Toutes les vaches du Taulier sont au pré, façon de parler, bien sûr, je suis enfin arrivé au bout de la tâche qui m’a été confiée voilà plus de 18 mois par mon boss le Ministre de l’Agriculture : retrouver à des éleveurs laitiers du Grand Sud-Ouest des entreprises pour collecter leur lait. L’avantage avec la République c’est que, même si le titulaire d’un poste ministériel change, les affaires continuent, façon de parler toujours. Je ne vais ni vous bassiner avec les détails de cette médiation, ni m’envoyer des fleurs car si je peux enfin poser mon sac c’est que j’ai rencontré des femmes et des hommes de bonne volonté pour faire ce qui devait être fait. Certes il a fallu du temps, de la patience, une part d’inconscience, ce je ne sais quoi d’optimisme qui vous fait croire qu’à tout problème il y a toujours une ou des solutions. Bref, c’est fait et même si je suis un peu vanné, je dois vous l’avouer je suis heureux.
Je n’ai pas écrit satisfait, mais vraiment heureux, très heureux, de l’issue favorable de cette mission qui sera sans doute l’une des dernières que j’aurai accomplie pour le compte de la maison que j’ai servi pendant un morceau de ma vie professionnelle. En dépit des incertitudes, de ce qui par moment me semblait insurmontable, de tout ce temps passé à attendre des réponses qui ne venaient pas, des tensions, de l’angoisse de certains producteurs qui venant aux nouvelles devaient se contenter de ma seule parole, des petits sourires de ceux qui attendaient que je me vautre, cette mission fut l’une des plus passionnante, des plus forte, des plus enrichissante de ma déjà longue carrière.
Pourquoi ?
Tout bêtement parce que je me suis pris en pleine poire la réalité et que je n’avais qu’un seul choix : l’affronter, faire en sorte que les intérêts des uns et des autres convergent vers une solution. Sans tirer de conclusions définitives, générales, sur ce qui pourrait n’être considéré que comme un cas particulier, j’ai pu prendre le pouls de ce fameux terrain dont nos dirigeants, comme leurs opposants, disent qu’ils sont à l’écoute de ses aspirations. Je n’en doute pas bien sûr, mais ce dont je suis sûr c’est qu’à la fois ce qui leur remonte, et les canaux par lesquels transitent leur perception, ne leur permet pas de s’atteler à la mise en œuvre de réelles solutions. Chacun est dans son rôle, sa posture, ses à priori, ses contradictions, et Dieu sait si le jeu social est friand de la complexité, de l’ambiguïté et des discours à géométrie variable.
À ma toute petite échelle, sur mon micro-cas, n’ayant à ma disposition ni carotte ni bâton, je me suis efforcé d’utiliser ce qui fait souvent défaut dans les enceintes officielles de représentation et de négociation, la confiance et le respect des contraintes des parties en présence. Je suis un obsédé du lien social, et malheureusement dans notre pays il est souvent distendu. Bref, mon petit voyage au pays des vaches qui m’a fait toucher cette France des gens qui tiennent le territoire, de ces entreprises qui dans le secteur laitier sont pour quelques-unes de taille mondiale, de ce qui fait que notre pays dans la fameuse mondialisation n’a pas que des handicaps mais aussi ses atouts. Parmi ceux-ci les hommes et c’est cette richesse qu’il faut cultiver avec soin. Tout le monde en parle mais que fait-on réellement pour que ce patient travail de remaillage soit une réalité ? Entre les grandes stratégies des états-majors d’entreprise, les visions législatives des Ministres, les grandes négociations à l’échelle de l’UE, de l’OMC et des grands blocs mondiaux, il y a aussi la place pour l’explication : ne pas se payer de mots, dire les choses telles qu’elles sont au risque de déplaire.
Je me laisse entraîner par mon prêchi-prêcha alors que je m’étais dit que j’allais vous offrir une toute petite chronique, comme ça, pour marquer le coup. Ce qui me ferait vraiment plaisir serait de vous inviter, chers lecteurs, à boire un coup, entre nous, pour arroser ça. Mais vous êtes loin, éparpillés dans la France profonde et même au-delà. Bien sûr j’ai toujours plaisir à croiser certains d’entre vous à l’occasion. Merci de m’avoir aidé, à votre manière, en étant d’une fidélité inoxydable à mes chroniques bi-journalières. C’était d’une certaine manière ma thérapie pour fortifier ma patience, et Dieu sait que je ne le suis guère même si, l’âge aidant, je le suis un peu plus qu’avant.
Enfin, sans les nommer ici je remercie les fonctionnaires, à tous les niveaux, qui se sont mobilisés pour m’aider, qui m’ont suivi sur des chemins qui, au départ, n’étaient pas forcément ceux qu’ils avaient coutume d’emprunter, qui m’ont supporté dans tous les sens du terme. Nous avons de bons fonctionnaires, motivés, qui ne demandent qu’à faire, qu’à bien faire, encore faut-il les placer dans des conditions où ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes. Ce fut pour moi un grand plaisir de travailler avec eux. Merci à eux. De même, dans certaines des entreprises, j’ai rencontré des personnes de qualité qui, à leur niveau, m’ont permis de boucler ce dossier : grand merci aussi à eux. Mais, et je l’ai gardé pour la bonne bouche, tout ce chemin n’aurait pu être parcouru par votre Taulier si, dès le départ de sa mission, une personne au cabinet du Ministre ne lui avait pas fait toute confiance en dépit de ses manières de faire et de rendre compte pas toujours très orthodoxes. Merci Véronique Solère de m’avoir permis de vivre ce qui ne fut pas pour moi une expérience mais un vrai morceau de vie, de la vraie vie.