Au sens de nos régions administratives – celles pour qui nous votons ce jour, du moins ceux qui n’ont pas oublié qu’un bulletin de vote vaut mieux que le bruit des bottes – fruit d’un pur compactage départemental faisant fi de l’histoire, la réponse est non. Le nouveau Connétable de Bourgogne qui sortira des urnes, et qui ne sort pas de Sciences Po parce qu’il est véto : sacré François – pas le Débonnaire qu’a un faible pour les GCC mais qui commence à mettre son nez dans le Beaujolais – devra jeter un pont en direction de ce Lyon qui, comme le dit, Bernard Pivot a trahi son vieil amour au profit du Côte du Rhône par pure jalousie du temps où « le beaujolais nouveau flambait à Paris ». Mais n’anticipons pas, je prendrai ma plume en temps voulu pour interpeller les fraîchement élus – les Languedociens ne vous marrez pas je n’ai pas écrit frèchement.
Face aux difficultés présentes des vignerons du Beaujolais ma question peut paraître bien dérisoire, anodine. Pas si sûr mes chers lecteurs car il faudra bien, en dépit des débiteurs de ya ka, mobiliser les énergies et des moyens pour accompagner la grande mutation des vignerons du Beaujolais. En effet, il est facile de conseiller la rigueur aux autres, de trier d’une belle main qui se contente d’écrire le bon grain de l’ivraie, de se faire le comptable des fautes des uns et des autres, de dire que les meilleurs s’en sortiront mais à propos qu’elle était la question posé par mon petit gars du Beaujolais ?
Moi je ne suis pas là pour pondre un « nouveau putain de rapport» mais seulement pour tenter d’aider. Faudrait quand même que certains sortent le nez de leurs verres et aillent trainer leurs guêtres même chez ceux qui se sont contenté de produire du raisin. Ou bien il ne faut pas pleurer sur les vignes arrachées et se contenter de verser des larmes de crocodiles sur la détresse de certains. Devant le vin y’a des vignes et dans les vignes il y a des hommes. Se colleter à la pâte humaine c’est d’abord l’accepter telle qu’elle est. J’ai déjà « eu fait » dans les salles des fêtes des Aspres ou des Fenouillèdes, dans les mairies de Charente et de Charente-Maritime et croyez-moi, chers confrères, y’avait là une flopée de braves gens qui méritaient mieux que des leçons. Comprendre n’est pas brosser les gens dans le sens du poil mais aller sur leur terrain pour tenter de les convaincre. Quand aux consommateurs ça n’est pas leur problème j’en conviens aisément mais, soyons honnêtes, le % d’entre eux qui nous lit ou attend nos avis étant aussi mince que la taille d’un top-modèle, prendre leur défense prête un peu à sourire. Le gros de la troupe qui pousse son caddie, qui n’intéresse guère les plumitifs du vin, fait ce qu’il peut avec ce qu’il a et il faudra bien un jour s’intéresser d’un peu plus près à lui.
La qualité des commentaires venus de la « base » m’ont convaincu que, même si le chemin que je prenais était ardu, je n’avais pas eu tort de m’y aventurer. Comme je l’ai écrit j’irai à mon rythme et ce matin je vous propose de lire un beau texte qui répond à la question posée en titre de cette chronique dominicale.
« Beaujolais ! Le joli nom pour un joli vin. Le vin ravit le palis, le nom flatte l’oreille. Créons pour lui un dicton :
Beaujolais,
Doux à l’oreille, doux au palais.
Le Beaujolais est-il bourguignon ? Nous avons vu soutenir la nécessité de sortir de cette étroite et ingrate prison qu’est une province limitée avec trop de parcimonie. D’ailleurs, pour le Beaujolais, la coutume a fait justice de l’arbitraire qui a réduit l’ancienne Bourgogne à trois départements. Pour avoir la certitude que le Beaujolais est bourguignon, il n’y a qu’à regarder ceux qui le font, Bourguignon de la tête aux pieds.
