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19 mars 2016 6 19 /03 /mars /2016 06:00
« Messieurs, c’est sur le champ de bataille qu’il faut haranguer des guerriers ; c’est sur les débris d’un dîner qu’on doit pérorer des gourmands »

« Je veux que tu curasses les écuries d’Augias… » citation apocryphe notée à la Mutualité.

 

Curer, verbe peu usité et pourtant, enfant du latin curare, nettoyer quelque chose en grattant, en raclant et en enlevant les corps étrangers, il est toujours d’actualité même si, dans notre civilisation hygiéniste, il évoque un temps disparu : curer un égout, une pipe, des sabots, un canal, un fossé, une mare, un ruisseau, une écurie, une étable, une charrue, un trou, un bois.

 

Et pourtant, se curer le nez, les ongles, les dents, reste une activité intense en nos grandes cités.

 

Enfin, ne pas confondre curage, qui est le même geste mais fait avec un doigt et le curetage qui désigne le geste chirurgical.

 

Revenons au curage des dents !

 

Loin des chichis prétentieux et nombrilistes d’Omnivore bardé de sponsors qui adorent les petits producteurs, au XVIIIe siècle, lors des jurys de dégustateurs de Grimod de la Reynière, faire de la réclame était aussi au menu.

 

« Messieurs, c’est sur le champ de bataille qu’il faut haranguer des guerriers ; c’est sur les débris d’un dîner qu’on doit pérorer des gourmands. Vous quittez à l’instant un des banquets les plus somptueux qui ait jamais illustré les séances du Jury dégustateur. Je vois, Messieurs, rouler dans vos doigts ces jolis hochets dont vous m’avez nommé le panégyriste ; vous vous en servez pour caresser vos dents en les parcourant légèrement comme les cordes d’une guitare. Cet exercice charmant, cet usage des cure-dents, consacré par la plus respectable des Sociétés gourmandes, n’en est-il pas le plus bel éloge ? Il faut cependant entrer dans mon sujet, et ce sujet est une plume. Celle de Rousseau a fait des ravages dans la société avec le Contrat Social, Émile, La Nouvelle Héloïse. La plume du citoyen de Genève charma les esprits et désola les nations. Quant aux plumes des cure-dents, au contraire, leur innocence est généralement reconnue et si elles piquent quelquefois les gencives, c’est pour entretenir leur fraîcheur. Voilà l’unique sang qu’elles font couler… »

 

Le sieur de Rougemont était un fieffé baratineur, il ne recule devant rien en affirmant « qu’ils sont tous d’une coupe différente suivant la forme des dents… J’en ai pour les jeunes et pour les vieilles mâchoires… il y en a dans le nombre de très menus ; ce sont des plumes de tourterelles délicatement taillées : elles sont destinées aux bouches fraîches et rosées… »

 

Moins poétique : « En curant ses chicots avec des bouts d'épingles » Huysmans, Sœurs Vatard, 1879.

 

Un peu d’Histoire, je fais tout d’abord mon Jean-Pierre Kauffmann : Napoléon emportait, lorsqu’il était en campagne, un coffret de vingt-quatre douzaines de cure-dents en buis de chez Gervais-Chardin : « Sa figure et ses mains lavées, écrit Frédéric Masson, il curait soigneusement des dents avec un cure-dents en buis, puis les brossait longuement avec une brosse trempée dans de l’opiat, revenait avec du corail fin et se rinçait la bouche avec un mélange d’eau-de-vie et d’eau fraîche.»

 

« De plus, il dispose en la personne de Jean-Joseph Dubois-Foucou (SOP, 2006) d’un opérateur pour les dents qui a officié sur sa personne de 1806 à 1813. D’après F. Masson (Lamendin, 2000), l’un des plus grands historiographes de Napoléon, l’entretien que ce dernier a apporté à ses dents était tel qu’il avait « toutes ses dents belles, fortes et bien rangées. » Il ajoute : " …Il curait soigneusement ses dents avec un cure-dents en buis, puis les brossait longuement avec une brosse trempée dans de l’opiat, revenait avec du corail fin, et se rinçait la bouche avec un mélange d’eau-de-vie et d’eau fraîche. Il se raclait enfin la langue avec un racloir d’argent, de vermeil ou d’écaille. » En 1806, Gervais-Chardin, « parfumeur de Leurs Majestés Impériales et Royales », livre 52 boîtes d’opiat dentifrice pour un montant de 306 francs, 15 douzaines de cure-dents en buis et en ivoire. Le 25 octobre 1808, il livre 24 douzaines de cure-dents en buis, 6 boîtes de corail fin pour les dents au prix de 36 francs et 28 boîtes d’opiat superfin facturées 168 francs. Le 20 mars 1815, le parfumeur Teissier fournit 3 boîtes d’opiat en bois d’ébène pour la somme de 18 francs et 28 pots d’opiat à la rose au coût de 56 francs. Le 27 mars 1815, son nécessaire est entièrement réparé à la demande de Dubois-Foucou. Jamais durant son règne, le monarque ne semble avoir eu recours aux services de Dubois-Foucou, excepté pour des nettoyages. »

 

Les premiers cure-dents datent de l’âge de bronze.

 

Les Égyptiens et les Arabes utilisent des arêtes de poisson ou des tiges de câpriers en guise de cure-dents.

 

Dans l’Antiquité gréco-romaine les cure-dents en métal, argent et or, ou en ivoire apparaissent.

 

Pline l’ancien se sert « d’une épine de porc-épic pour nettoyer et consolider ses dents.»

 

« En France, du Moyen Âge à la Renaissance, les cure-dents sont montés sur pivot, se nomment fusequoirs et servent également à se curer les oreilles après la toilette, faisant alors office d’escurette. »

 

Photo d’un cure-oreille avec cure-dent escamotable. Il date du 17ème siècle et est en argent ciselé.

 

« On porte les cure-dents à la ceinture comme des objets précieux dont on ne veut se séparer. C’est le cas de l’amiral de Coligny, qui en tire un dans ses moments de fureur et le mâche pour se calmer. On dit alors : « Dieu nous garde du cure-dents de Monsieur l’Amiral. »

 

Lire Le cure-dent Africain, cette brosse à dent qui résiste au temps 

 

Source : L’histoire de la casserole Henri Pigaillem

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commentaires

L
Je veux que tu curasses? Comment explique-t-on le subjonctif IMPARFAIT (car c'est de cela qu'il s'agit, non?). On aurait compris après "je voulais que" ou encore "je voudrais que" mais ici? Ou alors celui qui a inscrit cette formule n'avait plus toute sa raison et on aurait dû le mettre ... sous curatelle! <br /> Pour rester dans le sujet (ça m'arrive), on parle aussi d'une CURE de hernie (inguinale, par exemple).<br /> Et quel magnifique instrument que celui qui figure en haut du texte! En même temps, parfaitement superflu, ce qui le rend encore plus magnifique ... pour un snob.
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