Dans le marigot des parigots aimant la nature c’est le sans soufre qui tient le haut du pavé. La mention contient des sulfites est passée dans les usages (Etiquetage des vins tranquilles (Allergènes:/Mention obligatoire/Directive 2003/89/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 novembre ; Règlement (CE) n° 1991/2004 de la Commission ; Directive 2007/68/CE de la Commission du 27 novembre 2007 ; Article R. 112-16-1 du code de la consommation). En revanche, le sucre ajouté, la chaptalisation n’est pas vraiment un sujet qui passionne les cercles éclairés ou dit tels. Ceux-ci me rétorqueront que la chaptalisation étant pour eux une pratique contre-nature ceux qui font des vins au plus près de la nature n’y ont pas recours. Don’t act mais sans vouloir mettre en doute leur parole je note que, là où elle est autorisée, la chaptalisation peut être pratiquée sans que cela soit mentionné sur l’étiquette.
Dans la mesure où la chaptalisation est bonne pour le degré et n’est pas nuisible pour la santé, à quoi bon en informer le consommateur me rétorqueront les dirigeants de la viticulture allergiques à une complication supplémentaire (la chaptalisation doit déjà être déclarée). Ce n’est qu’une pratique œnologique traditionnelle là où le soleil n’est pas toujours au rendez-vous objecteront les partisans du statu quo. Certes mais sans vouloir mettre le doigt où ça fait mal le recours systématique à des demandes d’enrichissement de 1,5 à 2 % permet de sauver de la mauvaise monnaie et de mettre sur le marché des vins qui n’ont rien à y faire sauf à alimenter la machine à fabriquer des prix plus bas que bas. De partout j’entends monter l’écho de la nécessaire régulation, qui passerait par le contrôle du potentiel (droits de plantation) mais si c’est pour pousser les rendements et chaptaliser j’ai des doutes sur la sincérité des argumentaires.
Les mots ont tous un poids spécifique. Chaptaliser ses moûts c’est plus léger que de les sucrer, ça fait plus technique et pourtant comme le montre de façon très pédagogique cette petite fiche du Lycée Viticole de la Champagne c’est un jeu d’enfant link la « chaptalisation » j’en ai découvert les arcanes lorsque je suis arrivé à l’Office des Vins de Table en 1979. Elle n’était autorisée que dans les AOC septentrionales (une partie des Côtes du Rhône pouvait chaptaliser et pas l’autre, et c’est toujours le cas) et bien sûr c’était une pratique violemment contestée par le Midi de la France ce qui lui valait d’être un sujet politiquement sensible. Pierre Méhaignerie demanda donc au directeur de l’Office Pierre Murret-Labarthe de lui faire des propositions sur le sujet. Celui-ci, provocateur-né, bordelais d’origine, préconisa la suppression de la chaptalisation. Tollé de l’INAO présidée par un Bordelais Pierre Perromat et, comme de bien entendu, le courageux Méhaignerie en bon centriste adopta un compromis mou – sans jeu de mots – en accordant aux Vins de table le droit d’enrichir leurs moûts avec des MCR (mouts concentrés rectifiés) en compensation.
Lors de la négociation d’élargissement à l’Espagne et au Portugal, la Commission tenta en vain de supprimer la chaptalisation mais celle-ci fut sauvée grâce à l’Allemagne qui défendait son célèbre sucrage-mouillage. Avant d’en venir au présent de cette pratique rappelons pour les d’jeunes que c'est le chimiste, ministre de surcroît, Jean-Antoine Chaptal qui a théorisé ce procédé en 1801 à l'aide notamment des travaux scientifiques de l'abbé François Rozier, célèbre botaniste et agronome ; le but était d'augmenter le degré alcoolique des vins afin d'améliorer leur conservation. À cette époque en effet, les vins étaient rarement mis en bouteilles et ne se conservaient en cave que quelques mois. Chaptal l'a décrit dans un livre publié en 1801, L'art de faire, de gouverner et de perfectionner les vins.
Un détail d’intendance : lorsque je discutais avec la Confédération des Betteraviers, nos riches planteurs des plaines du Nord et du Nord-Est s’inquiétaient du devenir de la chaptalisation qui représentait un chiffre d’affaires non négligeable pour les sucreries. Le voisinage du Champagne, bon consommateur de sucre, facilitait le commerce. Dans le grand Sud, du côté de Carcassonne il y eut déjà à cette époque une affaire de valises pleine de billets destinés à l’achat de sucre que la police découvrit, comme toujours, grâce à une bonne dénonciation anonyme. Dans le département de l’Aude le clan des caves coopés et celui des caves particulières s’en donnaient à cœur joie.
