Jusqu’à ce jour béni où il acquit*, pour la modeste somme de 12,90€, « Le vin pour ceux qui n’y connaissent rien » de Miss Glou Glou, pour votre Taulier bien aimé le Neiman était un dispositif antivol installé sur la colonne de direction de sa petite Twingo, le genre de truc sophistiqué comprenant 75 pièces différentes miniaturisées, inventé en 1931 par l'industriel Abram Neiman qui créa une entreprise autour de cette invention qu’il popularisa après la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui Neiman appartient au groupe Valeo.
(*) L’acquisition de l’opus de la Miss s’est apparentée à un parcours du combattant dans une rizière de la vallée du Mékong. D’abord je me suis dit un peu feignasse : Amazon, il sera dans ma boîte demain sauf que pour une fois les ricains m’annonçaient un délai de 10 jours style PTT des années 60. Alors je me suis rapatrié sur le site de la FNAC pour voir si le Neiman y était. Bonne pioche mais vu le délai français j’ai pédalé jusqu’à la rue de Rennes. Là, queue de chique : un gentil employé me dit qu’il n’est ni en stock, ni en rayon. Bon alors direction l’Écume des Pages Bd St Germain : rien ! Repli sur la rue des Écoles chez Compagnie où une nana genre porte de prison non révisée me signifie que la librairie ne distribue pas la collection l’Étudiant. Je grogne qu’à 2 pas de la Sorbonne c’est étonnant. La grognarde me lâche en partant « allez donc chez Deyrolles c’est tout près… » Il pleut des cordes ! J’affronte car mon blouson à une capuche et me voilà chez Deyrolles au milieu de bouquins savants et techniques. J’suis au bord de l’épuisement. Je sors et face à moi s’offre un autre Deyrolles art de Vivre. Je m’y rue ! Je m’ébroue et fébrile je plonge dans les piles. Putain s’ils ne l’ont pas je fais la grève de la faim ! Je fouine et soudain, juste derrière l’opus de Myriam Huet, coincé entre un gros bouquin prétentieux dont je tairais le nom et un livre de cave le voili, le voilà, le bouquin d’Ophélie. Je paie le prix syndical. Dehors les seaux d’eau cessent d’asperger la chaussée. Je remonte la rue Saint-Jacques tout guilleret : oui je l’ai mon Neiman…
Bonne transition pour vous avouer que depuis cet achat, dont l’héroïsme ne vous a pas échappé, sous la robe satinée – terme de dégustation bien sûr – de miss Glou Glou le Taulier a découvert le charme d’une jeune femme Ophélie Neiman « au sourire ravageur car c’est une croqueuse de tanins. Avec elle jamais de pépins, même pas besoin d’être un nez fin pour comprendre et apprécier le vin. » Bien sûr je ne fais que reprendre ici les termes louangeurs du Communiqué de Presse envoyé, par l’attaché de presse de son éditeur, par porteur. Trêve de baratin, Ophélie je la connais depuis un petit bail, depuis elle ne crache plus le vin au resto et je ne lui ai jamais fait le coup de m’extasier sur son prénom dans le style du mec qui ne cite pas ses sources « t’es pas la fille de Polonius, le chambellan et conseiller du roi, dont Hamlet est amoureux… » ou plus encore celui qui étale sa culture comme de la confiture en lui faisant le coup du mythe d'Ophélie, qui est toujours représentée au clair de Lune, avec des fleurs, sa chevelure et sa robe étalées autour d'elle, flottant sur l'onde, paisible, semblant plus endormie que morte, comme le notait le bon vieux philosophe Gaston Bachelard.
Bref, même si je suis, comme toujours, un peu long en bouche – terme de dégustation bien sûr – vous aurez tous saisi que pour moi aujourd’hui : un Neiman c’est le nouveau bouquin d’Ophélie. Je puis vous l’assurer – j’ai un petit côté AXA – rien de plus sûr pour débloquer les esprits rétifs aux joies du jaja qu’un bon petit Neiman de derrière les fagots.
Bien sûr comme les carabiniers d’Offenbach j’arrive un peu après la bataille.
Nous sommes les carabiniers / La sécurité des foyers /Mais par un malheureux hasard / Au secours des particuliers / Nous arrivons toujours trop tard.
En effet ce livre, au titre provocateur « Le vin pour ceux qui n’y connaissent rien » sitôt sorti des presses a déjà été encensé, porté au pinacle, et même proposé au Goncourt, par l’un de mes éminents et forts compétents confrères de la blogosphère : le sémillant Nicolas de Rouyn.
