Non, non je n’ai pas oublié le Beaujolais mais le temps m’a manqué. Mais c’est justement du temps qu’il faut donner à ce vignoble pour qu’il prenne au mieux le grand virage qu’il a commencé d’amorcer. Profitant de ce que les mois d’été, août en particulier, laisse du temps pour lire je vous propose quelques trouvailles dénichées chez un bouquiniste des quais de la Seine. Le livre a été publié en 1989, moi à cette époque je sortais de passer 3 années à la SVF de Gennevilliers et le Beaujolais Nouveau je connaissais...
Lecture passionnante je puis vous l’assurer.
« Cet homme est savoureux ! Né en 1904 au sein d’une famille vigneronne ancrée à Charmelet, Beaujolais-sud, depuis 1732, Louis Bréchard, dès les années 1960 et jusqu’à sa retraite récente (note personnelle il est décédé le 18/09/2000, il a été député Indépendants&Paysans, le parti d’Antoine Pinay du 30/11/1958 au 09/10/1962), a véritablement incarné le beaujolais. Ce replet agile, grand comme Napoléon, allure de chanoine gourmand, regard narquois embué d’indulgence, a passé sa vie à défendre le vin chéri du pays natal, en amont contre le laxisme du vigneron saisi par la grosse tête, en aval au bénéfice du consommateur candide qu’il fallait honnêtement informer. Devenu nonce itinérant de l’Eglise Beaujolaise Universelle, il a par son charisme à l’éloquence rocailleuse et charnue, mérité le totem affectueux de Papa Bréchard !
Sillonnant le monde, verre de pèlerin en main, pour les pédants des papilles qui goûtent avec la tête autant qu’avec le bec, il reste au beaujolais ce que fut la madeleine de Proust. Et pour tous, simples usagers ou fanas de la dalle en pente, il a été l’image du beaujolais qui est aussi une certaine image de la France. Peut-être pas la plus émouvante mais à coup sûr la plus fraternelle, la plus réjouissante et d’une rare efficacité. Un modèle pour les troupes guindées du Quai d’Orsay qui gagnerait à recruter dans le vignoble. Papa Bréchard ? Nul mieux que lui ne parle du primeur qu’il a largement aidé à percer. Papa Bréchard c’est pépé-Primeur ! [...]
C’est maintenant Papa Bréchard qui parle :
« Mais revenons à nos feuillettes. Longtemps, nos vins ont pu se contenter de n’être que de bons petits vins faits pour la carafe et le café. Sensible au charme « écologique » eu barriquaillage qui lui donnait la promesse d’un vin authentique de vrai vigneron – en direct du producteur au consommateur – la clientèle, essentiellement locale, pardonnait la faiblesse ou la rusticité de ce beaujolais de bonne franquette. Par exemple je me souviens de vin livré dans la précipitation et qui démarrait sa « malo » au comptoir, cette malo dont on ne savait pas grand-chose alors, sinon qu’elle faisait un temps le vin revêche et amer, quasi imbuvable et que l’on appelait seconde fermentation. Eh bien, personne ne se fâchait, on supportait cet avatar provisoire avec constance, comme une maladie infantile, la rougeole ou la varicelle, dont le vin sortirait plus fort et meilleur qu’avant. Essayez donc maintenant d’écouler du beaujolais qui n’aurait pas fait sa malo !
Avec la mise en place progressive du négoce qui a considérablement élargi les zones de diffusion de nos vins, mais aussi gommé le folklore, la clientèle frustrée de barriquaillage pittoresque, a retrouvé le goût juste et sans indulgence, elle exigé du primeur mieux élaboré, plus étoffé. Bon gré mal gré le vignoble a suivi pour le plus grand bien de tous. Les vignerons décidés à faire du primeur, ou ceux qui n’avaient pas de meilleure alternative – je pense surtout aux miens, ceux du Sud – se sont appliqués. Ils ont démontrés, nonobstant les tentatives ultérieurs d’autres vignobles attirés par la poule aux œufs d’or, que l’association terroir beaujolais/gamay noir à jus blanc, donnait par vocation et quand on le voulait bien, le meilleur primeur rouge du monde, souvent imité, rarement égalé, jamais dépassé et croyez-moi, c’est pas de la réclame mensongère...
