Isabelle Saporta, délaissant les Grands Crus Classés du Bordelais pour faire la fermière, ces derniers jours crapahutait dans l’Aveyron profond et s’enthousiasmait sur Face de Bouc qui relayait ses Twittos :
« Vaches Aveyronnaises heureuses... »
« André Valadier: La tradition sans modernité est stérile mais la modernité sans tradition est aveugle. »
A. Valadier: « les anciens ne savaient pas exactement ce qu’ils faisaient. Mais ils savaient ce qu’il ne fallait surtout pas faire. »
« Le Laguiole de la coopérative Jeune Montagne: des éleveurs heureux, bien payés pour faire un produit de qualité! »
« Et si la FNSEA aidait plutôt les éleveurs à se tourner vers des modèles comme ça..?»
Et elle me lançait « Qu’en pensez-vous M. Berthomeau? »
Ma réponse fut lapidaire « je ne pense plus ce n'est plus de saison dans ce pays :-) »
Tout au bout de ma longue carrière j’ai tenté, sans succès, à propos du lait et de la fin des quotas laitiers, de faire prévaloir des propositions fondées sur mon expérience. Rassurez-vous, je ne suis pas de ceux, ayant moi-même tenu les manettes, qui en se fondant sur de profondes analyses sortent de leur chapeau des solutions miracles. Un porte-avion ne change pas de cap avec la même souplesse et facilité qu’un trimaran de la route du Rhum.
Lors d’une de mes dernières rencontres avec les éleveurs laitiers du Bassin de production normand, d’où est parti le mouvement, dans une discussion à bâtons rompus, face à une forme d’angoisse quant à leurs moyens pour protester contre la fameuse volatilité des prix, je leur ai dit sans ambages que les pouvoirs publics seraient nus et que les cours de Préfecture ne seraient plus les lieux où il faudrait déverser du lisier ou bruler des pneus.
Haro alors sur la GD et Lactalis et ses confrères privés ou coopératifs, certes pourquoi pas sauf que plutôt que de tenter de faire remonter les prix aujourd’hui, les pouvoirs publics de l’époque, qui clament aujourd’hui main sur le cœur leur solidarité avec les pauvres éleveurs, auraient été plus pertinents s’ils avaient défendus becs et ongles le prix interprofessionnel condamné par la sacro-sainte Commission Nationale de la Concurrence, au nom des tables de la loi européenne. Peu de journalistes ont relevé ce point pourtant capital dans une saine gestion du marché domestique.
Et ça ne va pas s’arranger avec la fin des quotas laitiers décidée sous présidence française par les pouvoirs publics de l’époque, toujours les mêmes pas vrai Monsieur Jacob, ex-céréalier de la Seine-Marne reconverti en député-maire de Provins.
Le grand large pour les producteurs laitiers français pourquoi pas mais encore faudra-t-il qu’ils en tirent toutes les conséquences, eux qui jusqu’ici, et depuis les années 50, étaient protégés, on parle dans ce secteur de la paye du lait. Ce qui n’a jamais été le cas pour les producteurs de porc et d’une manière peu efficace pour les producteurs de viande bovine.
Quelques infos en vrac :
La crise du lait pourrait profiter aux grandes exploitations du Nord
Pour l’heure nos concurrents allemands ne sont pas contents
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Crise de la viande et du lait: le consommateur a aussi sa part de responsabilité par Gilles Bridier
Mais revenons à la question titre : La méthode André Valadier avec Jeune Montagne à Laguiole est-elle duplicable pour régler les soucis des producteurs de lait ?
La réponse est oui à la condition qu’on ne se contente pas de l’éternelle ritournelle sur la multiplication des signes, dit de qualité, qui n’a pour autre résultat que de faire rentrer ces produits dans une consommation de masse qui fait du prix son seul moteur.
Pour créer de la valeur durablement il est nécessaire que les efforts, le travail des producteurs, leurs investissements, trouvent sur le marché un prix rémunérateur.
Les consommateurs sont-ils prêts, pour ceux qui le peuvent financièrement, à faire leur révolution copernicienne pour leur consommation alimentaire ? Pas si sûr, et ne parlons pas des consommateurs des marchés émergeants.
L’AOC, en fromage comme ailleurs, n’est pas toujours un rempart à la dévalorisation du produit, le cas le plus parlant est celui des prix bas de l’AOC Cantal dont le Laguiole est le cousin-germain, dont la plus grande part est vendue en GD et en hard-discount.
N’extrapolons pas avec des yakas et des faukons les réussites comme celles du Comté mais permettons l’éclosion d’initiatives multiples qui créent de la valeur que le consommateur, urbain ou nom, prenne en compte dans ses décisions de consommation.
Le 78 rue de Varenne et sa cotriade d’ingénieurs et de vétérinaires a toujours eu les yeux de Chimène pour les grands systèmes de la PAC gérés à Bruxelles et peu de goût pour les productions plus modestes en taille mais riche en valeur ajoutée...
Être réaliste ne signifie pas verser dans le pessimisme, je suis de ceux qui pensent que « Le monde évolue parce que certains marchent à côté des chemins. C’est dans la marge que se font les plus claires corrections. » Mais je suis, comme André Valadier, un réformateur. Je me méfie de ceux qui veulent faire table rase du passé car l’Histoire a prouvé qu’au bout du compte y reste pas beaucoup à croûter.
Mais comme le notait Chapman « Dans un âge guerrier, un réformateur passe pour un poltron ; dans un âge commercial pour un incompétent ; dans un âge fanatique, pour un hérétique. »
Choisissez votre séquence historique mais surtout lisez cette chronique du 16 juin 2011 « Deux hommes et un dessein : l’Aubrac d’abord ! Christian Valette et André Valadier » c’est la meilleure réponse que je puisse donner à Isabelle Saporta.
Elle commençait ainsi : « J'étais hier à Rodez pour m'occuper des vaches laitières. L’emploi du temps d’une vache qui s’en soucie, sans aucun doute deux hommes : Christian Valette et André Valadier, deux hommes issus du même terroir : l’Aubrac, deux hommes unis par le même dessein : que vive leur pays natal ! Vivre et non survivre, loin de la formule passéiste de certains ruralistes du « maintien des agriculteurs » en nos belles campagnes et des images d’Epinal de ceux qui reverdissent l’Histoire de nos parents et regrettent le temps passé « adieu vaches, cochons, couvée... »
intéressant à partir de la 4 ième minute...