Face au dédain d’Ophélie, lors d’un déjeuner très chic, avec de la musique et la lettre de Lucullus à Sénèque déclamée par un Weber très enveloppé, je lui lançais au-dessus de la table : « Et moi dans tout ça Ophélie je sens le gaz ?»
Réponse de la gredine – pas grenadine, même si Ophélie dégoupille vite – jeune mariée, « je n’ai pas osé te l’envoyer… ». Ce passing-shot de revers aurait pu me laisser cloué sur ma ligne car il est vrai que je m’étais étonné en son temps, voire même offusqué, de l’envoi du livre de Denis Saverot m’assimilant à la peuplade des Nuls.
Mais, tel un Roger Federer au mieux de sa forme, avec élégance, loin d’accepter ce joli mensonge, fleurant bon les parfums de fleurs blanches, très marqué petits fruits rouges avec une pointe d’acidité et une belle tension, je relançais le long de la ligne.
Qu’est-ce à dire chers lecteurs ? Tout simplement sachant notre Ophélie point du tout craintive, même assez culottée, je décidai de lui retourner le compliment en achetant son opus accouché dans les cris et la douleur, selon elle.
En effet, quoi de plus probant, pour le vieux Taulier que je suis, genre laboureur rassemblant ses enfants autour de sa couche, que de soutenir le dur labeur d’un (e) auteur(e) en alimentant ses droits d’auteur. À bon compte le Taulier se la joue magnanime, tuteur il soutient la croissance des jeunes pousses.
Suite à cette magnifique séance d’autopromotion il ne me restait plus qu’à lire mon Neiman !
Ce que je fis dans mon lit et je ne me suis même pas endormi. Bien au contraire je me suis dans ma petite Ford intérieure : « quand t’étais petit mon ami t’aurais bien aimé avoir le p’tit bouquin d’Ophélie en mains pour y connaître quelque chose sur le vin. » Ton premier vin fut la piquette du pépé Louis pleine de fleurettes que tu allais tirer à la barrique dans une cave sombre pleine de toiles d’araignée. Avec de l’eau fraîche ça avait son charme mais le premier vin commercial tu as acheté, une fois marié, c’était un VDQS Saint Georges d’Orques rue de Tolbiac. Bon, tu ne vas pas continuer de nous raconter ta vie ce serait chiant. Mieux vaut pour vous goûter au plaisir des notes de lecture du « NEIMAN » qui déverrouille les neurones gustatifs de nos ignares têtes blondes.
L’objectif d’Ophélie est affiché d’entrée : « Ce petit livre vous donnera les bases pour bavarder avec un vigneron ou un sommelier, les mots pour briller en société, l’assurance d’un roi pour choisir un vin sur une carte. En bref, il vous conférera la classe internationale devant un verre. »
Ça me met très à l’aise pour vous parler de ce petit livre car je ne parle jamais de vin avec qui que ce soit, avec les vignerons je cause politique ; je ne cause jamais aux sommeliers car je me contente de les écouter ; en société je me contente de parler aux filles de tout et de rien et surtout pas de vin ; au restaurant y’a belle lurette que je me suis déchargé de la lourde tâche de choisir le vin, le plus souvent je me contente de faire la synthèse des opinions en présence. Bref, j’ai avec le vin des rapports si intimes que je n’éprouve nullement le besoin d’évoquer en public leur longueur, leur bouche tendue ou leur finale épicée. Pour autant j’ai toujours plaisir à écouter les vrais et grands dégustateurs, dont je tairais les noms pour ne pas m’attirer les foudres des autres, ça me repose.
Le format du livre 12,5x17,5 est excellent car il peut facilement se glisser dans sa poche ou dans un sac si pour les mecs, comme le Taulier, vous en utilisez un, pour les filles c’est la règle sauf qu’elle n’y trouve jamais ce qu’elle y cherchent.
La présentation est claire sur la base d’un découpage en 4 parties :
- Je ne sais pas quoi dire (4 chapitres)
- Je n’y comprends pas grand-chose (8 chapitres)
- Je choisis au pif (3 chapitres)
- Je crée ma cave (3 chapitres)
Sur le fond, même si je ne suis pas un grand spécialiste de la question, Ophélie est concise et précise pour expliquer les bases de la dégustation, répondre avec franchise et humour à des questions du type « Et si je n’aime pas je dis quoi ? », à donner des conseils pour confier ou cacher son ignorance à un vigneron ou à un caviste ou mieux encore apprendre à relativiser l’exercice dégustatif. Pour la partie la plus classique, là aussi, Ophélie s’acquitte avec beaucoup de talent dans la synthèse – le format ne permet guère la dilution habituelle des grands experts qui nous assomment – afin que ceux qui n’y connaissent rien assimilent les fondamentaux.