La chaptalisation comme le soulignait encore la Commission Permanente de l’INAO du 7 juillet lors de son débat sur les orientations pour la fixation des conditions de productions de l’année 2011, « est une pratique exceptionnelle autorisée en cas de situation climatique défavorable, et que la richesse minimale en sucre de raisins doit refléter une maturité suffisante par rapport aux exigences de l’appellation ». Fort bien mais la lecture des arrêtés relatifs à l’augmentation du titre alcoométrique naturel des raisins frais et des moûts destinés à l’élaboration des vins (AOC+VDQS) ne traduisent guère cette pétition de principe. Le dernier connu, celui de la récolte 2010 du 15 avril 2011 publié au JO du 21 avril 2011 entérine une vision large d’une pratique exceptionnelle. Tous ceux qui peuvent y prétendre sont présents. Pour cette année, le Comité National de l’INAO du 28 septembre 2011 a renouvelé l’exercice avec la même ampleur. Voir copie du texte de l’arrêté ci-après.
Le centre de gravité de la chaptalisation s’est déplacé ces dernières années et il est au cœur même du système AOC où la pratique s’est quasiment institutionnalisée. Qui le sait à l’extérieur de l’institution ? Pas grand monde, c’est la boîte noire et l’omerta. Que la chaptalisation puisse se justifier dans certaines circonstances exceptionnelles, pourquoi pas ! Mais que ça devienne une rustine systématique pour ceux qui font pisser la vigne ne me semble pas relever d’une saine gestion et de notre potentiel et de l’image d’excellence de nos soi-disant vins de terroir. Notre crédibilité est en jeu et que l’on ne vienne pas m’objecter que c’est une mesure « sociale » pour sauver une partie de notre viticulture.
Le cas le plus baroque – c’est un euphémisme - de l’autorisation de chaptaliser est tout de même celui des vins liquoreux. Pour exposer ce dossier je reprends les écrits de Patrick Baudouin link
« Connaissez-vous le Père Cristal ? Figure vigneronne du début du XXème siècle à Saumur, laissons-lui la parole, en 1900 : « Ce que vous buvez là c’est du vin naturel. Il n’y a que le soleil qui puisse donner au vin cette qualité et cette saveur. Depuis 20 ans je ne cesse de le répéter à tous les grands seigneurs de la viticulture et à tous les vignerons de notre pays d ’Anjou.(..) Je lui ai dit (au ministre de l’Agriculture) que c’était une grande faute de tolérer le sucrage des vins. Le bon vin ne doit sa qualité qu’à la lumière du Bon Dieu ! Tolérer le sucrage, c’est amener bientôt la ruine de nos vignobles. Lorsque nos crus n’auront plus leur personnalité, lorsqu’on pourra fabriquer n’importe où un vin sorti du cerveau des chimistes, ce sera peut-être bon pour tes Anglais ou les Américains, mais nos pays seront ruinés ! Ils seront concurrencés sur les marchés du monde par les vignobles à gros rendements. »
L’Europe remet donc en cause le droit à la chaptalisation pour des liquoreux français réputés du meilleur niveau, les Layon, les Sauternes... De mon point de vue, c’est une très bonne chose, il est déjà inadmissible que la possibilité de « sucrer » des vins se voulant aussi prestigieux, se réclamant du terroir, de l’excellence, ait été maintenue jusqu’à présent dans leur cahier des charges.
Comme Antoine Cristal, nous sommes quelques-uns, depuis vingt ans, à répéter ses paroles aux « grands seigneurs de la viticulture », aux pouvoirs publics, à l’INAO, jusqu’à présent sans plus de succès. Pour ce qui est du Domaine, depuis le millésime 1994, aucun vin, qu’il soit sec, rouge, blanc, liquoreux, n’a été enrichi. Pour les vins liquoreux, la chaptalisation, pratiquée systématiquement, a été un désastre : mauvais vins lourds et indigestes revendiquant l’excellence, déception des consommateurs, image devenant catastrophique et véritable effondrement du marché, justifié. Espérons que sur ce point, l’Europe fera prévaloir son point de vue. Et que la viticulture française comprendra, même si on lui force la main, que c’est son intérêt... »
Pour finir sur ces histoires de sucre, je dois avouer mon peu de goût pour cet édulcorant : je ne sucre jamais mon café et chez moi le sucre en poudre est utilisé à dose homéopathique. Alors vous comprendrez que le sucre Béghin-Say dans le vin ce n’est pas ma tasse de thé. Alors vive le vin sans sucre ajouté !
texte de François CHIDAINE