« Je pète souvent »... a coutume de dire Gérard Depardieu et notre François Morel a préféré, ce vendredi matin, sur France Inter link, cette saillie du néo-Néchinois à une citation de Jean-Paul Sartre ou de Raymond Aron. Ça colle bien au personnage de Gégé, ça nous parle aussi bien que Du vent dans les branches de Sassafras de René de Obaldia, et ça m’a inspiré ce titre qui, avec une once de vulgarité à la Gégé, est une manière de dire à celles et ceux qui se perdent en conjecture à propos d’une information somme toute banale, Robert Parker continue de faire son business en cédant son Wine Advocate à des investisseurs singapouriens, « foutez-lui la paix ! »
Citation pour citation rien que pour faire la nique à François Morel, dans les mains sales Jean-Paul Sartre dit « Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces. » Quel cynisme me direz-vous ? Que nenni, appliqué à Robert Parker ça se traduit par « il a su utiliser les bons moyens, au bon moment, au bon endroit… » j’ajouterai : le tout dans sa langue maternelle qui se trouve être le véhicule universel du biseness. Bref, Robert Parker n’a pas utilisé tous les moyens, au sens de n’importe lesquels, sous-entendus les pires, il s’est contenté d’être lui-même et de se bâtir une notoriété, de devenir une marque en capacité d’imposer au marché ses normes. Que sur le dernier versant de sa vie professionnelle il monnaye au point haut son capital ne me paraît d’aucune manière condamnable.
Que Robert Parker ait exercé, qu’il exerce encore une influence considérable sur l’industrie mondiale du vin, des grands vins dit-on, c’est indéniable mais, que je sache, je ne vois pas au nom de quoi il faille le clouer au pilori. Ce n’est ni un négociant d’armes, ni le gourou d’une secte, mais tout bêtement un critique qui a su monnayer son art. Que l’on ne soit pas d’accord avec sa vision du vin, que l’on condamne sa « mauvaise influence » sur les GCC de Bordeaux, qu’on l’accuse d’avoir « parkérisé » le vin, je le comprends parfaitement mais dans cette affaire il n’a pas agi en terrain conquis il a simplement trouvé un terreau favorable et il l’a exploité, surexploité même. Bien sûr, je comprends que l’on puisse le regretter, désapprouver, condamner, mais s’il n’y avait pas eu la rencontre entre des offreurs, les châteaux et les domaines, et des demandeurs : les acheteurs de grands vins, Parker n’aurait été rien qu’un parmi d’autres c’est-à-dire, n’en déplaise à certains porteurs d’eau, de gentils dégustateurs dans notre petit marigot.
Hanna Agostini, qui ne passe pas pour quelqu’un portant Parker dans son cœur, affirme que Robert Parker est le plus grand dégustateur de tous les temps : « Personne n'est capable de décortiquer un vin comme il le fait. Il peut déguster de 60 à 100 vins par jour, parfois davantage. Et le plus extraordinaire, c'est qu'il peut à la fin d'une telle journée, lors d'un dîner, identifier la quasi-totalité des vins qu'on lui présente à l'aveugle sans se tromper sur le domaine ni sur le millésime. Derrière le mythe Parker, il y a un palais et un odorat exceptionnels. » Elle explique comment il est devenu le critique le plus puissant de la planète : « Robert Parker s'est imposé par son talent et sa capacité de travail, mais il a aussi bénéficié d'un contexte particulièrement favorable. Son talent s'est révélé avec le millésime 1982, qu'il a porté aux nues dès les premières dégustations et ce contre un bouclier d'avis autorisés. »
Le résultat c’est que tous ceux qui ont suivi ses conseils ont gagné beaucoup d'argent : «À la faveur du millésime 1982, une frénésie acheteuse sans précédent s'est emparée des Américains. Comprenant que les commentaires et surtout les notes de Parker forgeaient la demande aux USA, les Bordelais ont commencé à pratiquer une politique de rétention des vins visant à faire monter les cours. Par exemple, en 1985, la note parfaite attribuée au Mouton-Rothschild 1982 fait quadrupler le prix de la bouteille ! C'est à partir de ce moment-là que la place de Bordeaux est devenue la plus spéculative qui soit. Aujourd'hui, plus que jamais, le négoce et la filière attendent ses notes pour se positionner. Jamais personne n'a eu une telle influence sur le marché. »
Robert Parker s'impose au moment où beaucoup de choses basculent. « On constate dès le début des années 1980 une profonde métamorphose du monde du vin. Robert Parker accompagne et amplifie l'évolution commencée par l'œnologue Emile Peynaud vers des rouges fruités, mûrs, boisés, aux tannins souples. Mais la révolution n'est pas seulement d'ordre technique. Une mode se dessine. Le vin devient un facteur de promotion sociale. Il est de bon ton d'en boire, mais aussi d'en parler. Le vin prend encore une dimension financière à laquelle Robert Parker n'est pas étranger. Les bordeaux, qui demeurent la référence mondiale, lui ont permis d'asseoir sa notoriété. Mais ils lui doivent aussi d'avoir tenu leur rang dans la compétition mondiale. Il suffit qu'un cru soit évoqué par Robert Parker pour que son prix s'enflamme. Même s'il n'a pas voulu la spéculation qu'il alimente, il est aujourd'hui prisonnier de son système. »
La défense du consommateur le cheval de bataille de Robert Parker « il a surtout marqué les esprits en se posant comme un chevalier blanc, comme le plus intransigeant défenseur du consommateur. Il a fait de l'indépendance de la critique par rapport aux professionnels du monde du vin un principe absolu. ».
