Le rajout de crème dans les spaghetti alla carbonara soulève, à juste raison, l’ire de nos voisins transalpins, alors pourquoi diable se foutre en plus sur le dos les écolos en osant aborder la question pour le ragoût de tortue à dos diamantin ?
Ma réponse est pleine d’ego : parce que j’ai des lettres mesdames-messieurs, je ne passe pas mon temps le nez dans mon verre tout en passant ma vie autour de sainte table étoilées ; je lis !
Si vous voulez tout savoir sur la Tortue à dos diamanté, Diamondback terrapin, Malaclemys terrapin allez voir ICI
En revanche si vous souhaitez savoir pourquoi je m’interroge sur l’ajout ou non de crème dans le ragoût de tortue à dos diamantin, lisez-moi ?
Ensuite, vous pourrez interroger François-Régis Gaudry l’équivalent gaulois de Sheila Hibben, autorité incontestée en matière culinaire aux States, qui écrit dans l’Express, cause dans le poste à France-Inter le dimanche où il nous dit comment déguster.
Joseph Mitchell, lui, chroniquait dans le célèbre New Yorker
« Sur presque toutes les photographies où il apparaît, Joseph Mitchell porte un costume sombre, une cravate et un chapeau, qu’il coiffait même quand il descendait les poubelles. On le croirait sorti d’un film noir façon Robert Siodmak ou Howard Hawks. De 1938 à 1964, Mitchell (né en 1908) fut l’une des grandes plumes du New Yorker, pour lequel il rédigea de longs articles sur les dessous de la ville, ses lieux incongrus et ses figures improbables. Des articles si personnels, si singuliers, qu’ils furent bientôt encensés par toute la profession, et peu à peu considérés comme une véritable œuvre littéraire. Puis, durant les trente ans qui suivirent, Mitchell se rendit chaque matin à son bureau, s’affaira jusqu’au soir sur sa mythique Underwood, mais ne publia plus une seule ligne. La direction du magazine continua à lui verser son salaire comme si de rien n’était, espérant jusqu’au bout qu’il livre enfin ce grand texte qui ne vit jamais le jour. Presque autant que ses articles, ce blocage légendaire contribua à entretenir la légende du reporter. De Joseph Mitchell, pourtant considéré comme un maître par Paul Auster ou Martin Amis, on ne disposait jusque-là que de quelques traductions récemment publiées (1). La parution simultanée de la minutieuse biographie que lui a consacrée Thomas Kunkel et de son plus célèbre recueil, le Fond du port, permet de donner toute leur épaisseur au personnage et à son œuvre. »
JOSEPH MITCHELL, LA RELÈVE DES CONTEURS par Dominique Kalifa — 1 novembre 2017
Noël m’a apporté les 2.
« Plus étonnant encore, le magazine publia en 1939 pas moins de treize contributions sous sa signature, sans compter plusieurs textes parus dans la rubrique « The Talk of the Town ». Un de ceux-ci lui valut d’ailleurs de la part d’un ami de Ross (ndlr. le fondateur du New Yorker) qui collaborait aussi au New Yorker, H. L. Mencken, une « protestation » assez amusante. Dans un grand reportage sur un éleveur de tortues à dos diamantin, Mitchell avait en effet écrit que la recette typique du Maryland préconisait d’ajouter de la crème dans le ragoût préparé avec cet animal. Celui que l’on surnommait « Le Sage de Baltimore » fut atterré. « Dites à M. Mitchell que quelqu’un l’a amené à commettre une erreur insultante, écrivit Mencken à McKelway (ndlr. Le rédac-chef). Tout habitant du Maryland doté d’une cervelle à peine plus grosse qu’une secrétaire de la YMCA sait de façon innée et indiscutable que mettre de la crème dans un ragoût de tortue est aussi utile que pisser dans un violon. »
Mitchell répondit que Mencken avait bien évidemment le droit d’avoir son opinion sur la question, mais que Sheila Hibben, autorité incontestée en matière culinaire, s’était bel et bien prononcé en faveur de l’ajout de crème dans sa recette.
« Tous les experts de terrain que j’ai consultés font figurer la crème et le sherry parmi les ingrédients de leur recette de ragoût de tortue, écrivit-il à McKelway. Je ne voudrais pas ouvrir une polémique sur cette question ; des milliers d’hommes ont perdu la vie à la suite d’une polémique sur l’ajout de tomate dans la soupe de palourdes ou de crème dans le ragoût de tortue… » Mencken voulut bien admettre que l’argument était recevable. « Dites à M. Mitchell qu’il est pardonné, mais pas Mme Hibben. Elle aurait dû s’informer à de meilleures sources. »
Quant à la question que boire avec le ragoût de tortue à dos diamantin ? Prière de s’adresser au spécialiste qui officie dans « On va déguster » de François-Régis Gaudry. Votre humble serviteur n’est qu’un simple buveur qui préfère voir les tortues manger des feuilles de salade dans le jardin de ses petits enfants.