Hantise des « facteurs » de mets-vins – j’innove en me référant aux facteurs de piano qui les accordent – nos fromages, aux flaveurs et au goût parfois forts affirmés, ont quelques préventions vis-à-vis de certaines accordailles.
Faut-il exiger entre vin et fromage de longues fiançailles ou préconiser le concubinage ou se contenter de brefs 5 à 7 ? Je ne sais. En revanche, ce que je sais, c’est que certains sont des saints, tels le saint-émilion et le saint-nectaire. Sans vouloir choquer mes paroissiens j’ose écrire qu’il sera possible au moins de les pacser même si sainteté rime avec chasteté dans notre sainte mère l’Eglise catholique et romaine. Les saintes, elles, sont rares : le sainte-foy (500hl) à Bordeaux vin liquoreux confidentiel et le sainte-maure-de-Touraine qui est un fromage de chèvre assez connu (1140 T) mais comme toujours le masculin l’emporte sur le féminin puisque j’ai écrit le vin de sainte-foy et le fromage de sainte-maure.
Plaisanterie mise à part, et même si après l’amphigouri je prends le risque de me voir taxé de pédanterie, permettez-moi de souligner que j’ai, pour une fois, parfaitement respecté l’antonomase des noms propres. Cette figure de style, la seule vraie antonomase pour beaucoup de théoriciens, consiste à employer un nom propre pour signifier un nom commun. Les antonomases du nom propre, contenant le mot «saint» et qui, en se lexicalisant ont perdu leur majuscule : le saint-pierre poisson, le saint-nectaire fromage, le saint-émilion vin, la sainte-barbe cale à poudre, en sont la parfaite application. Ces antonomases sont parfois invariables : des saint-honoré, des saint-amour, des saint-marcellin.
Après cet amuse-bouche culturel destiné à relever le bas niveau de mes chroniques je reviens au sujet du jour où je souhaite utiliser la casuistique, surtout employée par les jésuites, qui consiste à résoudre les problèmes posés par l'action concrète au moyen de principes généraux et de l'étude des cas similaires, pour éclairer la lanterne de nos marieurs fromages-vins.
Ne vous effrayez donc point, ne faites donc pas tout un fromage de ma pseudo-érudition, restez sur mes lignes. En effet, je vais me contenter de mettre face à face deux frères canonisés à pâte molle fleurie pour que vous puissiez m’aider à résoudre leurs accordailles avec des vins eux-aussi touchés par la sainteté. L'idée n’est point si sotte et grenue qu’il n’y paraît car ces deux saints, si proches géographiquement, frères de lait – je n’ai pas osé fils de vache – nés dans des aires géographiques proches, sont caractéristiques de la belle complexité de nos beaux produits de terroir.
« Il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints » dit-on, alors moi dès que j’écris fromage je m’adresse à Philippe Alléosse www.fromage-alleosse.com . Michael Steinberger le confirme « Alléosse, un homme manifestement amoureux de son métier, choisissait certains fromages et me les mettait sous le nez. »Sentez-moi ça », « touchez-moi celui-ci ». Tout cela finit par venir à bout de ma résistance lorsque nous nous retrouvâmes devant le chariot des saint-marcellin, ce fromage au lait vache, piquant et déraisonnablement coulant, produit dans la région lyonnaise. Je lui confiai à quel point j’aimais ce fromage-là, et immédiatement il m’en tendit un, que je m’empressai de dévorer : c’était sublime, la meilleure gratification matinale qu’on pût rêver. »
Mon projet matinal est le même, sauf qu’étant quelque peu plus vicieux que notre ami étasunien, je vous propose la même gratification matinale mais vous, vous aurez le choix entre un saint-marcellin et un saint-félicien pour accorder l’un ou l’autre de ces fromages, ou les deux si vous avez un fort appétit, avec un vin lui aussi sanctifié : saint-pourçain, saint-émilion, saint-joseph, saint-julien, saint-amour...
Pour ceux qui l’ignoreraient le saint-félicien est le grand frère du saint-marcellin. Tous deux sont du Dauphiné, fabriqués avec du lait de vache, pâte molle à croûte fleurie, affinés de la même manière, à la lyonnaise (tout en crème), le premier est plus doux que le second. À noter qu’il existe un saint-félicien ardéchois qui est un fromage de chèvre dit « caillé doux » du village de Saint-Félicien en Ardèche. Dans sa présentation (voir photos) le saint-félicien pèse 180g à 60% de MG et le saint-marcellin pèse 80g à 50% de MG.
Vous savez tout ou presque, à vous de jouer : mariez-les ! Pacsez-les ! Soyez inventif !