Comme l’aurait dit, dans mon beau pays de la Mothe-Achard, à propos du père Troussicot qui remuait beaucoup d’air, madame Ginette, la coiffeuse de maman, qui n’avait pas sa langue dans sa poche : « Y’en a que pour lui… » Pour le vin c’est tout comme : en tout lieu ou presque, en tout temps, y’en a que pour lui, il occupe le haut du pavé, il est même par la transmutation le sang du Christ, en un mot comme en cent le roi du monde c’est lui. Le seul qui ose, depuis une période récente, s’aventurer à contester sa suprématie, et qui dans le gotha des critiques est une star incontestée, j’ai nommé le terroir.
Si j’osais j’écrirais : « Terroir combien de discours insanes écrits et prononcés en ton nom… » Je l’ai écrit et, comme je suis un ignare, je laisse la plume sur ce sujet à un philosophe, Michel Le Gris : « Mise au jour par l’histoire de la culture de la vigne et de l’élaboration des vins, exploitée et, dans une large mesure, pervertie par le commerce, cette notion de terroir est, faut-il le dire, tout à fait étrangère à une quelconque idéologie du sol, de la race et du sang. Sous son aspect géologique, le terroir désigne les éléments du règne minéral que les racines vont puiser et transmettre aux raisins, dans la mesure où cette action de la plante ne se trouve pas entravée par une alimentation abusive répandue à la surface du sol et perturbant le métabolisme entre le minéral et le végétal. Cette logique du vivant, dans laquelle les crus puisent leurs spécificités, est en effet susceptible d’être gravement détériorée lorsque le végétal ne prélève plus aucune nourriture par lui-même, se contentant de celle apportée sous forme d’engrais. On sait aussi, grâce aux précieux travaux de Claude Bourguignon, que ce métabolisme naturel de la vigne est d’autant plus perturbé que la vie microbienne du sol, indispensable à l’assimilation des minéraux, se trouve elle aussi détruite à la suite des agressions chimiques dont les plantations sont fréquemment l’objet. Là se trouve très probablement l’une des causes de la perte de spécificité de nombre de vins actuels. »
Fermer le ban ! Moi ce qui m’intéresse ce matin ce sont les petits bourgeons qui, lorsque le sommeil hivernal se termine et que la sève boute, gonflent le long des sarments et déchirent la mince pellicule ligneuse qui les protégeait des rigueurs de l’hiver. Tout au début nos petits bourgeons sont ténus – chétifs – laineux, duveteux comme des chatons de coudrier. La vigne débourre, mais on ne la dresse pas, elle, comme on le pratique avec les yearlings de pur sang. Elle va recommencer à croître et à embellir sous les rayons du Dieu Soleil, conjuguant son fameux terroir. Mais c’est aussi pour elle la période de tous les dangers : en une nuit blanche de gel les frêles bourgeons peuvent être rayés de la carte à tout jamais réduisant ainsi à néant tous les espoirs du vigneron. Oui, même si on ne parle pas souvent de lui dans les gazettes, le petit bourgeon, comme tous les nouveau-nés, est une promesse. À l’intérieur de ce minuscule réceptacle, les inflorescences sont déjà marquées par leur environnement singulier et attendent le moment opportun pour s’épanouir. La vie, le cycle de la vie, renouvelé par la taille, où les bourgeons sont des « yeux », sculpture vivante, recherche de l’équilibre et de l’harmonie, prémice de l'éternelle renaissance. Regardez-le, contemplez-le, ce frêle réceptacle de vie et, lorsque vous porterez à vos lèvres le verre empli du nectar exhalant ses subtiles fragrances, ayez une petite pensée émue pour mon petit bourgeon encore tout nimbé de perles de rosée par qui le miracle est arrivé…