Chers lecteurs je propose à votre lecture cette tribune publiée dans le Monde du 27 juillet par le Directeur général du grossiste Metro Cash&Carry France. Il me semble intéressant à méditer tout particulièrement par les gens du vin. Il ne vous est pas interdit de faire des commentaires avant ou après votre sieste.
Ce n’est pas l’interdiction de fumer qui met en péril les cafetiers, mais la standardisation
Pascal Gayrard Directeur général du grossiste Metro Cash&Carry France
Les cafés boivent la tasse, trinquent, prennent l’eau… »
Depuis quelque temps, les journaux, alertés par un tout récent rapport du Senat constatant la disparition de plus de 150000 d’entre eux en quelques décennies, rivalisent d’imagination pour prononcer l’éloge funèbre
De nos chers bistrots « à la française »
Aveyronnais, né dans ce milieu puisque mes parents tenaient un café, et aujourd’hui directeur général en France de Metro Cash &Carry France, grossiste au service des professionnels (dont les cafés, bars), je suis certes touché par ces témoignages de sympathie à l’égard d’une profession durement éprouvée et en réel danger si elle ne réagit pas rapidement.
Mais, de grâce, ne nous trompons pas de diagnostic, au risque de préconiser les mauvais remèdes! Non, la disparition progressive dont la presse se fait l’écho n’est pas due d’abord a l’interdiction de fumer dans ces établissements, ni même à la crise économique! Non, le remplacement du troquet du coin si convivial par une agence bancaire n’est pas une fatalité ! Il est temps, je crois, de rétablir un certain nombre de vérités.
A commencer par celle-ci : la fréquentation et le chiffre d’affaires des cafés ont commencé à baisser inexorablement bien avant l’entrée en vigueur de la loi antitabac et la crise économique, même si l’une et l’autre ont évidemment eu leur incidence.
En fait, pour cette profession, si ancrée dans le paysage culturel français et pourtant aujourd’hui menacée de disparition, il s’agit bien d’une crise d’identité doublée d’une crise de son savoir-faire. Certes, les Français restent majoritairement très attachés aux cafés traditionnels. En effet, selon une étude que nous venons de mener avec BVA, 82% d’entre eux les plébiscitent par rapport aux établissements franchisés. Mais le fameux bistrot du coin se meurt de s’être laisse dessaisir de son indéniable compétence au profit d’autres professionnels mieux organisés – enseignes, chaines…
Facteur aggravant: peu de fournisseurs des cafetiers ont anticipé l’aide qu’ils pouvaient leur apporter dans cette conjoncture difficile, et certains ont préféré se tourner vers les chaines, privant ainsi les cafés-bars de l’organisation et de la logistique nécessaires pour rebondir. Dans cette période d’adversité, certains cafés ≪à la française≫ ont aussi perdu leur âme. Décor ≪BCBG≫, ambiance pub, lumière tamisée ou psychédélique et profonds canapés club ne remplaceront jamais pour les consommateurs de tous âges, la qualité d’un ≪plat du jour≫ bon marché, le goût d’un bon café noir, la saveur d’un sandwich de pain frais ou d’une vraie pression servie ≪sans faux col≫.
Ce métier s’est fait voler la qualité d’un expresso par des fabricants de machines ou celle d’un ≪ jambon beurre ≫ par les rayons produits frais des grandes surfaces. Quant au traditionnel≪plat du jour≫, blanquette de veau ou petit salé aux lentilles, le voilà qui disparait au profit des formules proposées par les fast-foods!
Nul doute que même les jeunes consommateurs apprécieraient de retrouver, dans un authentique ≪bistrot ≫, la valeur sûre d’une cuisine familiale à un bon rapport qualité-prix, pour peu qu’on leur offre également l’accès a Internet ! La preuve que ce retour en grâce du café traditionnel est possible est d’ores et déjà faite.
Et, en misant sur ces valeurs sures, en sélectionnant mieux leurs fournisseurs, les cafetiers ont réussi à doubler ou tripler leur chiffre d’affaires. C’est au prix de cette exigence et de ce ≪savoir-faire≫ retrouvés que le café traditionnel dont le rôle positif en France n’est plus a démontrer, tant sur le plan de la mixité sociale qu’en termes d’aménagement du territoire, pourra redorer son blason et même retrouver une nouvelle jouvence.
Arrêtons de tirer sur l’ambulance en ne faisant que des constats, et arrêtons d’assimiler un peu trop facilement ≪bistrot du coin≫ et alcool, au même moment où il est si facile d’acheter ce même alcool dans les stations-service.
Au contraire, j’aimerais bien voir de nombreux fournisseurs se mobiliser comme nous le faisons pour laisser aux cafés leur indépendance en leur apportant un support personnalisé, adapté au village ou au quartier dans lequel il est installé. Sinon il faudra simplement accepter dans le futur les mêmes couleurs, les mêmes goûts bien standardisés et, pourquoi pas, les mêmes horaires d’ouverture.