L’objectif est atteint donc le petit NEIMAN constitue un bon ouvrage de référence à offrir à votre jeune cousin qui quitte sa maman pour se mettre en couple, à votre fiancé des deux sexes juste avant de passer devant le maire, à votre copine qui ne fait que vous prendre la tête avec le Pinot Noir parce qu’elle a beaucoup aimé Sideways ou à votre beau-père bobo qui ne jure que par Mondovino, soit à toute personne de tout âge, de toute condition, attention aux religions, qui soudain pris par la grâce souhaite entrer dans le cercle très fermé des amateurs de vin. Le livre d’Ophélie est consensuel, elle ne joue pas dans la cour de ceux qui sont dans un camp contre un autre ou qui ne s’en tienne qu’à la vulgate dominante : hors de leur chapelle point de salut ! C’est heureux car les néo-consommateurs n’ont que faire des empoignades entre ceux « qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas… » Bien sûr, votre Taulier qui n’aime rien tant que chatouiller la plante des pieds des gens en place, aurait aimé que parfois Ophélie mette un peu plus son grain de sel personnel mais, comme elle est une jeune auteur (e), toute nouvelle dans l’univers impitoyable du vin, attendons sans impatience ses futurs écrits.
Pour l’heure citons-là dans son style bien enlevé « Ah, l’angoisse des immenses rangées de bouteilles, sous l’œil soupçonneux du propriétaire des lieux ! Il y a des cavistes qui font frémir. Entre nous, c’est plus facile d’acheter des chaussures, oon sait en un seul coup d’œil si on les aime ou pas. Impossible de se tromper entre un mocassin en cuir verni et une basket. Après il faudra quand même essayer. Pourtant ce n’est pas si différent. Normalement un bon caviste vous posera quelques quelques questions. Vous n’avez rien à craindre, ce n’est pas un test de connaissance. Le but est de vous guider dans votre choix. Pour que vous ne repartiez pas avec des mocassins vernis pour faire du footing, justement. »
Ophélie est maligne, lorsqu’elle aborde les grandes questions existentielles du vin : « C’est quoi un bon vin ? » ou pire encore « C’est quoi un grand vin ? » elle dégaine son spécialiste.
Denis Dubourdieu « Un bon vin procure presque les mêmes sensations qu’un grand vin ; il est seulement beaucoup moins cher et prestigieux. À l’aveugle, le bon vin n’est pas facile à distinguer du grand. L’amateur, même averti, peut s’y tromper {…} Les bons vins sont difficiles à produire parce que leurs coûts de production sont les mêmes que ceux des grands et leurs prix beaucoup plus bas. » Autrement dit, c’est aussi une bonne affaire, mais ne vous sentez pas obligé e » le clamer à vos convives. Ça c’est Ophélie qui le dit.
Pierre Guigui « Un grand vin, c’est d’abord culturel, il n’y a pas d’universalité. Un grand vin est une référence historique et culturelle, qui se situe au-delà de la dégustation. C’est un icône, comme la Tour Eiffel, c’est beau parce c’est communément admis. Mais personnellement, un grand vin est pour moi singulier : il raconte quelque chose au-delà de l’histoire du vignoble et il est différent des autres. Je pense par exemple à Mas Jullien dans le Languedoc. La vigneron a une approche personnelle du terroir : il cherche à être en harmonie avec son travail, mettre en avant le geste et l’intention, avant le résultat. C’est la différence entre une peinture chinoise faite à la main ou imprimée. Finalement, je préfère ce qui est beau et soigné à ce qui est bon » là Ophélie n’ajoute rien elle doit être d’accord.
Ce petit livre d’Ophélie, le NEIMAN quoi, et vous savez combien j’aime les petits livres, est un pur produit de ce que la Toile, la blogosphère, peut produire de meilleur en direction des non-initiés. Ophélie avec son côté primesautier balise le chemin qui mène à une vision du vin décomplexée, ludique, sans affèterie et elle œuvre, bien plus efficacement que beaucoup de grands critiques, à l’extension du domaine du vin. En ouvrant des petites fenêtres sur un monde inconnu, adorant le quant à soi, la congratulation entre soi, Ophélie fait passer un souffle de fraîcheur salutaire. Demain je rebondirai sur la nécessaire popularisation de la connaissance du vin en tentant de mettre en perspective l’un des outils de celle-ci : la dégustation.
PS. AVIS aux libraires : pour qu’un livre soit acheté chez vous encore faudrait-il qu’il soit bien distribué et mis en valeur, sinon le développement des achats sur le Net va vous couler…