La contrée est traversée par les Monts du Beaujolais. Ils s’avancent en cap dans la vallée de la Saône, dominent d’avenants paysages et, par les collines du Charolais, se relient au plateau de la Côte d’Or. La surface générale des vignobles présente un vaste plan incliné descendant de petites montagnes dont les flancs s’abaissent vers la Saône. Ce plan est formé de mamelons et de ravins au fond desquels courent des ruisseaux à lits de torrents, bordés d’arbres, de buissons, de grasses prairies. Les vignes fleurissent sur les parties les mieux exposées au midi et à l’est. Elles occupent les plateaux des étages supérieurs des collines mais à mesure qu’on s’élève vers les crêtes de la chaine dominante les vignes deviennent moins continues, les prairies plus nombreuses.
Le beaujolais proprement dit s’applique à l’arrondissement de Villefranche et produit les vins les plus fins. Le Mâconnais vient ensuite, qui s’applique à l’arrondissement de Mâcon.
Le Gamay est, dans le Beaujolais, le cépage des premiers crus. Dans la Côte d’Or, producteur abondant, il abdique toute prétention : il en va autrement dans cette province. Lui apportant tout ce qu’il a de corps et de chaleur, il a fait avec elle un véritable mariage d’inclinaison. Union fut rarement plus féconde ni ne donna, au pays des vins, plus remarquable postérité. Comptez leurs beaux enfants : Moulin-à-Vent, Chénas, Brouilly, Morgon, Juliénas, Fleurie...
Une bouteille de Fleurie est d’un commerce infiniment agréable. Et l’on a vu, tant il a l’éloquence entraînante, aux repas où il fut servi, les bonnets s’envoler sur les ailes de l’insidieux Moulin à Vent.
On entre dans le Beaujolais tout de suite au sortir de Mâcon par Solutré. On laisse, à gauche, le vieux château de Saint-Léger qui domine la route des Allemands – où le souvenir ne s’est pas perdu de ces mercenaires requis par les divers partis, au temps des guerres civiles, et pour lesquels <mâcon, afin de payer leur solde, dut engager sa vaisselle d’argent.
Solutré découpe à l’horizon, où il s’avance en promontoire, son rocher caractéristique. L’histoire lui doit moins peut-être que la préhistoire. Des civilisations successives y ont passé. Elles y ont laissé leur trace, non leur secret.
A quel âge du monde appartenaient les plus lointaines, et lequel de ces peuples y planta la vigne ?
Si Solutré a son cru, Pouilly, du même lieu, a le sien ; mais il a perdu son ancien château dans la querelle des ducs qui a fatigué si horriblement le pays. Pouilly, dont on répète le nom évocateur avec un si grand plaisir, ne serait plus qu’un souvenir a peu près effacé, sans la finesse de ses vins, d’une si franche couleur d’or, d’un fruit si agréable, qui ont été placés dans les premières classes des vins blancs.
C’est à Thorins-Romanèche qu’est le centre des vins fins du Beaujolais. Le vignoble commence au pied de l’antique village dont le nom, Romanèche, est un écho romain. Il s’étend sur les plus larges flancs des coteaux aux rampes adoucies. Au milieu, sur un plateau circulaire, se dresse un moulin. L’étudiant de Gustave Nadaud disait dans la « Lettre à l’étudiante » : « Cela tourne à mourir de rire, on n’a jamais bien su comment.
Celui-ci ne tourne plus. Un jour d’orage, il a même laissé emporter ses ailes inutiles.. Tout rond, drôlement coiffé, avec un cœur dont le tic tac est mort, il est resté planté sur son affleurement de roches granitiques. Il n’y est plus qu’une enseigne : c’est, pour le touriste, le moulin à vent du « Moulin à Vent ».
Texte de Georges Montorgueil et dessins d’Armand Vallée in Monseigneur le Vin livre Troisième. 1926