Vin&Cie est de plus en plus un Espace de liberté qui s’enrichit chaque jour de vos contributions postées en commentaires. J’en suis bien aise. Contribuez, contribuez et, même si mon territoire équivaut à celui d'un timbre-poste, à celui d'un confetti de l’empire, qu’importe, c’est ainsi que nous donnons de l’oxygène à notre démocratie qui étouffe de bien-pensance et de l’affaissement de l’information déversée à flux continu par des médias sans boussole ni colonne vertébrale.
Ce matin donc, j’ouvre – je suis un demi d’ouverture qui s’ignore – une nouvelle rubrique : courrier des lecteurs. Profitez d’elle, au-delà de vos simples commentaires à chaud venez y déposer des textes plus réfléchis, plus écrits, ce qui ne signifie pas bien sûr des textes plus consensuels. Pour preuve quand un vigneron m’interpelle « excuse, mon frère, mais t'es à côté de la plaque... » à propos de mes écrits récents sur le chai de Cheval Blanc je ne monte pas sur mes grands chevaux, je poste. Et je poste sans plaidoyer en défense. À vous de juger, pas au sens de dire forcément qui a raison ou tort mais d’apporter votre propre contribution à un débat qui me semble en valoir la peine. Bonne lecture. Les commentaires sont toujours ouverts.
Mon cher Jacques,
Nous avons été invités, toi comme moi, à l'inauguration du nouveau chai de Cheval Blanc et ton sentiment est positif, enthousiaste, même, car tu me dis, devant mes réticences à peine expliquées, qu'il faut dissocier le « projet » qui est positif, de mon sentiment personnel que j'exprime sur la réalisation. Certes, je veux bien t’accorder que le « projet » qui consiste a booster les vignobles bordelais et les faire rentrer dans le XXIe siècle ne peut être taxé de mauvaise chose sous peine d'être soi-même taxé de rétrograde, de frileux. Et en cela, je suis d'accord avec toi : un chai moderne, quelle bonne, bonne « idée » ! Mais si au nom de « l'avancée moderne » je dois accepter ce paquebot lourd, froid, presque rétrograde et totalement inadapté a son usage, qu'est le « projet « Arnault/Frère/Portzamparc, excuse, mon frère, mais t'es à côté de la plaque et comme, te connaissant, je sais que tu ne flagornes pas, je me demande alors ce qui te prend !
Le « projet » de la Grande Motte était louable : donner a la masse populaire le droit égal à celui de la bourgeoisie de pouvoir se prélasser au bord de l'eau. Dans la « réalisation », pourtant, quel massacre !Le « projet » des tours (de la Défense, du 15e, des périphériques...) était intéressant pour ce qu'il apportait comme image copiée sur les États-Unis, symbole jusqu'à peu, de vitalité et de domination conquérante sans vague a l'âme. Dans la réalité, que d'horreurs conçues, que de personnes étouffants dans des espaces équivalents à ces fameuse cages a lapins-lapins bourrés de myxomatose dont on sait aujourd'hui, qu'élevés en plein air sous cloches grillagées posées juste sur de l'herbe, ils ne sont et ne tombent jamais malades, sans parler de perspective massacrée qui peine l'oeil ad vitam. Vais-je continuer ainsi ma simpliste démonstration ?
Il y avait 12 millions sur la table, 13 avec les dépassements. 13 millions, Jacques : une bagatelle suffisante pour faire du « projet » Cheval Blanc une réalisation mêlant toutes les avancées extraordinaires de développement durable d'aujourd'hui ( matériaux recyclables, éclairages solaires, jardins sauvages de graminées utiles au sol, écochauffage, etc), toutes les audaces techniques du métier de vigneron, toutes les envies de faire découvrir ce métier formidable complexe au moyen de salles de dégustations privées et publiques représentant le meilleur de la tradition et du moderne. Las, ce paquebot est le reflet exact – et c'en est même incroyable – de ses maîtres et de ce qu'ils ont installé partout dans le monde : l'image Cheval blanc n'est qu'une image censée en jeter... Mais qui ne récolte rien... Ah, si, j'oubliais, du raisin –il en faut encore pour faire du vin – vite oublié par le prix du flacon. Non, vraiment, mon cher Jacques, mon « gout » personnel a peu à voir avec ta rhétorique. Le « projet » Cheval Blanc est un ratage magistral car, comment peut on avoir l'oeil amoureux devant cette réalisation sans audace aucune du XXIe siècle, et qui ne dégage rien ?
Je réserve donc mon « œil » amoureux pour d'autres réalisations architecturales viticoles ayant su mêler l'émotion de la terre, du bois, de la matière, du « jus » divin à la technique, au grandiose assumé magnifiant peut-être la puissance financière de celui qui l'a commandé, mais ayant compris ce qu'est réellement le vin : du plaisir, de la sensualité, du nectar des dieux, et cela éprouvé, ensemble : pardon de faire dans le style Gavalda, mais ensemble à Cheval Blanc pour y boire ce « jus » pourtant si délicieusement fait ? Non merci, cher Jacques. La prochaine fois que t’y vas, écris-tu, pour voir les tuyaux : parle seul au personnel technique, au maitre de chai, installe toi dans la salle de dégustation vite faite au dernier moment en alibi, cale toi prés d'une barrique : vis, sens le lieu avec ceux qui vont l'animer. Et dis-moi alors, si ceux qui font le vin à Cheval Blanc, auront pu animer avec leur flamme ce « projet » virtuel ?
Un vigneron désolé