Alexis Gourvennec, 71 ans, vient de décéder. La saga de l'homme du choux-fleur et de l'artichaut bretons, de la SICA de St Pol de Léon, du marché au cadran, de la marque Prince de Bretagne, de la Brittany Ferries et du cochon en batterie, casseur de Préfecture devenu un puissant notable, est emblématique de l'évolution du Grand-Ouest de l'après-guerre passé de la misère noire à une prospérité fondée sur l'intensification technique et l'émergence d'industries agro-alimentaires puissantes.
La Bretagne de Bécassine, des bonnes gagées à Paris, exportatrice de bras pour les usines, ces émigrés de l'intérieur, s'impose comme le leader dans le petit poulet congelé à la Charles Doux vendu aux Emirats arabes à grand coup de restitutions, la dinde du père Dodu, le cochon de la Cooperl et les Holstein qui pissent le lait pour le plus grand bénéfice de Michel Besnier le Lavallois, en profitant à fond de l'ineptie de notre OCM céréales, important par les ports de Brest et de StNazaire des cargos de soja et de PSC. Plus qu'une révolution silencieuse, c'est un réveil brutal à la chinoise, implacable et déterminé. Un développement à la Alexis Gourvennec, sans état d'âme, comme une revanche des gars aux galoches, les Finistériens surtout. Lisez ou relisez le Cheval d'Orgueil de Jakez Hélias.
Ce matin, en saluant la mémoire d'Alexis Gourvennec, avec qui je me suis frictionné assez souvent, je voudrais souligner qu'il faut, avant de vilipender ou de condamner un système, chercher à en expliquer les ressorts.
L'exploitation familiale à 2 UTH, invention des premiers technocrates de la Vième République, scellée dans le bronze des lois d'orientation agricole de Pisani, est la mère du productivisme tant décrié de nos jours. En décrivant cela, je ne justifie pas le système, je l'explique.
Quel choix autre laissait-on au jeune agriculteur s'installant sur une poignée d'hectares, pour vivre, pour tenter de vivre comme ceux de ses copains partis à la ville, bien logés dans des HLM flambants neuves, avec salle d'eau et chambre individuelle.
C'était tout de même mieux que la cohabitation avec les parents et les grands-parents, non ! Alors quand les tous nouveaux industriels de l'aliment du bétail : les Guyomarch et consorts faisaient le tour des fermes pour proposer des élevages intégrés, avec un revenu monétaire palpable, ils trouvaient des candidats.
Je peux en parler d'expérience, mon frère aîné Alain fut ainsi dragué par BVT, rattrappé par les cheveux grâce à la SICA-SAVA de Bernard Lambert, elle-même tombée dans l'escarcelle de Tilly pour finir dans celle de Gérard Bourgoin. Il n'a pas pollué les rivières, il s'est contenté d'élever des poules qui pondaient des oeufs pour la reproduction. Le début de la chaîne industrielle, rien qu'un petit maillon, sans pouvoir sur la finalité du système qui l'intégrait.
Tout ça pour dire qu'on ne sort pas d'un système en le stigmatisant ou en proposant des solutions qui ne sont que des copiés-collés d'une vision passéiste de la petite exploitation respectueuse de l'environnement. Que celle-ci soit une voie intéressante et importante pour certains produits, pour certains marchés c'est l'évidence. En faire le modèle unique, en revanche, participe de la même vision que celle qui animait les défenseurs de l'exploitation familiale à 2 UTH.
En viticulture, pour la viticulture de masse, qu'elle soit de pays ou d'AOC, nous sommes à ce stade où il faut être en mesure de proposer aux plus grand nombre soit de plier bagage avec un accompagnement social digne, soit de s'adapter à la nouvelle donne mondiale.
Mais alors, me direz-vous, le spectre de l'intégration plane sur notre viticulture artisanale ?
Non, ce modèle est dominant ailleurs, vouloir le copier nous mènerait à une impasse. En revanche, on oublie de souligner l'importance de la coopération dans ce type de viticulture, et la coopération, comme chacun sait ou ne sait pas, au plan juridique est la continuation de l'exploitation.
Le défi est donc au coeur même de la modernisation des entreprises coopératives vinicoles. A elles d'imaginer les méthodes et les pratiques leur permettant d'être réactive et efficace face aux grands metteurs en marché mondiaux. C'était l'un des défis jeté par les auteurs de Cap 2010.
Sera-t-il relevé ?
L'avenir d'une part importante de notre viticulture en dépend et nos candidats à la fonction présidentielle feraient bien de s'en préoccuper.