Mais, il faudrait être naïf en ignorant les réseaux bordelais de Parker « En évoquant ses relations avec l'œnologue Michel Rolland, les négociants Archibald Johnston, Jeffrey Davies, Bill Blatch et Dominique Renard, ses amitiés avec Jean-Bernard Delmas, l'ancien administrateur du grand cru Haut-Brion et la famille Moueix, je ne relate que des choses connues de tous. Loin de moi l'idée de qualifier ces liens. Je veux seulement démontrer qu'il y a un fossé entre son discours et ses pratiques. Comment expliquer qu'il qualifie d'« amis », voire d'« experts en amitié », certains éminents acteurs du monde du vin, tout en martelant par ailleurs qu'il n'a pas d'amis dans ce milieu et rappelant inlassablement l'impérieuse nécessité pour un critique de garder ses distances avec le négoce, sous peine de compromettre la fiabilité de ses avis ? »
La période Parker touche-t-elle à sa fin ? « Il a encore un large auditoire. Il faudra sans doute un peu de temps pour que les consommateurs s'affranchissent des oracles du gourou. Cela étant, les sources d'information sur le vin n'ont jamais été aussi nombreuses et les nouvelles générations sont mieux à même de se forger leur propre opinion. Par ailleurs, Robert Parker délègue de plus en plus : il ne s'occupe plus personnellement que du Bordelais, de la vallée du Rhône et de la Californie. Si la statue du commandeur semble solide, son piédestal vacille. »
C’était en 2007. 5 ans après l’homme ne descend pas de son piédestal, il le vend aux plus offrants sur le marché le plus porteur. Point c’est tout ! Irremplaçable bien sûr, son émergence de nulle part et son parcours atypique font de lui un phénomène non reproductible mais, de la même manière que nul n’aurait parié un kopek sur lui avant son coup de maître qui peut dire aujourd’hui qu’un gus, venu du diable vauvert, ne prendra pas tous les installés à contrepied ? Je n’en sais fichtre rien et pour tout vous dire ça ne m’empêche pas de dormir.
Je préfère m’intéresser à la petite annonce de Gégé pour mettre en vente son hôtel particulier de la rue du Cherche-Midi, dans le 6e arrondissement de Paris. Une demeure somptueuse qu'il avait achetée en 1994 pour 25 millions de francs payés comptant. Selon les informations du Parisien, elle aurait été mise en vente il y a trois mois pour la bagatelle de 50 millions d'euros. « Propriété de 1 800 mètres carrés habitables comprenant l’hôtel de Chambon construit au XIXe siècle, inscrit aux Monuments historiques, agrémentée d’un jardin et de terrasses. De l’autre côté du jardin, un second bâtiment de type loft, éclairé par un puits de lumière, superbe pièce d’architecture et de design »
L'été dernier, le « gros Gégé » avait fait visiter son gourbi à Serge Kaganski des Inrocks et le « maître » dans son style grandiloquent avait expliqué son utilisation des lieux :
« J’y habite de temps en temps… Mais je ne sais pas encore ce que je vais en faire. Ce n’est en tous cas pas un lieu pour faire la fête, au contraire, plutôt pour méditer, avoir des conversations. Dans toute maison, il y a un endroit où on lit, où on peut penser. C’est l’espace, l’occupation de l’espace, qui m’intéresse. La fête, c’est fermé, comme un ventre dans lequel tous les vices se forment et se déforment. Là, au contraire, c’est la pureté, c’est affronter cette vérité qui peut sortir de nous, avec nos vices et nos puretés. Le thème qui a guidé ce lieu, c’est le passage du temps. Avant de prendre possession de ce lieu, il faut se connaître et bien s’apprivoiser. Même moi qui suis cuisinier, il m’a fallu du temps pour apprivoiser cette cuisine. Trouver la place d’un objet, d’une pensée, d’une liberté, ça prend du temps. »
Voilà pour moi la messe est dite Robert Parker n’est qu’un amateur à côté de notre Gégé national qui lui n’a jamais été un enfant de chœur mais est devenu vigneron du côté de son château de Tigné et j’ai le souvenir de sa tonitruante arrivée à l’hôtel de Villeroy pour venir quémander auprès d’Henri Nallet, alors Ministre de l’Agriculture des droits de plantations pour sa nouvelle acquisition. Sacré Gégé il a toujours su y faire pour faire du blé avec du vin… comme notre Bob d’ailleurs… deux bons acteurs le Gégé et le Bob…