Pour ceux d’entre vous qui n’avez pas la chance, comme moi, d’être abonné à vie au monument de l’ex-bonne presse devenu l’icône de l’intelligentsia de la « gauche bien pensante » je vous livre sous ma forme favorite des 3 Questions à …, certaines des réponses du Jonathan « penseur autoproclamé du goût » qui déclare, comme pour s’en défendre « je ne pense pas être uniquement le produit de ma classe, d’un cosmopolitisme urbain. Ça fait partie de ce que je suis, certes, mais ça ne détermine pas mes goûts. J’aime vivre à la campagne, loin des villes, avec les paysans, les vignerons » (c’est aussi beau que les bœufs blancs de pépé Louis et les caillebottes de la tante Valentine…) que j’ai extraites du long entretien qu’il a accordé à l’hebdomadaire dans le cadre d’un « Pourquoi le goût ? » où Vincent Rémy, en exergue s’interroge avec la gravité qui sied à ce genre d’exercice : « Depuis la Renaissance, nous nous croyons maîtres de notre goût ; Dans toutes ses acceptions – saveur, penchant, aptitude à juger… Mais ne serions-nous pas à notre insu entrés dans ce que certains qualifient d’ère du « capitalisme esthétique » ? Chaque jour, nous en faisons le constat : annonceurs et communicants font appel à notre sensibilité, à nos émotions, à nos « goûts ». Et réussissent ce tour de force : vendre en masse tout en prétendant conforter l’identité de chacun. »
J’ironise un peu sur ce cher Jonathan, mais en l’occurrence je partage sur le fond son point de vue. Cependant, même si mon aura n’atteint pas la cheville du maître, je me permettrai dans les jours qui viennent de commettre une petite chronique à propos de sa nouvelle croisade sur « l’acidité » contre le « sucré » en lui contant la réalité des paysans de mon trou crotté de la Mothe-Achard qui, certes comme il le dit « dès le Moyen-âge, (ces) paysans ont bu un vin rouge clair et aigre, à 6 ou 7°, peu alcoolisé et peu sucré. On buvait du vin pour éviter de boire de l’eau contaminée. Donc le goût de l’acide est bien enraciné. » pour lui expliquer, ne lui en déplaise, que le sucré était une « revendication de classe » de la part des « bonjours notre maître » et qu’il devrait piocher un peu, puisqu’il aime tant la campagne et les paysans, dans l’histoire de ceux-ci avant de nous asséner ses « vérités premières », celles qui plaisent tant aux bons et fidèles lecteurs de Télérama.
Donc ce cher Nossiter après avoir déclaré que « nous avons peur d'affirmer un goût » un goût intérieur ajoute-t-il, alors que nous sommes « matraqués vingt-quatre heures sur vingt-quatre par toutes les forces de marketing qui essaient de nous imposer un goût « massifié » et sucré » conclut que « c'est périlleux ». Et pourquoi diable docteur ? La réponse tombe avec le poids d’une sentence de psycho-sociologue prêt à intervenir dans une cellule de soutien psychologique pour consommateurs traumatisés en poussant leurs caddie dans le rayon vins chez Carrefour Auteuil : parce qu’ « On est pris dans cette contradiction : s'affirmer soi-même, sans perdre la relation aux autres. Et paradoxalement, parce qu'on choisit souvent de se fondre dans la masse, on n'est plus soi-même... et on détruit la relation avec les autres ! »
Avant de donner la parole au « maître » vous remarquerez que les questions de Télérama sont courtes (sous-entendu les miennes sont bien longuettes parfois) et j’en profite pour implorer le pardon de Télérama pour mon emprunt et mon impertinence mais, un vieil abonné comme moi à acquis, avec le temps, tant d’indulgences plénières qu’il peut se permettre de commettre une petite bordée de péchés véniels.
Question 1 : C'est vrai autant en matière de cinéma qu'en matière de vin ?
Réponse de Jonathan Nossiter : En matière de vin, c'est pis. Le vin terrifie les gens, parce qu'il est lié à l'identité de la France. Chaque Français pense qu'il se doit d'avoir un avis, alors que le vin ne fait plus partie du quotidien de beaucoup de gens depuis une trentaine d'années. Les gens ont d'autant plus peur qu'ils n'ont pas de repères et doivent affronter, en plus, snobisme, prétention, imposture...
Et puis, on ne peut saisir d'un vin que des expressions momentanées, jamais son essence. Ce vin d'Anjou qu'on est en train de boire est affecté par l'ambiance de ce bar, surchargée d'egos, d'effluves climatisés contraires à l'essence d'un vin naturel. On est tous aplatis, ici. On l'aurait bu tranquillement à la maison, entre amis, avec peut-être un peu de vent passant par la fenêtre, il aurait été tout autre... C'est pour ça que les jugements définitifs sur les vins, sans parler des notes de Robert Parker, sont parmi les plus grosses conneries de la planète.
Question N°2 : Les critiques ne sont pas indispensables en matière de goût ?
Réponse de Jonathan Nossiter : Si, au contraire ! La disparition des critiques de cinéma, cinéphiles cultivés, polyglottes au sens qu'ils parlent plusieurs langues culturelles, signe la disparition d'un type de spectateurs et de films singuliers. Les critiques sont nécessaires pour la survie de tous les arts. Même le vin ! Le problème est que l'art du vin a toujours été enraciné dans la culture populaire et que cet enracinement est affaibli. Des critiques charlatans peuvent alors raconter n'importe quoi et personne ne les contredira.
Question N°3 : Ce qui rapproche le cinéma du vin, c'est justement qu'ils ne sont plus des pratiques populaires...
Réponse de Jonathan Nossiter : Plus exactement, il n'y avait autrefois pas de distinction entre cinéma populaire et cinéma de création. Max Ophuls faisait des films grand public. Quant aux vins, ils étaient classés, mais sans qu'on en fasse autant de cas. Si on habitait dans le Beaujolais, on n'éprouvait pas le besoin d'écrire systématiquement « Fleury » ou « Juliénas » sur les bouteilles. Les gens du coin savaient juste que les gamays de la région de Fleury ou Juliénas avaient plus de goût et de complexité... Tant mieux si des lois protègent les appellations, je ne suis pas nostalgique, je dis juste que la relation au vin était plus naturelle.