À la veille de Noël, sans tomber dans la nostalgie, je dois avouer qu’en ce temps de l’Avent (pour les mécréants du latin adventus, « venue, avènement s'ouvre le 4e dimanche précédant Noël) je pense à mes jeunes années d’enfant de chœur turbulent à l’église Saint Jacques le Majeur de la Mothe-Achard. Notre sacristain, un petit bonhomme, aussi noueux qu’un sarment de vigne, exerçait la profession de sabotier ; profession en pleine déconfiture depuis que les paysans avaient adopté les chaussures, des brodequins ou des godillots (du nom d’Alexis Godillot fournisseur de l’armée). La fonction de sacristain, elle aussi, se réduisait comme une peau de chagrin et notre homme, les jours de semaine, suppléait Gégène l’aveugle préposé à l’harmonium. Il jouait d’oreille et, comme il n’en avait plus, les offices du matin prenaient des airs de concerts de musique concrète.
Mon pépé Louis portait des sabots quand il s’occupait de ses bêtes. Il les garnissait d’un lit de paille douce et, été comme hiver, il y glissait ses pieds nus. Comme tous les enfants j’adorais lui emprunter ses sabots, bien trop grands, pour m’amuser. Mémé Marie s’inquiétait de mes chevilles mais moi j’adorais la tiédeur de ces mastodontes.
Quelques mots sur le métier de sabotier. Tout d’abord, Saint René est le saint patron des sabotiers, c’est le 12 novembre, car St René évêque d’Angers vers l’an 420 se serait retiré en ermite et aurait façonné des sabots. Je salue notre René Renou à nous qui lui aussi s’est retiré je ne sais où. Le sabotier privilégie les arbres vieux et sain d’au moins deux mètres de diamètre où le cœur (bois noir) est majoritaire. Pour confectionner 12 douzaine de paires il faut un stère de bois. C’est surtout le bois de hêtre qui est utilisé mais on façonne des sabots en peuplier (les marins car le bois est tendre et les petits cailloux s’y incrustent et empêchent la glisse), en bouleau, aulne, saule et pour les sabots de luxe le noyer. L’abattage de l’arbre obéit à la phase de la lune : « Bois d’épine…lune fine, bois de feuille… lune vieille… ». Le sabotier débite des gros cubes de bois qu’il dégrossit à la hache à bûcher ou épaule de mouton (très lourde, deux kilos). Celle-ci a la particularité d’avoir un seul biseau et un fer déporté sur la gauche afin de ne pas gêner le mouvement du sabotier ; pour faire équilibre le gros manche se termine en forme de poire. La mise en forme est commencée à l’herminette et s’achève au « paroir », long couteau à un manche fixé par une extrémité à la « chèvre » (billot de bois à 4 pieds). Le rituel des sabotiers voulaient qu’ils ne donnent qu’un nombre de coups impair pour le parage (13 pour les gros sabots). Ensuite, le sabotier effectuait à l’aide de gouges, de tarières, l’opération de creusement du sabot. Le polissage extérieur se fait à la raclette et le décor, s’il y a décor, ceux du pépé Louis ne l’était pas, à la rouanne. Enfin, car le bois se travaillait en vert ou demi-sec, le séchage s’imposait.
Les sabots dans notre folklore chanté sont passés par la Lorraine et notre bourru Brassens, qui savait si bien faire le lien avec nos racines, a chanté ceux d’Hélène qui « étaient tout crottés ; les trois capitaines l’auraient appelé vilaine… » mais pour moi le plus bel hommage aux gens de la terre c’est l’immense et très beau film d’Ermanno Olmi, palme d’or à Cannes en 1978, « L’arbre aux sabots » C’est l'histoire de quatre familles de paysans pauvres dans une grande métairie du côté de Bergame, à la fin du XIXe siècle. Au fil des saisons, au rythme du travail communautaire, s’égrènent les évènements de la vie, les fêtes, les amours naissants, les mariages et les naissances, les veillées autour de l’omniprésent maïs. Le héros souriant de l’histoire c’est Ninec Batisti, 7 ans, dont l'intelligence est remarquée par le curé qui convainc son père de lui faire continuer l'école au village voisin. C’est tous les matins et tous les soirs des heures de marches. Un jour NINEC brise l’un de ses sabots et, son père, pour lui tailler des sabots neufs, abat un arbre du propriétaire… Tous les acteurs sont des paysans bergamasques. Ils jouent dans leur dialecte. Le film était sous-titré en italien pour les cinéphiles italiens. C’est un chef d’œuvre, sans concession, d’un naturalisme criant de vérité.
Voilà une suggestion de cadeau pour mettre dans les sabots de quelqu’un que vous aimez…