L'ensemble constitué par le Marais poitevin et la baie de l'Aiguillon, relique du golfe des Pictons, s'étend sur environ 100 000 hectares se situe entre les départements de la Vendée, des Deux-Sèvres et de la Charente-Maritime.
Tout comme pour les lumas ou cagouilles les anciennes frontières provinciales tracent encore des lignes de partage difficiles à appréhender par la génération Y. Le charentais de la mer, Denis Montebello écrit « Faut-il dire lumas ou cagouilles ? Ou bien ignorer la frontière que d’aucuns voudraient tracer entre Poitou et Charentes, voir entre Aunis et Saintonge, et employer indifféremment l’un ou l’autre mot ? En ces temps de repli identitaire, de communautarisme, je serais tenté de ne point imiter l’escargot rentrant dans sa coquille et d’opter pour un ou exprimant une équivalence, plutôt que pour un ou marquant une alternative dont l’un des termes exclut l’autre. »
Moi le bas-bocain vendéen j’opte sans la moindre hésitation pour l’équivalence, il y a tant de Berthomeau au-delà de ces vieilles frontières, pour moi c’est luma mais je me rends sans problème au restaurant la Cagouille, du côté de Montparnasse, cantine d’un éminent journaliste du vin qui a plutôt tendance à siffler du Chablis que du vin de pays des Charentes en mangeant une mouclade.
Bien sûr, en pension nous chantions «Patate, fayot, patate, fayot/C'est le régime, c’est le régime/ Patate, fayot, patate, fayot/C'est le régime pour être beau… » pour ironiser sur l’extrême diversité de nos menus, nous n’avions pas la chance alors de bénéficier du PNNS (Lancé en janvier 2001, le Programme national nutrition santé (PNNS) a pour objectif général l’amélioration de l’état de santé de l’ensemble de la population en agissant sur l’un de ses déterminants majeurs : la nutrition.)
Revenons à nos mojhètes, souvenir des semis aux premiers jours de mai, le labour en planches ou billons, en refendant ou en adossant, avec notre vieille jument Nénette «pour y enfouir, pas trop profond, répétons-le, sinon ils pourrissent, ses lingots »
« Le haricot « veut voir partir son semeur », il aime « entendre sonner midi »
« Il ne doit être ni profondément enterré, ni recouvert d’une terre trop froide. »
Souvenir encore des cosses de mojhètes étendues sur des grandes bernes de jute au soleil, ça craquaient, puis ont les battaient au sens propre du mot avec une fourche à 8 dents. On les laisserait encore sécher avant de les ensacher puis, pendant les veillées d’hiver, sur la table de la cuisine, on trierait les mojhètes.
Au Bourg-Pailler les mojhètes étaient autoconsommées.
L’étymologie d’abord :
« Le latin distingue les olera, plantes à racines et feuilles alimentaires, des legumina. Ces plantes à gousses sont consommées un peu partout dans le monde romain, et particulièrement en Gaule où l’on trouve :
- Fève (faba)
- Pois (pisum, différent de « notre petit pois »)
- Pois chiche (cicer)
- Gesse (ervilia)
- Lentille (lens)
- Vesce (vicia)
- Lupin (lupinus)
- Diolique (phaselus)
Ce dernier, que Virgile regarde comme légume vil, et qu’il place, dans ses Géorgiques, entre la vesce et « l’humble lentille de Péluse » (ville maritime de la Basse Égypte), est considéré par certains comme l’ancêtre de notre mojhète. »
D’où vient-elle ?
Le de Candolle « Origine des plantes cultivées » consacre 6 pages que j’aurais bien du mal à vous résumer mais en comme l’écrit Montebello « ceux qui ont du mal à admettre que notre haricot fut importé d’Amérique au XVIe siècle, qu’il se diffuse dans la France de l’Ouest et du Sud au commencement du XVIIe siècle, persistent à croire l’espèce présente en Franc depuis des siècles. Ce légume spontané répandu en Afrique de l’Ouest depuis 5000 ans, en Inde depuis 3500 ans, en Chine depuis 3000 ans, ce diolique aurait été introduit en France d’abord à Marseille par les Grecs puis par les Romains, réintroduit par les Arabes (c’est leur lubia) selon les exigences de Charlemagne, il se serait maintenu jusqu’à la Renaissance et, malgré l’arrivée du haricot d’Amérique, jusqu’à nous. »
Indigène ou importé, peu me chaut ! Ce qui m’importe c’est pourquoi chez nous ?
Réponse d’Emmanuel Le Roy Ladurie avec la Mélusine ruralisée prolongeant l’enquête de Jacques Le Goff sur la Mélusine médiévale « les paysans poitevins avaient interprété ce « don » mélusinien du haricot comme un fait décisif pour l’amélioration de leur niveau de vie – les légumineuses médiévales, gesse de Saintonge et pois limousin, étant désormais réservées à la nourriture des porcs ou à celle des villages sous-développés. »
Bien c’est bien joli de tourner autour du pot avec mes haricots qui peuvent avoir pour nom : le Saint-Esprit, le gros Rouge d’Alger, le Marbré du Portugal, le Caillaud, le Solférino, le Rosé de Marans, le Michelet, le Lingot de Vendée, le Rognon d’Oise, le Coco du marais, le Pont-l’Abbé, la Comtesse de Chambord, l'Œil de perdrix, le Petit carré de Caen, le petit gris, le Saint Sacrement ou Ostensoir, le Saint-Esprit à œil rouge ou 'Nombril de bonne sœur… mais tout ça me donne faim.
Vos mojhètes faites-les cuire dans un pot en terre cuite au coin du feu et, si vous n’avez pas d’âtre, optez pour un feu très, très doux.
De l’eau, une poignée de sel, de l’ail, et du laurier…
Goûtez de temps en temps pour évaluer si vos mojhètes ont la bonne consistance, al dente.
Egouttez. Récupérez l’ail.
Faites fondre du lard dans une cocotte en fonte, feu doux, ajoutez vos mojhètes en les touillant délicatement.
Laissez refroidir dans une pièce fraîche mais pas au frigo.
Achetez un pain de 4 livres.
Coupez de belles tranches et embeurrés les avec du beurre de baratte cru, salé ou non…
Étendez délicatement vos mojhètes.
C’est prêt.
Vous arrosez le tout avec un vin de Thierry Michon : par exemple le Rosé Reflets 2014 ou de Jean-Marc Tard : son rosé Le Paradis