On fit tant et si bien que le primeur est, en quelque sorte, devenu une appellation officieuse dans l’appellation beaujolaise. Conséquence plaisante, Chiroubles, Brouilly, tous les crus ont pu dans l’esprit du consommateur, se démarquer du simple label beaujolais puisqu’ils ne font pas le vin en primeur, prendre leur essor, s’imposer comme beaujolais haut de gamme porte-drapeaux de l’appellation. Conséquence plus préoccupante pour les beaujolais et beaujolais-villages classiques, coincés entre la notoriété universelle des primeurs et des crus. Sans image de marque précise, pour eux la partie se compliquait, elle l’est toujours hélas, et de plus en plus au fur et à mesure que le primeur gagne des parts de marché. » [...]
Papa Bréchard, l’homme de la conquête, l’artisan le plus populaire du Beaujolais primeur dresse un tableau impressionnant :
« En 1960, nous faisions 40 000hl de primeur, à peine 10% de la récolte, mais une idée mûrissait, suscitée par le succès du meilleur Pot, celle de lancer le primeur en faisant du 15 novembre la Fête Nationale di vin nouveau, une sorte de 14 juillet vinicole, avec en guise de Bastille à prendre, la bouteille de beaujolais-nouveau partout présente, et en guis d’objectif, 100 000 hl de primeur annuellement. Une idée qui s’est révélée fabuleuse, jaillie de conversations auxquelles assistait en les animant, le « jeune » Gérard Canard, engagé comme secrétaire et vite devenu directeur de l’UVIB. C’est lui qui, à mon avis, avec sa conviction contagieuse, ses relations, son sens inné de la propagande, a conçu, permis et réussi le grand lancement. En 1968, année de grands lancements, si vous vous souvenez. Du côté négoce, Duboeuf et quelques autres ont aussi foncé. A partir de 1968, le primeur a commencé de submerger le monde.
100 700 hl soit 17% des 607 000hl de la récolte 1970.
576 000hl soit 53% des 1 039 675 hl de la récolte en 1986.
Cela donne le vertige, il faudrait bien se fixer des limites. Quand on pense aux rendements, grimpés des 25hl/ha de ma jeunesse aux 66 hl/ha moyenne courante actuelle... un jour on nous critiquera la qualité, et on aura raison. Même les progrès de la viticulture, de l’œnologie ne permettent pas de tels rendements sans qu’on fasse pisser la vigne. Elle risque de se venger. Ah, les jeunes de maintenant disent tous : diminuons les rendements au profit d’une meilleure qualité. Bravo ! Mais au moment de vendre, ils exhibent deux beaujolais et prétendent vendre plus cher le bon et moins cher le moins bon. En somme ils produisent deux sortes de beaujolais. Eh bien moi je leur dis qu’il ne faut pas démolir l’image de marque du beaujolais que nous leur léguons : un vin populaire, accessible à tous et rudement bon. Pas de beaujolais primeur à deux vitesses, l’un cher et savoureux, l’autre médiocre et bradé. Que les commissions d’agrément fassent leur boulot et il n’y aura que du bon, bien typé et vendu un bon prix. Pour la sophistication du vignoble, pour ceux qui veulent se faire plus grand qu’un bourgogne, il y a les crus, nos champions qui s’y emploient, souvent avec bonheur. La preuve, un Moulin-à-Vent coûte 80% de plus qu’un beaujolais-village, le Juliénas 40% de plus que le Quincié. Là c’est justifié !
Le beaujolais n’est pas un produit industriel, et le vigneron beaujolais ne gagnera pas son argent en jouant sur la quantité. Voilà, c’est mon conseil, peut-être le dernier, à mes successeurs. »
Tiré du livre de Georges Duboeuf « Beaujolais vin du citoyen » par Henri Elwing chez JC Lattés
Vous pouvez commenter !