir. Je ne suis pas comptable, mais je connais quantité de Vignerons en Languedoc ou ailleurs qui s'en sortent sans pour autant rouler en 4X4 de luxe ou s'offrir les Seychelles en voilier. Qu'est-ce que la réussite comptable ? Pour moi, c'est être heureux d'être là où l'on est, avec les gens que l'on aime qui se donnent la main pour élaborer - dans le cas vigneron - un vin qui ressemble à son pays et à ses géniteurs. Et puis il y a un adage auquel je tiens : si le vin est bon, proposé à son juste prix, il trouvera toujours son public.
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P
Je viens de lire le commentaire pertinent de Mr Michel Smith et j'en comprends le fond. <br /> J'ai un seul problème: il faut assurer la transition et continuer de manger et de vivre. Cela nécessite de nouvelles démarches, des investissements et de nouvelles structures qui n'ont pas été mises en place. <br /> Hier, j'étais chez notre expert comptable: Sur 32 propriétés vitivinicoles du Languedoc Roussillon, qu'il gère : une seule est rentable ! <br /> Je partage les notions que vous présentez, ainsi que les grands V et les grands P, mais il doit y avoir un hic dans la mise en oeuvre : ce ne sont pas avec des gens de la profession, seuls et/ou en désespérance, qu'on pourra y arriver. <br /> Il y a un choix de gouvernance qui n'a toujours pas été fait. Mais, sur le plan social.... avec le temps, le problème se résoudra de lui-même.
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M
Se revendiquer de la paysannerie de nos jours ne veut pas forcément dire que l'on est pour un retour en arrière. Je reviens de Provence où, pour une fois, j'ai visité une exploitation oléicole. Le monsieur qui l'animait avait la passion de la terre, donc paysanne, chevillée au corps. Mais les outils qu'il utilisait à la fois dans son oliveraie et dans son "chais" (pas d'autre mot en tête) montraient qu'il avait intégré dans son raisonnement tous les bienfaits de la modernité. Son sens de la protection de l'environnement, la rapidité avec laquelle les techniques de communication lui permettaient d'être informé des traitements divers, des techniques, des maladies, des déboires ou des avancées de ses confrères du monde entier, ses relations avec son syndicat d'AOC, tout cela contribuait visiblement à ce qu'il puisse vivre décemment, tout en travaillant dur et bien plus durement que beaucoup d'entre nous, moi le premier. Rien à voir avec les conditions de nos culs terreux du début du siècle passé. Mais cela ne l'empêche pas de se revendiquer Paysan (avec un P majuscule) avec toute la noblesse que ce statut peut avoir. En outre, ce n'est pas faire un retour en arrière que de s'inspirer de ce que faisaient nos aïeux, en reprenant et en actualisant même certaines de leurs pratiques. Nos techniques actuelles et celles à venir, celles qu'il nous reste à inventer, nos connaissances, nos capacités à créer, nos passions, nos prises en compte vitales de l'environnement de notre planète, tout cela allié à un bon sens, un sens de l'observation, et à l'intelligence du Vigneron (avec un V majuscule), tout cela donc, n'en déplaise à certains, doit autoriser à se revendiquer de la Paysannerie. Pour ma part, j'espère que notre belle France comptera de plus en plus de Paysans, qu'ils soient vignerons, apiculteurs, ostréiculteurs, éleveurs ou autres. Des Paysans modernes, bien sûr. Quoiqu'on en dise, je suis certain, mais il est vrai que je n'ai pas fait d'études savantes, qu'il y aura de quoi nourrir nos populations. Peut-être pas plus que dans les années folles du productivisme à tout va des années 1970-1980, mais en tous les cas dix fois voire cent fois mieux en qualité. Et les producteurs paysans des années futures, ceux qui empêcheront la désertification de nos campagnes, à moins d'un cataclysme mondial, pourront continuer à vivre nettement mieux - et plus longtemps - que leurs ancêtres Vendéens ou Picards. Je crois même, du moins je l'espère, que les populations du monde entier, y compris celles d'Afrique où je vais souvent, s'en sortiront mille fois mieux en développant des structures paysannes à visage humain plutôt que de se gargariser aux produits chimiques et au gigantisme que nos puissants et riches groupes multinationaux essaient de leur fourguer par gouvernements interposés. Navré mon cher Jacques, mais je préfère de loin l'efficacité d'un compost maison bien pensé, dont celui de mon cher oléiculteur varois, aux onéreux produits chimiques qu'il a à sa disposition pour augmenter considérablement son rendement, donc son revenu, mais qu'il se garde d'utiliser sachant qu'ils ne garantissent nullement la qualité de sa production et encore moins la qualité de ses olives et de son environnement immédiat, là où gambadent ses chiens et ses enfants, sans compter toute la faune du massif des Maures. Mais je suis sûr que tu es d'accord avec moi. Il suffit de voir les surplus de l'agriculture qui se revendique de la modernité s'entasser pour comprendre que la sagesse paysanne doit revenir au goût du jour. Mais on pourrait en discuter des heures...
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